1. Alexis
J'ai fumé mon premier joint en seconde, pendant une soirée. Nous ne savions pas qui l'avait roulé, ni qui avait ramené la beuh, mais nous l'avions fumé en cercle sur la pelouse, le faisant tourner entre nous en soutenant que rien ne se passait alors que nos cerveaux se mettaient à tourner plus lentement et à voir les choses d'une manière bien différente.
C'était une soirée où nous avions été invités, même si nous ne connaissions pas vraiment l'hôte. Nous n'allions pas souvent à ce genre de fête, préférant nettement la faire rien qu'entre nous pour être plus à l'aise.
Mais nous étions venus, et avions terminé défoncés, endormis sur la pelouse d'un quasi inconnu après une soirée mouvementée.
Nos parents pensaient que nous dormions chacun les uns chez les autres, sans trop savoir chez qui exactement, mais ils avaient tellement l'habitude qu'ils n'avaient pas cherché à creuser plus.
Nous avions recommencé l'expérience une ou deux fois, mais nous n'avions pas vraiment besoin de ça pour nous amuser ensemble, ni de rien d'autre que nous, en fait, alors c'était assez rare.
Pendant les vacances d'été de première, je n'étais pas sorti. J'avais peur de sortir. J'avais peur d'être heureux. J'avais peur de culpabiliser si je finissais par être heureux. Mais j'avais encore plus peur de la tristesse qui me tiraillait quand j'étais seul, sans pouvoir me résoudre à revoir du monde. J'étais triste, et rien ne semblait pouvoir m'ôter cette tristesse.
Un soir, alors qu'une de mes tantes était chez moi, j'ai surpris mon cousin, plus vieux de quelques années, fumer un joint, seul, sur le balcon. Si l'odeur ne m'avait pas emplit les narines, j'aurais sûrement cru que ce n'était qu'une cigarette roulée. Il avait l'air insouciant, pour quelqu'un qui venait de se faire prendre en flagrant délit. Au lieu de l'éteindre précipitamment en me disant de ne rien répéter, il l'avait approché de moi et demandé si j'avais déjà fumé. Me passant une main dans les cheveux, j'avais jeté un œil dans le salon, guettant l'arrivée de ma mère. Comme elle n'était pas là, je lui avais dit la vérité :
« Oui. »
Il avait souri, l'air complice, et m'avait tendu le joint avant que je n'ai pu dire quoi que ce soit d'autre. La gorge asséchée de peur de me faire prendre, je l'avais saisi et tiré dessus. Evidemment, je m'étais étouffé. Je n'avais pas fumé depuis la fin de l'année scolaire, et mes poumons avaient mal supporté cette intrusion. Mon cousin s'était moqué de moi et m'avait repris l'objet de mon étouffement avant de se remettre à fumer. J'avais une nouvelle fois regardé à l'intérieur, et comme ma mère n'était toujours pas là, je lui avais demandé :
« T'as pas peur que ta mère le sente ? Tu... T'es pas vraiment caché.
_ Elle se poserait plus de questions si je me cachais. De toute façon, elle n'a aucune idée de ce que sent la beuh, elle doit sûrement croire que c'est des clopes aromatisées. »
J'avais haussé les sourcils, sceptique, et il avait continué, plus bas :
« Tant que je fais pas de conneries. »
Il m'avait une nouvelle fois tendu le joint, et nous nous l'étions échangé à ce rythme jusqu'à ce qu'il n'en reste quasiment plus rien.
Quand je me suis couché, ce soir là, je n'étais pas euphorique comme on l'est en soirée après avoir bu et fumé pendant plusieurs heures. Mais je n'étais plus triste non plus. Juste vidé, mais d'un vide agréable. Un vide flottant, qui m'avait fait dormir sans interruption ni cauchemars.
J'ai donc décidé de me procurer de la beuh, pour pouvoir me guérir les fois où je vais vraiment mal. Pas tous les jours, non, je ne suis pas idiot, je connais les risques. Je fumais une à deux fois par mois, au début, puis trois à quatre. Je ne me sentais pas dépendant, et je ne l'étais pas, alors c'est passé à une à deux fois par semaine, pour que les nuits soient moins longues et que le temps passe plus vite jusqu'à ce que j'aille mieux.
Parfois, quand je les voyais au lycée, l'air de ne pas avoir besoin de drogue pour tourner la page et m'oublier, je me sentais au plus mal. Alors je me suis que fumer une taffe ou deux à la pause du midi ne me ferait pas de mal, au contraire.
De toute façon, que peut-on dire à ce pauvre Alexis ? Avec ce qu'il a vécu, on ne peut pas lui en vouloir. On ne veut pas le froisser, ou le chagriner plus qu'il ne l'est déjà.
En plus, je ne suis pas dépendant.
Je saurai m'arrêter.
Et je m'arrêterai, dès que j'irais mieux.
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