Blizzard Intérieur
Il lui fallut un certain temps, à son réveil, pour se rendre compte que le vent ne soufflait plus, que ses oreilles ne tintaient plus, et qu’elle avait failli mourir. Voire pire. Dormir chez des inconnus, en position de faiblesse, dépourvue de tout papier d’identité, sa vigilance endormie, elle avait joué avec sa vie, avec son rang, avec son titre. Elle n’aurait simplement jamais dû se retrouver dans cette position. Elle savait que la tempête allait se lever, mais elle n’y avait ni pensé, ni réfléchi. Elle s’était forcée à avancer, malgré tout, elle avait joué avec la vie de sa monture, avec sa propre vie, elle s’était abandonnée aux périls sous le prétexte d’une mission qu’elle n’était même pas sûre de comprendre. Une vision magique, voilà pour quoi elle avait failli mourir. Elle s’était jetée à corps perdu dans la tempête pour réaliser une prophétie qui paraissait ridicule. En quoi empêcher le Roi de chasser allait-il changer quoi que ce soit à la situation ? Pourquoi une action si futile mettrait-elle en péril le Royaume ?
Sigrid avait raison. Se lancer seule dans cette quête était un risque qu’elle n’aurait pas dû prendre. Et elle l’avait pris quand-même, trahissant la volonté de son amie. Elle n’était même plus digne de la considérer comme telle, elle qui avait trahi sa confiance, soi-disant pour sa sécurité, mais elle n’en était plus si sûre.
Pourquoi était-elle là ? Pourquoi ses pas semblaient-ils l’avoir poussée jusqu’ici et abandonnée dans la neige, pourquoi était-elle encore en vie ? Dans cette transe qui l’avait conduite jusqu’au milieu de la Forêt des Sylphes, quand avait-elle pris la décision de continuer à avancer ? Avait-elle simplement considéré le retour en arrière ? La fuite ?
Jamais. Jamais elle n’aurait imaginé se dire qu’elle aurait mieux fait de prendre la fuite. Jamais elle n’aurait pris la fuite. Elle était bien trop persuadée de sa propre force, trop obstinée pour ne serait-ce que considérer qu’elle pouvait avoir tort. Elle voulait faire le bien, et elle le ferait. Sans penser aux conséquences, sans penser à elle, sans jamais penser qu’aux autres. Et à ce stade, ce n’était pas de l’altruisme, c’était de la bêtise.
Une bêtise qui lui aurait coûté la vie sans l’intervention de cette voix, de la voix du vent et du froid terrifiant qui l’avait poussée à trouver refuge n’importe où pour peu qu’elle y obtienne une chance de survie. Un refuge qu’elle avait obtenu comme une évidence, et dans lequel elle s’était invitée, installée, sans un mot, sans un remerciement.
Le peuple lui avait ouvert sa porte et elle s’était comportée en ingrate. En ingrate, en noble, en femme de cour.
Elle avait la bouche sèche, de l’amertume sur les lèvres et de la colère grondant dans la gorge. Il fallait que cela cesse, il fallait qu’elle reprenne ses esprits. Il fallait qu’elle cesse de se comporter comme une enfant. Comment avait-elle pu se déshonorer de la sorte ? Comment avait-elle pu déshonorer son nom, celui de Sigrid, celui du royaume en se comportant comme une malotrue ?
Ces questions se bousculaient encore dans sa tête lorsqu’elle se leva et constata que l’on lui avait déposé, sur le pas de ce qui faisait office de porte, ses vêtements séchés et pliés sur un banc, qu’elle se dépêcha d’enfiler, trouvant somme toute rudimentaire le confort de ceux que l’on lui avait prêtés. Non pas que les tâches et les coutures rapiécées la gênaient, mais qu’elle préférait le confort de ses propres affaires à celui du coton râpeux sur sa peau. Une fois cela fait, elle laissa son regard se promener sur l’extérieur de la chambre.
C’était une maison simple, de petite taille mais ordonnée et propre. Son sol de terre battue avait été balayé et ses murs de pierre avaient vu leurs trous couverts de chaume pour conserver la chaleur. Le feu, au centre de la pièce, illuminait les bancs alignés contre les murs et le plumage de quelques poules qui piaillaient dans les coins en picorant des graines. Au fond, un mur et un drap tendu maladroitement séparait la chambre de la pièce principale, et cette chambre menait elle-même à une autre petite chambre, une pièce minuscule mais qui donnait à leur fils un semblant d’intimité. Les lits étaient couverts de draps de coton et de quelques fourrures de mouton et de chèvre, dont l’odeur imprégnait encore les lieux.
« Vous êtes réveillée ? »
Le jeune homme qui lui avait ouvert la veille venait de rentrer et la première chose qu’il avait faite, en rentrant dans la pièce, avait été de lui adresser la parole. Quelque chose dans son attitude laissa Els sans voix, et sans doute était-ce le fait que malgré son habit commun, la future baronne n’avait pu s’empêcher de penser qu’il avait plus de charme que certains des princes qu’elle avait rencontrés.
« Mes parents sont aux champs, fit-il en lui laissant le passage. Ils m’ont demandé de prendre soin de vous le temps de votre... présence.
— Ne feriez-vous pas mieux d’aller les aider ? balbutia Els, qui n’était ni réveillée, ni très à l’aise. Je suis certaine qu’ils ont besoin…
— Ne vous inquiétez pas, ils ont déjà toute l’aide nécessaire. Ils vont simplement évaluer les dégâts. Je ne suis pas très doué pour ce genre de choses, alors je préfère me rendre utile en vous tenant compagnie. Et en vous préparant à manger, si vous avez faim. Non pas que ma cuisine soit aussi élaborée que celle du palais royal, mais j’espère que vous ne trouverez pas mes plats trop repoussants…
— Ne vous gênez pas pour moi, surtout, commença-t-elle en détournant le regard. Je partirai dès que possible. Je ne voudrais pas abuser de votre hospitalité. La tempête est passée, je vais reprendre la route, je n’ai pas le temps de...
— Je suis désolé de vous l’apprendre, la coupa-t-il avec douceur, mais votre monture est blessée. »
À ces mots, Els se laissa tomber sur un banc autour de l’âtre et soupira.
« Je suis vraiment une incapable, murmura-t-elle en se prenant la tête dans les mains. »
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