La langue des rires
En voyage, je me contrefiche des monuments à visiter. Je passe incognito, le nez en l'air au milieu de la foule, quittant au plus vite la place noire de monde. Une ruelle me tend les bras, j'y accorde mes pas. Le calme revient.
Je me sens très blanc lorsqu'une fille me regarde. La peau lisse de son visage me pointe du menton en écho à son Hello de bienvenue. Bonjour, je réponds appuyé d'un Ni Hao de circonstance. C'est le moment où ses yeux ponctués de pupilles sombres s'étonnent. De petites lèvres pleines et délicates me lancent France ? dans ma tronche qui s'illumine. Démasqué je suis, emballé je deviens. J'accroche sur la couleur de l'émail de ses dents, sa poitrine plate, les tétons coincés dans un soutif renforcé. Elle détaille mon nez, la couleur de mes yeux, évalue la hauteur des genoux et s'amuse à comparer nos pieds. Ses deux chaussures mises l'une devant l'autre atteignent la longueur d'une des miennes. Naturellement maigrichonne, elle se pavane avec sa taille menue et son petit cul plat serré dans un mini-short-jean délavé.
Son rire alerte les voisins. La conversation est bloquée aux seules apparences physiques dont nous disposons. J'imagine l'isocèle triangle du brun pubis. Une photographie entretien notre relation, puis une deuxième en compagnie de sa mère, une autre encore lorsque son père sort de la maison à son tour, et nous voilà, cinq minutes plus tard, rassemblés autour d'une fin de repas à ronronner parmi nos rires que la bière évapore. Le dictionnaire ne traduit pas épastrouillant en chinois, j'opte pour trinquer à nouveau tout en collant un timbre-poste sur l'enveloppe que la fille me tend. Je vous enverrais les photos. Elle écrit son nom, son adresse. En réalité, c'est une suite de signes incompréhensibles, comme le sont les miens que je marque sur son carnet. Rendez-vous est pris demain pour visiter le marché aux oiseaux.
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