9. Clément
La luminosité de la pièce m’éblouit quand j’ouvre les yeux : nous avons oublié de fermer les volets avant de nous coucher, hier soir. Alors que j’émerge lentement du sommeil, la soirée de la veille me revient peu à peu en mémoire. La plage, le carnet, Alexis… Un vrai ascenseur émotionnel. Je soupir en m’extrayant du tas de couvertures qui me recouvre. Roxane et constance dorment encore, Alex, lui, est sûrement dans sa chambre.
- Bien dormi ?
Je sursaute et me retourne brusquement, découvrant Alexis dans la cuisine, des cernes violacés sous les yeux, l’air on ne peut plus fatigué.
- Euh… Ouais. Je te retourne pas la question.
Il sourit et m’invite à m’asseoir avec lui à l’îlot central.
- Je… Je suis désolé que vous m’ayez vu comme ça. Ma réaction a été assez disproportionnée, j’ai disjoncté.
- Hé, t’excuses pas. On est tous différents depuis… enfin, tu sais. On peut toujours compter les uns sur les autres, on ne te juge pas d’avoir pété un câble, on connait ça aussi.
- J’ai vraiment honte, dit-il en baissant la tête, le regard vissé sur ses mains. Je veux dire, je pensais pas être dépendant, vraiment, et là… Je sais pas, j’ai l’impression de tout gâcher.
- Tu n’as rien gâché du tout. On a tous envie d’aller mieux, de se réparer les uns les autres. C’est pour ça qu’on est ici, en quelque sorte, mais c’est pas pour autant que c’est facile.
Il me sourit et passe une main dans ses cheveux décolorés. Pensif, j’ajoute :
- Je comprends que ses mots t’aient touché, mais je pense que tu les as mal interprétés. C’est pas parce que tu nous fais rire et que t’arrives à dédramatiser des situations difficiles qu’on ne te prend pas au sérieux, ou je ne sais quoi.
- Ouais, je sais. Rox m’a dit la même chose, et elle m’a fait remarquer qu’il ne parlait pas que de moi, mais de nous tous.
Je hoche la tête, content qu’il s’en rende compte, et repense aux phrases que nous avons lues hier.
« Alexis le tournerait sûrement à la rigolade. Ca ferait du mal à Constance. C’est impossible que j’en parle à Clément, et Roxane voudrait en parler aux trois autres. »
Je me suis toujours montré sincère avec mes amis. Je les écoute et je fais toujours de mon mieux pour les aider, ils m’ont confié beaucoup de leurs secrets, alors j’ai du mal à comprendre pourquoi Sam aurait pensé qu’il ne pouvait pas m’en parler. Les sourcils froncés, je fouille ma mémoire, à la recherche d’un détail que j’aurais pu oublier, quelque chose qu’il m’aurait dit et à laquelle j’aurais mal réagi.
- Si Roxane avait été là, elle n’aurait pas été punie, me dit Sam en regardant Constance depuis sa fenêtre.
Cette dernière affiche une mine désespérée depuis quinze minutes, nous regardant comme une prisonnière de l’autre côté de la rue. Elle a été punie pour avoir séché les deux heures de sport, et malheureusement pour elle, Roxane n’était pas là pour inventer un mensonge parfait à ses parents quand je l’ai raccompagnée chez elle.
- C’est fou c’est toujours elle qui finit par être punie, alors que c’est elle la plus sage d’entre nous, dis-je.
- Carrément, c’est pas juste.
- Ses parents ont dit qu’elle était la seule responsable, quand je leur ai promis qu’elle ne voulait pas nous suivre, au départ.
- Tu aurais dû mentir. Dire qu’elle se sentait pas bien, ou un truc dans le genre, à la Roxane.
- Je suis vraiment nul en excuses, et elle aussi.
Il sourit et détourne les yeux de Constance pour regarder l’écran de son téléphone.
Mes parents m’appellent… Merci d’être restés là <3
Roxane et Alexis sont partis depuis un moment, mais Sam et moi sommes restés perchés à la fenêtre pour lui tenir compagnie à distance.
- Tu l’aimes ? me demande soudain Sam, ses yeux bleus plissés.
- Oui… Enfin, je vous aime tous.
- Tu sais très bien ce que je veux dire, Clem.
- Bah… Oui, je crois qu’il y a quelque chose.
- Hm.
Il s’assoit sur son lit, l’air de réfléchir. Je pense savoir ce qui le perturbe, alors je tente de le rassurer :
- Tu sais, c’est pas parce qu’il se passe un quelque chose entre moi et Constance que ça changera quoi que ce soit dans la bande. On n’est pas assez bête pour tout foutre en l’air.
- Ouais, je me doute.
- C’est pas ça ? j’insiste, les sourcils froncés.
- Non, laisse tomber. J’ai oublié de faire un truc que ma mère m’a demandé, je viens de m’en rappeler.
Il se lève en tentant un sourire qui n’atteint pas ses yeux, et je le suis, sceptique.
- D’acc.
Ce souvenir traverse ma mémoire comme un flash. Je me souviens que ça m’avait tracassé, à l’époque, et que j’avais plusieurs fois hésité à lui en reparler.
- Il y a bien une fois où il m’a caché quelque chose, je crois, dis-je à Alexis.
- Ah ouais ?
- Enfin, il n’a pas fait comme si de rien, mais je suis presque sûr que quelque chose n’allait pas… On n’était rien qu’à deux, et il m’a parlé de Constance et de moi. Enfin, de ce qu’il y avait entre nous. J’ai cru qu’il avait peur qu’on foute en l’air la bande, mais je suis pas sûr que c’était ça. Peut-être… Je sais pas…
- Peut-être qu’il aimait bien Constance, finit Alexis pour moi.
Je hoche la tête. Cette idée me paraît absurde, elle ne m’a jamais effleuré l’esprit. Mais après m’être remémoré ce souvenir, ça me semble beaucoup moins ridicule.
- Si on lui en parle, elle va se sentir coupable, dis-je.
- De quoi ? Ce n’est pas du tout sa faute, me répond-il en se massant le front.
- Peut-être que ça le blessait, que je sois si proche d’elle…
- Hé, toi non plus, ce n’est pas ta faute.
Je hausse les épaules, dubitatif, et il m’attrape le poignet de sorte à ce que je le regarde dans les yeux. Il dit, sur un ton mi-sérieux mi-blagueur :
- S’il y a bien une chose que j’ai compris hier, quand Roxane m’a remis sur les rails, c’est que nous ne sommes responsables de rien. On se sent coupables, et c’est normal, c’est un syndrome bizarre qui fait qu’on se sent mal d’être vivant sans lui. Mais ce n’est pas notre faute.
Annotations
Versions