Chapitre quatorze

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NDA : Ce chapitre comporte des passages avec des propos homophobes tenus par un personnage. Les mots sont violents et peuvent heurter. Je préférais prévenir.



Thibault se réveilla brusquement. La sueur couvrait sa peau, l'air ne semblait pas vouloir entrer et sortir de ses poumons autrement qu'à toute vitesse et pourtant il avait l’impression d’étouffer. Non, pas maintenant. Ça ne pouvait pas arriver maintenant ! À côté de lui, Dalil dormait profondément, le visage tourné vers lui. Même dans le sommeil, il avait cet air doux et coquin, le même air que quand il l'avait préparé avec lenteur. Voilà, il devait penser à cela, à sa première fois, une première fois qu’il avait voulue et désirée. Il devait s’accrocher à cela et l’air redeviendrait respirable dans quelques instants.

Il déroula les souvenirs dans son esprit, précis et limpides, pas encore parés d’un léger voile d’oubli. Thibault avait été monstrueusement embarrassé par la sensation des doigts de Dalil jouant à l’intérieur de lui. Et puis après quelques minutes, tout s’était emballé. Il se revit, à califourchon sur l’homme, s’abaisser lentement sur son sexe. Il ouvrit la bouche, hébétée, comme s’il ne réalisait que maintenant qu’il avait fait l’amour avec Dalil, à Dalil. Oh mon dieu, il l’avait fait. Oui, il entendait bien que le sexe, ce n’était pas que la pénétration, mais aussi les caresses, les fellations, et tous les actes effectués pour donner du plaisir. Mais il avait fantasmé sur cette pratique précise pendant une bonne partie de ses moments en solo, et elle avait revêtu une sacrée importance. Et à la flamme qu’elle avait créée au creux de ses reins, elle allait la conserver.

Il avait d’abord été un peu étourdi d’être arrivé jusque-là, puis petit à petit, il s’était embrasé et exalté, jusqu’à bouger de lui-même, jusqu’à ce rythme saccadé qui les avait fait presque s’entrechoquer l’un contre l’autre. Il ne s’attendait pas à quelque chose de parfait, et ça ne l’avait pas été. Mais c’était bien, nouveau et inconfortable, mais intense. Il s’était fait enculer et il avait aimé ça. Les mots n’étaient rien de plus que des mots, et les actes n'avaient pas à être entachés par les définitions des autres. L’air reprit sa consistance ordinaire et il le sentit passer dans ses poumons. Il n’avait rien fait de mal, rien du tout.

Il regarda Dalil et son sexe fit un petit bond, puis son anus se contracta dans un désir bouillant. Il avait envie de recommencer. Pas tout de suite, ni même le lendemain, mais l’envie était là. Elle était là depuis des années, depuis qu’il s’était fait une idée du sexe, bien trop jeune évidemment, depuis qu’il avait mis une signification sur des mots, avec ce petit pincement de honte et de désir. Il avait pensé à cela durant toute son adolescence, il s’était fait plaisir des milliers de fois en rêvant là-dessus. À cette pensée, l’air accéléra son passage entre ses lèvres. Oh non, non ! Il ne voulait pas les mots des autres. Il était bien, il venait de réaliser son fantasme et ça avait été génial. Dalil avait été parfait, et il avait un souvenir pour tout l’hiver.

Mais même en tentant de se convaincre, il se retrouva tout de même à chercher son souffle sous une terreur trop commune.

T’es un pédé ou t’es pas un pédé ?

Non, non, non, pas cette voix ! Il voulait la voix de sa licorne adjudant-chef, mais elle semblait aux abonnés absents. Comme si après avoir dansé toute la nuit pour fêter la réussite de sa mission, elle avait droit à un repos bien mérité. Sauf qu’une autre voix prenait sa place. Une que Thibault entendait parfois encore, à certains moments bien précis. Et c’en était un, évidemment que c’en était un.

Réponds ! T’es un pédé ou t’es pas un pédé ?

Les mots envahirent sa tête, puis les sensations revinrent, cette peur que l’on ressent à l’anticipation d’une situation trop souvent vécue, cette peur qui crée une sueur froide sur la peau, qui plonge le cerveau dans un brouillard trop dense pour s’en libérer. Il se sentit se dissocier en deux entités distinctes, une qui venait de passer un moment merveilleux avec Dalil, et une qui cherchait à apprendre comment respirer. Il allait craquer, là, maintenant. Et il le savait avec certitude, ce ne serait pas joli à voir.

Il quitta le lit en titubant un peu, sentant la sueur sécher sur corps, puis revenir alors qu’il s’étouffait avec un air bien trop lourd. Il ouvrit la bouche pour avaler une goulée d’oxygène, comme il aura avalé un morceau de barbe à papa, mais ses poumons ne s’ouvrirent pas sous l’afflux et restèrent désespérément clos.

Fébrilement, il attrapa son pantalon, puis son tee-shirt. Il quitta la chambre en quelques secondes, ayant l’impression que ses tentatives pour inspirer de l’air pouvaient s’entendre à des kilomètres.

T’es un bonhomme ou pas ?

Thibault savait pertinemment que ses sens le trompaient. Mais il avait l’impression de renifler cette odeur d’anis à plein nez. Il détestait cette odeur, ce goût au point de ne jamais avoir pu cuisiner avec. Il enfila ses chaussures au bas de l’escalier, s’y reprenant à plusieurs fois pour réussir ses lacets. Il se redressa, se balança et retrouva une sensation rémanente dans son intimité, comme un souvenir de ce qu’il avait fait avec Dalil. Ce n’était pas douloureux, mais c’était là, et il le savait autant qu’il le ressentait.

Flèche bondit alors qu’il ouvrait la porte, pensant sans doute à une balade nocturne.

« Non ! chuchota Thibault. Non, tu ne viens pas ! »

Il sortit sans prendre le temps d’attraper la clé pour verrouiller la porte, Dalil avait raison, il n’y avait rien à voler chez lui. Il prit de suite le sentier au-dessus de la maison, celui qui l’emmènerait au champ de papillons. Il n’irait pas jusque-là, il avait seulement besoin de s’éloigner un peu, il avait besoin d’air, de sentir la nature, d’oublier les mots. Durant dix bonnes minutes il navigua entre les arbres sans leur prêter la moindre attention, il connaissait ces bois par cœur, il pouvait s’y perdre et s’y retrouver, même de nuit.

Il s’arrêta devant une souche d’un arbre découpée proprement par les gardes forestiers. La fraîcheur de la nuit courait sur sa peau et faisait dresser ses poils sur ses avant-bras.

Tu sais qui fait ça ? Les petits enculés ! T’es un enculé ou pas ?

Oui, oui, il l’était apparemment. Et il ne regrettait rien du tout. Il voulait juste extirper les mots, les souvenirs de sa tête, il voulait empêcher la honte d’y entrer, parce qu’il n’y avait aucune honte à avoir. Il avait aimé tout ce que Dalil avait fait. Tout ce que lui-même avait fait. Il parcourut encore une centaine de mètres, là où il serait sûr que plus personne ne l’entendrait, plus personne ne le verrait. Parce qu’il avait le droit de crier, d’être en colère, mais seulement dans une certaine mesure, il avait le droit à une souffrance codifiée.

Il pouvait être triste et maudire les aléas de la vie. Sauf que les aléas de la vie, c’était cet entêtant parfum d’anis. De nombreuses fois, de trop nombreuses fois, jusqu’à ce moment fatal. Ça n’avait rien à voir avec le destin ou une quelconque fatalité. Non, tout ceci était évitable, tout aurait pu être empêché, si seulement quelques personnes avaient dit à son père qu’il buvait trop, que ce n’était pas festif, mais maladif. Si seulement toutes ces personnes n’avaient pas détourné le regard.

Il sentit l’air entrer dans son corps, rejoindre son ventre, et il bascula la tête en arrière. Le hurlement le prit au dépourvu, mais il monta de son abdomen jusqu’à ses poumons pour jaillir hors de sa bouche dans un soulagement.

J’ai pas entendu ! T’es un pédé ou t’es pas un pédé ?

« J’en suis un, murmura Thibault. Et je t’emmerde, papa. »

* * *

La poigne sur son épaule lui faisait mal, mais toujours moins que sa cheville qui semblait lui envoyer des décharges électriques. Thibault serra les dents et tenta de rester debout. Son père se tourna vers Didier, leur entraîneur.

« Je l’emmène au vestiaire. C’est sans doute rien. Un peu de glace et il revient sur le terrain.

– Ok, acquiesça Didier avant de baisser les yeux vers Thibault. Ne force pas, si tu as mal, tu arrêtes. »

Thibault hocha la tête tout en sentant l’emprise de la main de son père se refermer sur la manche de son tee-shirt. Il boitilla, étant traîné à moitié jusqu’au vestiaire. Une fois à l’intérieur, le silence se fit. Ce n’était qu’un match, c’est ce que tout le monde disait, sauf que pour son père, ça ne l’était pas. C’était une façon d’être, de vivre. Thibault claudiqua jusqu’à un banc et retira sa chaussure en grimaçant, puis sa chaussette. Sa cheville était déjà enflée. En regardant à peine, son père plaqua une poche de glace dessus.

« Dix minutes et tu y retournes.

– Didier a dit…

– Il a dit, si tu as mal. Mais on est d’accord qu’il y a « avoir mal » et « avoir mal », n’est-ce pas, Thibault ? »

Il hocha la tête et essaya de ne pas respirer. Son père avait squatté au bar dès leur arrivée. Et Thibault espérait réellement qu’il s’était contenté d’un café ou d’une bière. Mais l’odeur piquante de l’anis ne lui laissait aucun espoir. C’était même pas onze heures. Il détestait les week-ends, il détestait les samedis de matchs.

« Repose-toi, je reviens te voir. »

Quand il fut parti, Thibault souleva la poche de glace et tenta de faire pivoter sa cheville. Il y arriva, mais au prix d’une forte douleur. Il poussa des deux mains sur le mur et se mit debout, en appui sur sa jambe. S’il ne bougeait pas, il n’avait pas trop mal. Juste des larmes qui montent aux yeux, juste le mollet qui tremble, juste l’envie de serrer ses dents pour s’empêcher d’hurler. Il se laissa tomber sur le banc.

Ce n’était qu’un match entre ados de douze ans, rien de sérieux, rien d’important. Bien sûr, ils étaient en passe de gagner le tournoi. Mais il y aurait un match retour. Ce n’était pas grave s’il ne jouait pas. Il n’était même pas franchement bon en plus.

Le temps passa trop vite, et en levant les yeux sur la vieille horloge du vestiaire, Thibault se rendit compte que son père lui avait laissé à peine cinq minutes. Juste le temps de s’envoyer un autre pastis.

« Allez, remets ta chaussure, tu y retournes.

– Papa, j’ai vraiment mal et…

– Tu comptes laisser tomber ton équipe ? »

Thibault se mordit les lèvres.

« Je crois que je me suis cassé la cheville.

– Oh, chochotte. Crois-moi, le jour où tu te casseras quelque chose, je serai le premier au courant, je t’entendrai hurler à dix kilomètres. Arrête un peu, c’est rien qu’une petite foulure.

– J’arrive pas à marcher, papa. »

Son père fit deux pas vers le banc, attrapa son bras et le tira brusquement. Thibault eut le réflexe idiot de retenir le cri de souffrance.

« Mais si, regarde. Il faut parfois faire abstraction de la douleur. Tu crois quoi ? Que chaque fois que j’avais un petit bobo, je quittais le match ? Que c’est comme ça qu’on devient un bon joueur ? »

La main se referma sur son bras et lui fit faire quelques pas.

« Tu sais comment on devient un bon joueur ? »

Il secoua la tête, même s’il n’avait pas envie de l’entendre. Parce qu’il connaissait le discours par cœur. Il avait peur des mots qui allaient sortir, ces mots qui lui vrillaient le ventre. Parce qu’il avait des questions plein la tête, mais aussi des certitudes. Celle qu’il n’aurait pas dû entendre ces mots proférés comme des insultes.

« On ne laisse pas tomber ses coéquipiers, assena son père. Il n’y a que les petits enculés qui laissent tomber leurs coéquipiers en plein match. »

Il le rassit avec brutalité et lui lança sa chaussette et sa chaussure.

« Je suis pas le père d’un petit pédé, n’est-ce pas ? »

L’odeur d’alcool flottait autour de lui, comme un magma acre et brûlant. Les mains tremblantes, Thibault renfila sa chaussette, puis sa chaussure. Son père s’accroupit devant lui, et serra les lacets fortement. Les larmes embuèrent les yeux de Thibault, mais il fit un effort pour ne pas les laisser couler.

« Alors ? T’es un petit pédé ? »

Thibault respira malgré lui le souffle anisé et secoua la tête.

« J’ai pas entendu ! T’es un pédé ou t’es pas un pédé ?

– Je le suis pas.

– Alors, prouve-le. »

Le soir-même, sa mère le conduisit aux urgences et il en ressortit avec une attelle pour une entorse bénigne. Son père s’excusa succinctement, arguant qu’il ne pouvait pas savoir, que lui avait joué avec des doigts cassés, littéralement cassés. Et Thibault avait surpris son regard sur lui, un regard empli de fierté, et il en avait été à la fois horrifié et pendant une seconde, étrangement heureux malgré lui de provoquer cette satisfaction chez son père.

Son fils n’était pas un petit pédé.

* * *

Dalil sentit un truc humide sur sa joue et il l’écarta. Il devait rentrer à l’intérieur du van avant la rosée du matin, mais à la place, il attrapa son duvet pour le relever sur son visage. Il le trouva bien trop doux. Puis, il se rendit compte qu’il ne dormait pas à la belle étoile, mais dans le lit de Thibault.

Le truc humide se recolla contre lui, contre son front cette fois puis un souffle et un gémissement se posèrent sur sa peau. Dalil sortit entièrement la tête de sous la couette et une langue l’accueillit. Pas du tout celle qu’il souhaitait. Flèche lui colla une énorme léchouille du menton jusqu’au milieu du front et Dalil pinça les lèvres de dégoût. Quand le chien mit les deux pattes avant sur le lit, bien décidé à monter, Dalil tendit la main en arrière et n’y rencontra que le vide. Il se retourna brusquement et observa la place laissée libre dans le lit.

Flèche cogna sa tête contre son torse en gémissant.

« Oh non, je me suis déjà fait avoir par un chat machiavélique, je vais pas me faire avoir par un chien baveux. Thib ? appela-t-il. »

Il n’y eut aucune réponse et il sortit du lit en maugréant. La porte de la chambre était restée ouverte, et ce fourbe de chat en profita pour s’incruster dans la pièce. Il sauta sur le lit et s’installer bien au milieu.

« Ne profite pas trop, je reviens, menaça Dalil. »

Oz prit la menace au sérieux, il lui adressa un bâillement d’effroi. Dalil esquissa un sourire avant de descendre les escaliers. Il ne savait pas vraiment pourquoi il se levait, Thibault était sans doute aller boire un coup ou aux toilettes, peu importe. Mais dans ce cas, pourquoi n’y avait-il plus que les fringues de Dalil sur le sol de la chambre ? Il sentait que quelque chose lui échappait. Il arriva au rez-de-chaussée et découvrit Flèche, collé à la porte, ses pattes grattant le bois.

« T’as toujours pas le droit, mon grand, désolé. Thib ? Thibault ? »

Tout en maintenant Flèche par son collier, Dalil ouvrit la porte d’entrée et observa la pénombre alentour. Il n’avait aucune idée de l’heure qu’il était. Le jour ne perçait pas encore dans le ciel sombre. Flèche couina et voulut s’élancer vers la montagne.

« Non ! gronda Dalil. Thibault ? »

Le silence devenait angoissant. Il tira le chien à l’intérieur, referma la porte. Ce n’est qu’une fois au bas des escaliers qu’il constata qu’il manquait les chaussures de Thibault. Ok, peut-être que leur nuit n’avait pas été ce qu’attendait le jeune homme. Peut-être qu’il n’avait pas réussi à lui donner un souvenir suffisant pour le garder au chaud tout l’hiver ou pour…

Effacer un mauvais souvenir.

Bordel, il était tellement obnubilé par ses propres problèmes qu’il avait vu en Thibault qu’un gamin curieux de découvrir le sexe. Il remonta l’escalier rapidement, s’habilla en un clin d’œil et redescendit tout aussi vite. Flèche était toujours près de la porte à gémir.

« Ok, je sais pas si tu me fais vraiment un remake de Lassie, ou si tu me prends pour un con, mais je tente ! »

Il attrapa une nouvelle fois le collier du chien et ouvrit la porte.

« Trouve Thibault, ordonna-t-il. »

Flèche s’élança, fut bloqué par la poigne de Dalil et se tourna vers lui, semblant lui dire : « et tu veux que je fasse ça comment si tu me tiens, bipède sous-évolué ? ». C’était impressionnant comme les animaux de Thibault pouvaient faire passer un message rien qu’avec une attitude. Dalil observa la nature et desserra lentement ses doigts. Il aimait cet endroit avec Thibault, mais seul, il n’était pas sûr de ressentir la même chose.

« Va ! Je te suis ! »

Flèche se précipita vers le portillon et sauta par-dessus d’un bond, faisant comprendre à Dalil qu’il restait dans le jardin parce qu’il le voulait bien et non parce que cette stupide porte l’empêchait de sortir. Ce dernier le suivit à toute vitesse, persuadé que le chien allait disparaître en quelques secondes. Mais quand il sortit du jardin, il s’aperçut que Flèche l’attendait à l’orée du bois. Les arbres semblaient se pencher vers eux et un petit vent chaud faisait vibrer leur feuillage. Alors, là, si on n’était pas en plein dans un scénario de film d’horreur ! Malgré cela, Dalil suivit le chien sur le sentier, se reprochant de n’avoir pas pris son téléphone pour s’éclairer. Heureusement, la lune était à sa moitié. Pendant de longues minutes, crapahutant sur le chemin, se raccrochant parfois aux branches basses, il fut persuadé que Flèche le faisait tourner en bourrique. Dalil se traita d’idiot en se rendant compte qu’il n’avait même pas été jeté un œil au fournil. À cette heure, Thibault aurait eu plus tendance à se trouver à faire tourner son pétrin qu’à se balader en pleine forêt. Il se tourna essaya de deviner si une des lumières en contrebas était celle du fournil, mais elles semblaient se situer davantage vers le centre du village que sur le flanc de la montagne.

Toute pensée cessa quand un hurlement s’éleva non loin de lui, si fort qu’il n’arrivait pas à savoir d’où il venait, il emplissait seulement l’air, semblant lâché dans l’espace pour y resonner le plus possible, comme s’il avait été retenu trop longtemps. Ce n’était pas un cri, c’était une plainte, longue, déchirante et emplie de douleur. Une douleur qui devait se trouver tout au fond du coffre au trésor verrouillé à double tour, une douleur qui ne devait jamais sortir, être vue ou entendue. Parce que personne n’avait de mots pour apaiser une telle peine. Flèche couina et s’enfonça dans les fourrées d’un bond.

« Attends ! s’écria Dalil. Bordel ! »

Il entendit les échos de ce cri, des souffles heurtés et douloureux, et se dirigea vers eux. Et la voix rauque de Thibault lui parvint.

« Va-t’en ! »

Pendant une seconde, Dalil crut que cet ordre lui était destiné.

« Va-t’en, Flèche ! Rentre à la maison. »

Dalil aperçut enfin Thibault, agenouillé sur le sol, repoussant son chien. L’animal gémit, fit demi-tour pour venir heurter les jambes de Dalil de son flanc.

Thibault suivit des yeux Flèche et aperçut Dalil. Il accrocha le regard incertain et soucieux du cordiste, son corps tracé et les souvenirs de leur nuit revinrent, le réchauffèrent une seconde et puis, sans que Thibault le veuille, les mots dégringolèrent dans sa tête, et cette fois, ce n’était plus une question attendant une manifestation de virilité idiote, mais une affirmation sombre et déçue.

Mon fils est un petit pédé.

Il grimaça et sentit les traits de son visage se tourner dans trop de sens pour que Dalil put en ignorer la souffrance. Il détourna les yeux, et à nouveau, le souffle sembla lui manquer. Puis il sentit des mains froides et rugueuses sur ses épaules, puis sur son cou et sa tête fut attirée sur un torse au tee-shirt légèrement humide, à l’odeur toute pleine de caresses et d’étreintes.

Il n’y avait pas de mots ou, s’ils existaient, Dalil ne les avait pas. Alors, il se contenta de s’agenouiller et de plaquer la joue de Thibault contre lui, de refermer ses bras autour de ses épaules et d’attendre que ça passe. Mais Flèche avait une autre méthode. Il gémit d’abord, leur rentra dedans ensuite, puis il balaya leurs visages de sa queue touffue plusieurs fois. Jusqu’à ce que Thibault laisse échapper un rire.

« Si j’avais su qu’il fallait que je te balance ma queue dans la figure, j’aurais commencé par ça, marmonna Dalil.

– La tienne est beaucoup moins grande et moins poilue.

– Et j’en suis plutôt content. »

Ils pouffèrent tous deux. Dalil s’éloigna un petit peu et releva Thibault en même temps qu’il se redressa, mais il garda ses mains posées sur le corps du jeune homme et les remonta jusqu’à son visage.

« On rentre, dit-il doucement.

– Oui. Merci. »

Dalil acquiesça d’un air incertain, il ne voulait pas savoir pourquoi exactement Thibault le remerciait. La tête du jeune homme se courba une dernière fois contre lui, frôlant ses doigts et ses paumes, s’y posant une seconde avant de s’éloigner, éphémère comme le toucher d’un papillon.

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