L'Espoir fait Grandir
Et avec le printemps, la santé du royaume s’améliora considérablement. Bien qu’économiquement en difficultés, les récoltes furent bien meilleures d’année en année, permettant au pays et à ses seigneurs de relever la tête.
Avec l’arrivée des beaux jours, Els fut autorisée à retourner sur les terres de sa famille pour finir son deuil et partager quelques jours avec son père. Ils se rendirent ensemble pour la première fois sur la tombe de sa mère et lui apportèrent un bouquet d’iris bleus ainsi qu’une carte signée de la famille royale, qu’ils laissèrent là tout en échangeant leurs souvenirs autour d’un repas simple et frugal, une activité que feu la baronne avait toujours pratiquée lorsque les premiers jours de printemps se faisaient tièdes.
Les affaires de sa famille se stabilisèrent, sans s’améliorer pour longtemps et le Baron Hillisea, bien que n’ayant hérité de ce titre que par son mariage, apprit à gérer ses affaires sans sa femme. Cependant, chaque fois qu’il avait une question, il écrivait à sa fille, qui lui répondait du mieux qu’elle pouvait avec l’aide de son amie et de son professeur, et il n’hésitait pas à prendre des risques pour mettre en place de nouvelles stratégies parfois innovantes et audacieuses.
Els vit sa vie au château s’améliorer considérablement. Les gens la voyaient désormais comme une jeune fille capable et méritante, et nul n’ignorait quelle aide elle fournissait à son père. Les manipulateurs comprirent qu’ils ne parviendraient pas à se jouer d’elle et ceux qui avaient pitié se repentirent face à cette jeune fille qui avait considérablement grandi à travers cette épreuve. Il restait cependant qu’elle faisait un meilleur parti au fil des ans et que le nombre de jeunes filles jalouses de l’attention que l’on lui portait tout comme l’insistance parfois pataude des jeunes hommes et de leurs mères la mettait souvent mal à l’aise. Quelques veufs et autres personnes spirituels la considéraient toujours comme l’engeance d’un démon, une buveuse de vie, et semblaient condamner chacun de ses faits et gestes, mais ils n’étaient qu’une poignée d’ésotéristes inoffensifs.
Les printemps se succédèrent, les fleurs s’ouvrirent et se refermèrent, guidées par le soleil, la pluie et quelques bourrasques violentes, la terre s’assécha sous la colère céleste et les fleuves sortirent de leur lit, fertilisant les terres environnantes. Les vignes et les vins vieillirent et le Roi Arsène se réjouit de leur qualité, les vantant à tous ses ambassadeurs, grands amateurs de spiritueux, et autres amis portés sur la bouteille, redorant au moins la réputation de son confident. Chaque fois que l’automne venait, c’était une nouvelle cuvée qui rejoignait le cellier du château et autant de rumeurs sur sa fille qui parvenaient au père, qui s’empressait de lui écrire sa fierté et ses rires face aux on-dits infondés.
On l’appelait désormais la deuxième princesse, car l’une comme l’autre, bien qu’inséparables, avaient gagné autant en manières qu’en intelligence et pouvaient être échangées sans que le résultat ne changeât. L’excellence de leur éducation en faisait des dames prisées de toute la noblesse, l’une inaccessible et d’une noblesse d’air presque inconvenante, par rapport à sa camarade bien plus amicale et familière, mais tout aussi peu intéressée par une quelconque alliance avec une famille plus riche que la sienne. Si elles étaient en âge de se marier et qu’à leurs pieds grouillait depuis toujours un nuage de prétendants, elles s’y déplaçaient avec légèreté, sans se soucier de piétiner des susceptibilités.
Depuis dix ans qu’elles se connaissaient, elles avaient traversé d’innombrables situations et lutté contre des pratiques malveillantes et abusives que la noblesse, trop fière de son statut, s’autorisait de temps à autre. Si Sigrid avait parfois du mal à faire face à certaines contrariétés, Els la calmait immédiatement, et si cette dernière se perdait dans le chaos de ses pensées, c’était toujours son amie qui l’aidait à y remettre de l’ordre. Et si ni l’une ni l’autre ne trouvait de solution, alors leur alliance finissait par y parvenir. Elles étaient un exemple d’amitié et de fidélité comme on n’en voyait plus.
Devenus des jeunes femmes dégourdies, capables et réfléchies, les Gémeaux, comme on les surnommait, avaient su se rendre indispensables. Toutes deux savaient pertinemment, qu’un jour l’une d’elle devrait s’éloigner de l’autre pour un mariage ou pour soutenir sa famille et diriger ses affaires, mais elles s’étaient fait sans le savoir la même promesse que leurs mères avant elles. Où que tu ailles, je te suivrai, ne serait-ce que par la pensée et la plume. Et elles savaient qu’elles la tiendraient. Quel qu’en soit le prix.
À l’occasion de leurs vingt ans, qui avaient lieux à quelques jours d’écart, se tint une grande fête et une semaine de bals, de parties de chasse et autres journées festives. Le Baron Hillisea n’avait pu se libérer, mais le Roi et la Reine avaient conservé leur rôle de parents de substitution. Ils firent pour elle aussi bien que pour leur fille, et on loua longtemps et en tous lieux l’apparition exceptionnelle qu’elles firent ce soir-là.
L’on vit d’abord entrer une jeune femme à la stature affirmée, la taille soulignée par son corset d’or traversé d’une coulée de tissu vert qui semblait ensuite s’écouler tout autour de ses hanches en de longs pans de tissu imitant les teintes d’une forêt sous les rayons du soleil couchant. Ses bras et sa gorge, couverts d’autant de tissu aux teintes semblables, laissaient deviner un corps bien fait que surélevaient, nécessairement au vu des standards de beauté de l’époque, des pantoufles à talons qui avaient perdu les rubans de l’enfance. Son visage serein, au teint légèrement halé par le temps passé à l’extérieur, s’accordait avec ses cheveux bruns relevés en une savante coiffure qui lui permettait d’aborder une tiare dorée rehaussée de roses jaunes et ornée de pierres vertes, s’accordant avec la couleur de ses yeux affables, qui semblaient toujours sourire derrière son éventail qu’elle tenait du bout des doigts.
Et puis entra à son tour Son Altesse, qui dut se plier pour passer la porte. Les interminables pans de tissu aux couleurs du ciel nocturne et de son drapeau cachèrent un instant ses petits pieds maigres qui pourtant s’avançaient avec aisance et agilité dans ses ballerines presque plates. Le tulle cousu d’étoiles se souleva un instant sous l’effet de la douce brise qui entra par une fenêtre ouverte dans la salle de bal, donnant vie à la multitude de couches de tissu et aux boucles dorées qui dissimulaient en partie un visage de porcelaine, dont l’œil vert était dissimulé par une mèche longue, la seule de sa coiffure. Sur sa tête, la couronne d’apparat ornée de saphirs lui donnaient une importance qui surpassait jusqu’à celle que la toilette de sa mère, plus sévère, ne parvenait à effleurer. Dans ses fines mains gantées de bleu, son éventail semblait un papillon voletant de lui-même pour rafraîchir sa propriétaire.
Tous s’arrachèrent leurs danses et leurs sourires, mais la plupart savaient encore qu’ils n’avaient pas la moindre chance face d’obtenir plus d’elles. Tous, sauf les invités des pays voisins, le Sawalla et l’Orcratie, qui voyaient en elles les mêmes opportunités que le reste des soupirants.
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