Chapitre 19 : Epilogue (première partie)
Jeudi 21 juillet 1988. 23h30. Appartement de Tristan.
Comme chaque jour depuis le début de la semaine, Lucas était allé courir dans le parc de la ville très tôt le matin. Une respiration fluide, un rythme cardiaque régulier, un sourire aux lèvres. Une course parfaite en somme. Un bien-être complet. Lorsqu’il était arrivé au Petit Marcel, la clarté de ses sentiments avait pointé le bout de son nez. La bonne humeur l’avait accompagnée toute la journée, pour son plus grand soulagement. Et celui de Marie, enchantée de retrouver un visage jovial et plus détendu à ses côtés. Alors, lorsque Lucas frappa discrètement trois coups à la porte de chez Tristan, il était résolument décidé. Il avait passé assez de temps à réfléchir, à se torturer le cerveau, encore et encore. Quatre jours qu'il ne l'avait pas vu. Il était évident qu’ils n'allaient pas pouvoir s'éviter comme ça encore longtemps !
Quant à Tristan, il avait passé un début de semaine difficile, encore déboussolé par la visite surprise de ses parents dans son appartement. Il s’était senti à l’étroit, étouffé par leur présence non désirée. La grande discussion attendue des Lapierre avait bien eu lieu. Chacun y avait mis du sien. Et sa colère était finalement retombée assez vite, son esprit accaparé par le visage de Lucas. Comme si sa force, son enthousiasme avaient pris le relais. Tristan avait alors trouvé le courage de parler à ses parents honnêtement, sans ressentir le besoin de se justifier. Juste leur expliquer ce qu’il voulait faire de sa vie et ce qu’il avait entrepris pour y correspondre au mieux. Son père avait sagement écouté et consenti qu’il s’en sortait plutôt bien. Sa mère avait fini par proposer d’aller au restaurant, pour fêter leur réconciliation. Tristan s’était laissé porter, libéré d’un poids. De retour chez lui, il avait été soulagé de se retrouver seul. La musique l’avait enveloppé doucement, réconforté, apaisé. Il avait réalisé que la présence de Lucas dans sa vie était vraiment précieuse. Alors, pourquoi l’avait-il embrassé bêtement ! Par provocation stupide envers son père, ça il ne pouvait pas le nier. Mais était-ce l’unique raison ? Il n’avait qu’empirer les choses entre lui et le serveur. Il s’en voulait. Au point de ne pas être descendu le lundi matin au Petit Marcel prendre un café, comme à son habitude. Et surtout s’excuser. Les jours suivants, son travail l’avait totalement accaparé, comme une fausse excuse pour ne plus avoir à réfléchir à lui.
Ce soir-là, en rentrant chez lui, il trouva un petit message, glissé sous le cendrier, sur le palier.
Tristan, faut qu’on parle. Je passerai ce soir après la fermeture.
Trois petits coups frappés à la porte qu’il reconnu tout de suite. Nerveux, il ouvrit immédiatement et pria Lucas d’entrer. Le serveur constata que son hôte portait son éternel short kaki délavé ainsi que son t-shirt jaune soleil, laissant deviner quelques poils de son torse. Et cela pour son plus grand plaisir. Il ne put s’empêcher de se mordiller la lèvre inférieure. Tu ne me facilites pas les choses Antonio, ton bronzage et cette petite boucle d’oreille te donnent un charme fou.
— Tu veux une bière ? demanda Tristan pour la forme.
Lucas lui répondit par la négative.
— Merci d’être passé. Il fallait qu’on parle, effectivement. Je ne tournerai pas autour du pot. Je suis désolé de t’avoir embrassé devant mes parents et nos amis. C’était ridicule et puéril de ma part, de m’être servi de toi, s’excusa-t-il.
Lucas prit acte, avec un petit sourire gêné.
— Oui, plutôt surprenant on va dire, même si de mon côté je n'ai pas détesté. Et rien que de voir la tête de tes parents, ça valait le coup. Pardon, je me moque, tu ne m’en voudras pas. En revanche, en ce qui me concerne, je ne suis pas désolé de t’avoir embrassé. Ce que je t’ai dit, je le pensais vraiment, tu sais. Tu me plais vraiment, continua Lucas, d’un demi sourire.
— Je sais. Et je ne sais pas quoi en faire, Lucas. Je t'apprécie, tu le sais. Tu es devenu en l’espace de quelques mois très important pour moi. Ça ne se dit peut-être pas entre mecs, mais saches que je t’aime moi aussi. Mais à ma façon. Tu sais bien que je suis branché filles.
— J’en suis conscient, à moi de me faire une raison, répondit-il impuissant, mais sans être accablé autant que la dernière fois qu’ils s'étaient vus dans cet appartement.
— Ces quatre jours passés au bord de la mer m’ont permis de réfléchir. La discussion avec mes parents aussi.
— Et ils en disent quoi, tes parents ? demanda Lucas.
— De toi ?
— Mais non pas de moi, idiot. Moi on s’en fout. De ta vie ?
— Tu me crois si je te dis que c’est véritablement la première fois de ma vie que mon père me félicite ? Il paraît que, comme lui, j’ai le sens de la vente. Ce serait dû au fait de l’avoir vu travailler au magasin de chaussures, quand j’étais enfant…Bref, je t’épargne les détails. Il m’énervera toujours, à tout ramener à lui…, dit Tristan, laissant en suspens sa phrase.
— Ce sont des bonnes nouvelles, non ?
— Oui, je me sens plus léger. Ils ont vu que j’étais bien installé, responsable. Et surtout, que j’étais bien entouré. Ils ont été rassurés.
— Même après la démonstration du baiser enflammé au serveur ?
— Mon père, malgré tout ce que je t’ai raconté sur lui, est loin d'être bête et pas aussi borné que je le dis. Il a bien vu mon manège. La fougue de la jeunesse te dépasse mon fils m'a-t-il répété presque rêveur. Il n'a pas tort. Sache Lucas que pour eux, surtout ma mère, tu aurais fait le gendre idéal si tu avais été une fille.
— Oui, je veux bien te croire. Mais je suis un mec qui aime les mecs. C’est con pour moi.
Tristan hésita quelques secondes avant de répondre.
— Peut-être pour moi aussi alors...Après tout, il faut goûter à tout, non ? Qu'en penses-tu ? sourit Tristan.
Il s'approcha de lui, le prit par la taille. Lucas essayait de déchiffrer dans ses yeux ce revirement de situation auquel il ne s’attendait pas, mais vraiment pas du tout.
— T’es sûr Tristan, tu viens de me dire à l’instant que…, dit-il, reculant son visage du sien.
— Tais-toi et embrasse-moi.
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