Chapitre 11 : I must find a boyfriend
Vendredi 15 juillet 1988. Après-midi.
L'asphalte du parking de l’aéroport était brûlant. Le chapeau de paille à larges bords de Barbara la protégeait à peine. Il faisait si chaud ! Et cela allait être pire dans la voiture de Rickie ! L’avion qui passa au-dessus d’eux devait probablement être celui dans lequel étaient montées sa sœur, Zofia et son amie Marianne. Bon voyage les filles, vous me manquez déjà. Émue, elle s’assit du côté passager, pendant que Rickie refermait le coffre de la voiture. Il vint prendre place à son tour, avec une bouteille d’eau fraîche à la main. Il lui en proposa.
— Il nous en reste encore une dans la glacière.
Barbara en but une bonne gorgée.
— Ne sois pas triste et sèche tes larmes s’il te plait. Je ne sais pas quoi te dire de plus. Tu vas leur manquer aussi. Et puis c’est l’affaire d’une petite année ! C’est quoi un an, c’est rien…enfin, ça va passer vite, quoi. Vous vous écrirez. Le téléphone ça existe, non ?
Barbara essuya ses yeux mouillés.
— Merci, you’re so sweet. Je n’arrive pas à réaliser que ma petite sœur est une grande et belle jeune fille. Elle n’a plus besoin de moi.
— Tout de suite, les grandes phrases !
— Heureusement que Zofia ne part pas toute seule à Londres. Mon père, avec son travail à l’ambassade, saura se libérer pour elle. Il nous l’a rappelé dans sa dernière lettre pour nous rassurer. Il a même tout prévu pour leur arrivée.
— Je ne me fais aucun souci pour ta sœur. N’oublie pas, elle est avec Marianne. Avec sa grande gueule, les british n’ont qu’à bien se tenir.
Rickie réussit à lui arracher un sourire.
— Je vais faire quoi, moi maintenant, toute seule dans mon appartement, au-dessous des toits ? Passer mon temps à regarder par la lucarne, les fenêtres de l’université et voir les étudiants s’ennuyer ?
— Oh, tu exagères, tu n’es pas une femme à déprimer. Tu as bien d’autres occupations plus intéressantes ! Tu vas bientôt avoir 24 ans avec plein de projets à réaliser. Justement, tu m’as encore dit le mois dernier que tu en avais assez de travailler dans l’épicerie de ton oncle. Ton envie d’être guide touristique, ça en est où ?
— Tu sais, ce n’est qu’une envie. Pour cet été, c’est raté de toute façon. Je ne suis pas encore décidée, dit-elle, songeuse.
Depuis que Zofia avait annoncé son désir de partir pour Londres, Rickie voyait bien que son amie n’était pas au meilleur de sa forme. Elle qui prenait tant soin des autres ! Il savait de quoi il parlait. Elle avait été si présente pour lui lorsqu’il n'arrivait pas à se libérer de l’emprise de Marc.
— Je ne sais pas ce qui m’arrive. Et ce n’est pas uniquement à cause de ma sœur, tu sais. Je n’aime pas être comme ça. C’est vous, les Français à toujours vous plaindre, à crier pour un oui ou pour un non ! Me voilà contaminée, alors que le soleil est là !
— Hors de question de s’apitoyer ! Tu me l’as assez répété, souviens-toi.
— Oui c’est vrai, tu as raison. Shame on me.
Rickie démarra la voiture et sortit du parking, non bien sans mal.
— Devine qui viendra te réclamer des litres de thé russe et refaire le monde avec toi ? insista-t-il pour l’encourager.
— Ah non, je te l’interdit. Tu as suffisamment ruminé dans mon appartement tout l’hiver. Maintenant que tu as trouvé la perle rare, profite-en.
Rickie lui sourit.
— Je ne m’attendais pas à ce type de prince charmant…mais il est wonderful, vraiment ! lui assura Barbara.
— Un mec sportif de 25 ans, un mètre quatre-vingt cinq, quatre-vingt kilos, qui va à la salle de sport trois fois par semaine, moi non plus, je ne m’attendais pas à lui ! Il est si attentionné avec moi, lui au moins. Je crois qu’il est vraiment amoureux. Et moi aussi. Mais chuuut, je ne lui ai encore rien dit.
— Je le revois encore, la première fois où il est arrivé au Petit Marcel, dit Barbara.
Rickie s’en souvenait très bien lui aussi. C’était pour ce garçon, son premier jour en tant que responsable du rayon parfumerie des Grandes galeries, dans lesquelles il avait été engagé. Il était arrivé en ville quelques semaines auparavant seulement. Il ne connaissait personne, hormis une vieille cousine éloignée.
— Il t’a directement dragué en t'offrant un verre !
— Que j’ai refusé poliment ! Les mecs dans son genre, c’est à peine s’ils savent que des types comme moi existent !
— Je peux te dire qu’il y avait deux, trois jaloux ce soir-là, observa Barbara.
— Je ne te crois toujours pas. C’est impossible.
— Et dire que pour une fois, c’est toi qui as ignoré un garçon ! Heureusement, il ne s’est pas avoué vaincu aussi facilement.
— J’ai appris à aimer qu’on me fasse la cour, répondit Rickie, une pointe de fierté dans la voix.
La parade amoureuse avait duré trois semaines où ils avaient joué au chat et à la souris. Il revoyait encore Philippe, venir s’installer à leur côté, et participer le plus naturellement du monde aux conversations du comptoir. Lucas avait facilité leur rapprochement en leur lançant des perches pour qu’ils fassent connaissance.
— C’était presque devenu comique entre vous. Je le revois encore t’apporter des échantillons de parfum, t’offrir des verres que tu prenais plaisir à refuser.
— Hé, oh ! Pas à chaque fois, quand même !
— Et puis un soir, vous êtes repartis ensemble. J'étais trop contente d’avoir gagné mon pari avec Lucas ! se réjouit Barbara.
— Ça a dû faire les gorges chaudes au Petit Marcel !
— Joker mister !
— J’ai encore du mal à croire qu’il se soit intéressé à moi.
— Ah non, ne recommencez pas à douter monsieur Frantzmann ! C’est fini tout ça. Vous me le jurez ?
— Oui madame Kozlowski, mais à une condition.
— Oui, je sais. I must find a boyfriend ! Ne t’inquiète pas pour moi, répondit-elle avec un petit sourire.
— Oh, toi tu me caches quelque chose. Ça tombe bien ! Le trajet du retour va être long et c’est l’occasion de tout me raconter !
— Mais je n’ai rien à te confier pour l’instant !
— Même pas ce beau Brésilien que j’ai vu tourner autour de toi ?
Soudain, Rickie pila de toutes ses forces, en klaxonnant frénétiquement une voiture qui avait manqué une priorité.
— Non mais ça va pas, connard ! Il est dingue celui-là !
L’autre voiture pila elle aussi brutalement. Son conducteur aboyait dans l’habitacle et lui fit un doigt d’honneur. Stupéfait, Rickie le regarda droit dans les yeux. Pour répondre à son geste, il préféra mettre son majeur dans sa bouche et le sucer de manière suggestive. Le conducteur, offusqué, fila sans attendre.
— Qu’est-ce-que je te disais Rickie ! Vous, les Français, vous passez votre temps à gaspiller votre énergie pour rien, dit-elle, amusée.
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