Jeudi 14 juillet 1988. 19h. Café du Petit Marcel.

La porte des toilettes pour dames claqua derrière eux. La cliente qui en sortit mit sa main devant la bouche, honteuse de s’être fait remarquer de la sorte. En repassant devant eux, Philippe l’apostropha :

— Excusez-moi madame…Ça y est les filles…heu les garçons, j’ai retrouvé ! dit-il fièrement.

— Retrouvé quoi ? s’étonna Rickie.

— Retrouvé quoi ? s’étonna doublement la cliente.

— Nuit d’Ambre n°3 ! Vous le portez merveilleusement bien madame, si je puis me permettre.

— Oh, merci jeune homme, c’est très aimable à vous ! répondit-elle agréablement surprise mais un peu gênée en même temps.

— Mais non, tout le plaisir est pour moi. Un cadeau de monsieur je présume ?

La cliente se retourna vers son mari qui paraissait être mécontent d’être tout seul sagement à attendre.

— Oui tout à fait. Mais vous êtes devin ma parole !

— Non, seulement le meilleur conseiller-parfumeur des Grandes galeries de la ville, pour vous servir madame ! lui répondit-il avec une voix suave travaillée.

La cliente eut un petit rire devant son jeu exagéré.

— Mais si je puis-je me permettre de nouveau…Quand je vous regarde, votre allure, votre visage, vos yeux, je me dis que vous devriez essayer Le Lagon Bleu. Il vous irait à merveille !

La cliente écarquilla les yeux plein d'étoiles.

— Vous savez flatter les femmes, vous dis-donc. Je peux vous faire une confidence ? dit-elle à demi-mot en se retournant de nouveau vers son mari dont la tête indiquait une impatience manifeste.

— Mais bien sûr allez-y, je suis toute ouïe !

— Allez c’est parti pour le show, s’exclama joyeusement Lucas, qui ne perdait pas une miette du futur spectacle qui s’annonçait.

— Nuit d’Ambre n°3…Entre nous…je le trouve, comment dirais-je…classique…

— Mais…intemporel ! acheva Philippe.

— Oui, c’est ça, c’est exactement ça !

— Mais classique, nous sommes bien du même avis. Alors que Lagon Bleu, il vous transporte, vous anéanti de plaisir dès les premières fragrances, vous rend toute folle…poursuivit Philippe dans un élan théâtral.

— Vous êtes doué, c’est incroyable. Ma meilleure amie a employé mot pour mot ce que vous venez de décrire. Mais je dois bien vous avouer que je le trouve un peu osé…c’est bête, non ?

— Mais pas du tout, je comprends. Sauf que si vous le portez, c’est votre mari qui n’en reviendra pas. Rassurez-vous, face à Nuits d’Ambre n°3, il ne sera pas vexé, au contraire. Il vous remerciera. Vous pourrez faire de lui tout ce que vous voudrez ! Il sera à vos pieds quand il vous…

Rickie donna un grand coup de coude dans les côtes de son petit ami.

— Vous êtes polisson jeune homme !

— Et….vous êtes en vacances pour le week-end ? se rattrapa sagement Philippe.

— Disons que nous venons profiter de ces quelques jours pour souffler un peu. Le magasin de chaussures de mon mari nous prend tout-notre-temps ! Et c’est l’occasion aussi de rendre une petite visite à notre fils. Cela fait longtemps que nous ne l’avons pas vu. Nous voulions lui faire la surprise, dit-elle à la fois ravie et pleine de doute.

— Vous avez bien raison. La famille c’est important, répondit Philippe en se tournant vers Rickie, d’un air appuyé.

— Oui, je le pense aussi. C’est ce que je me tue à dire à mon mari. Mais malheureusement, notre séjour commence mal. Nous sommes arrivés ce matin et la voiture de mon mari a malencontreusement rencontré le mur alors qu’il stationnait. Nous voilà bien embêtés un jour férié. À l’hôtel où nous sommes descendus, ils ont eu la gentillesse de nous assurer qu’ils appelleraient demain à la première heure un garagiste. Mais mon mari comme vous pouvez l’imaginer est contrarié.

— Écoutez madame, si je puis me permettre à mon tour, annonça Lucas.

Tous les trois le regardèrent.

— Laissez-moi passer un coup de fil. Je pense que je peux faire quelque chose pour vous.

— Ça serait formidable ! dit la cliente tout enjouée, faisant signe à son mari de venir la rejoindre. Celui-ci se leva de mauvaise grâce et vint à leur rencontre.

— Seigneur dieu, Jean, c’est formidable ! Ce jeune homme pense qu’il peut faire quelque chose pour notre voiture !

— Mais comment ça Marie-France ? répondit Jean interloqué.

Lucas leva le pouce en direction de la cliente.

— Alphonse est dispo même un jour férié, vous avez de la chance ! Il s’y met dès ce soir s’il peut. Toujours prêt à rendre service, j'en étais sûr. Le plus simple, monsieur, c’est de prendre la communication vous même, vous pourrez lui indiquer où votre véhicule est stationné.

— Merci beaucoup jeune homme. Vous êtes bien aimable. Vous nous enlevez une sacrée épine du pied. Je saurai m’en souvenir !

Jean Lapierre s’empressa de prendre le combiné gris.

— Oh, je suis si contente, vous ne pouvez pas imaginer. Nous qui avons trouvé votre établissement par hasard, alors que nous nous apprêtions à nous rendre chez notre fils…et nous voilà, accueilli chaleureusement…

— Tout est arrangé Marie-France. Le garagiste sera là dans trente minutes. Nous avons juste le temps de nous rendre sur place, dit-il en regardant sa montre.

— Parfait Jean ! Et bien messieurs, nous allons devoir vous quitter. Merci encore pour tout !

— Et n’hésitez pas à passer aux Grandes galeries demain si vous voulez, je pourrais vous conseiller, dit Philippe en lui faisant un clin d'œil.

Jean regarda Marie-France, suspicieux, mais celle-ci lui montra la sortie en tapotant sa montre.

— À très vite, messieurs dames, nous passerons vous donner des nouvelles ! dit-elle déjà dehors en trottinant derrière son mari qui ne l’avait pas attendue.