Cher journal, je t’écris deux fois le même jour, c’est de la triche ?

Je pense pas, la première fois ce n’était qu’une présentation. Comme je te l’ai déjà dit, je viens d’avoir seize ans (youpi), et comme je te l’ai déjà dit aussi, rien n’a changé chez moi. Et c’est là tout le problème : quand on est jeune, on nous dit toujours qu’on comprendra quand on sera « plus grand », mais plus grand comment ? Quand est-ce que je commencerai à comprendre ce que je ressens, à me comprendre ? Est-ce qu’il y a des choses qu’on ne saisit jamais ? Même adulte ?

Peut-être que je fais juste une crise d’ado, mais j’en ai pas l’impression. Je veux dire, j’arrive pas à dire ça à voix haute, l’exprimer autrement qu’à l’écrit parce qu’il y a tellement pire, dans le monde, que les questions existentielles d’un mec de seize ans, non ? J’ai l’impression qu’on va me dire « tout le monde passe par là, c’est l’adolescence, c’est normal », mais si ça ne l’était pas ? Si j’avais vraiment un problème ? Je me sens si différent, et pourtant, j’ai aucune raison d’être malheureux. J’ai énormément de chance, je le sais. J’ai des amis, et comme par magie (ou juste grâce à mon père, proviseur) je suis dans la même classe qu’eux, j’ai une famille aimante, aucun souci de santé (à part si l’incompréhension de soi-même est une maladie), et j’ai de bonnes notes. Alors j’ai sûrement aucune raison de me plaindre. Mais le problème, quand tout va bien, c’est que personne n’imagine que ça peut ne pas aller, tu comprends ? J’ai toutes les raisons d’être heureux, alors personne ne viendra s’assoir à ma table pour me demander « tout va bien, Sam ? Dis-moi tout. ». C’est un cercle vicieux : je ne demanderai jamais à ce qu’on m’écoute sans qu’on vienne à moi, mais personne ne pense à venir à moi pour m’écouter.

Enfin, je suis sûrement simplement capricieux. Parce que je pourrais très bien en parler à mes amis, c’est certain, et tout le monde n’a pas cette chance.

Bref, je te ferai un compte-rendu quand je serai « plus grand », et que j’aurai tout compris.

Bonne vacances.

Sam