Préparatifs
Le lendemain matin fut productif.
Dès le lever, il leur fut conseillé de prendre un bain, de déposer leur correspondance en main propre avec les ordres les plus précis possibles, et de choisir leur tenue du soir. Pour Linden, le choix était mince, voire inexistant, et il fut convié par Els à ses essayages, grâce à la magie d’un paravent soigneusement décoré d’oiseaux exotiques peints avec des couleurs vives et qui dissimulait sa silhouette. Chaque fois qu’elle en sortait, il regrettait de ne pas avoir pris de feuilles, et il n’hésitait pas à montrer combien il appréciait ses tenues.
S’il y avait eu du public, son enthousiasme aurait sans aucun doute été atténué par un geste de sa maîtresse, qui savait que ces robes avaient appartenu à d’autres jeunes femmes nobles plusieurs saisons auparavant, et qu’une armée de couturières avait sans doute été chargée en dernière minute de lui concevoir une garde-robe à partir de restes, de chutes de tissu et de boutons perdus. Elle n’était pas suffisamment riche pour en faire élaborer autant, sur-mesure et dans un temps aussi court. Les pauvres femmes qui avaient dû travailler toute la nuit dessus méritaient leur paie et Els espérait de tout cœur qu’elles pourraient prendre un peu de repos.
« Alors, Linden, tu as des préférences ? lui demanda-t-elle en enfilant une robe de jour, alors que la cloche du repas de midi sonnait.
— Tu es très belle dans toutes ces robes, murmura-t-il, écarlate, en évitant son regard.
— Tu n’as pas de préférence, alors ? Tu es sûr ?
— La verte te va bien. La bleue aussi. La rouge… La rose… La jaune… »
Els manqua d’éclater de rire en l’entendant énumérer les couleurs. Il n’y en avait pourtant pas tant que ça, lui semblait-il, mais elle avait conscience d’avoir perdu le compte de ses essayages. Il était vrai que la plupart des couleurs, à l’exception du orange, peut-être, lui allaient. Elle était particulièrement remarquée lorsqu’elle portait du vert, mais ce n’était pas vraiment une situation où elle voulait être remarquée. Il lui fallait quelque chose de plus sobre, qui n’était ni du jaune, ni du rouge, et le bleu royal ne ferait que lui attirer la haine de la noblesse qui la verrait comme une parvenue avec un œil avide fixé sur le trône. Ce serait donc plutôt du rose, et cela tombait bien, parce qu’elle avait particulièrement apprécié les arrangements qui avaient été faits dessus, même s’il lui semblait avoir reconnu plusieurs pans de tissus comme des anciens rideaux, ou certaines broderies comme ayant appartenu à des coussins. Heureusement, leur arrangement passerait probablement inaperçu, personne ne devait s’attendre à les trouver là.
« Rappelle-toi, lui chuchota-t-elle avant de rentrer dans la salle à manger, tu suis mes gestes, et surtout tu ne manges pas tant que je n’ai pas commencé à manger. Et surtout pas avant que toutes Leurs Majestés n’aient commencé à manger. Discrétion, retenue et observation, compris ? »
Elle n’attendit pas qu’il lui réponde et se présenta à la porte, où on la fit attendre. Puis on lui annonça qu’ils mangeraient seuls, les plus nobles ayant choisi de se consacrer pleinement à la préparation de la soirée.
Ils mangèrent donc, Els suivant les mouvements de son suivant et corrigeant sa posture, lui donnant des conseils pour sourire naturellement et lever élégamment son coude lorsqu’on était face à une assiette de soupe. Leur repas fut assez bref, néanmoins, car il fut interrompu par l’arrivée du trousseau vestimentaire de Linden, qui dut par conséquent lui fausser compagnie. La jeune femme, un peu mal à l’aise de le laisser partir, n’eut bientôt plus le temps d’y penser et se permit d’arpenter les couloirs du château, le regard curieux et les oreilles aux aguets, n’hésitant pas à adresser la parole aux petites gens qui lui confièrent certaines rumeurs et autres histoires qui circulaient parmi eux.
La jeune femme fut la première à passer le pas de sa porte, portant on ne pouvait plus gracieusement ses jupes, son corset, ses talons et ses rubans, regrettant déjà le confort de ses vêtements de voyage.
Lorsque son ami passa la porte, suivi par un jeune valet habitué à ce genre de tâches, elle eut pour réflexe d’ouvrir son éventail pour dissimuler la moitié basse de son visage, rougissant sous son maquillage léger. Elle ne put s’empêcher de le trouver beau, même s’il avait l’air mal à l’aise dans son pantalon à la mode, avec ses bas blancs, sa culotte courte en coton rosé, sa chemise blanche et son gilet court, dissimulé sous une veste à boutonnage qui soulignait sa taille et s’évasait lentement jusqu’au haut de ses bas. S’il n’arborait pas de jabot, à l’inverse de la plupart des hommes ce soir-là, il portait un nœud papillon discret, qui mettait en valeur les motifs de son gilet, qui lui-même rappelait les broderies florales qui ceignaient ses poignets, son col et le haut de ses poches. Il allait tête nue et les cheveux libres, trop courts pour que l’on y attache le ruban à la mode. Ils étaient cependant coiffés proprement, égaux et rebondissants.
« Ne ris pas, Els, je t’en supplie, murmura-t-il en détournant le regard, écarlate. J’ai l’air…
— Tu as l’air… coincé, Linden. Détends-toi. Ça te va très bien. Ce n’est pas trop serré, tu n’es pas trop à l’étroit dans tout ça ?
— C’est plutôt à toi que je devrais poser la question. Comment tu respires ?
— Ah, ça ? fit-elle en baissant les yeux sur son corset. Non non, je respire très bien ne t’inquiète pas. Je ne suis pas comme ces coquettes à la recherche de la taille la plus fine, au contraire. Et la dernière fois qu’une femme s’est moquée de moi parce que je ne respectais pas la mode et cette idée stupide que moins on respire, plus on est belle, elle a fini par s’évanouir dans un des bassins du parc. »
Il hocha la tête. Le valet s’inclina et, sur un geste de la jeune femme, prit congé, tandis que Linden le suivait du regard.
« Tu t’es habillée toute seule ?
— Non, mais ma chambrière a été appelée en urgence par le Roi Carlos. Elle avait déjà fait le plus difficile, j’ai pu terminer toute seule. Allez, suis-moi, nous ne devons pas être en retard. Enfin, nous ne devons pas être trop en avance non plus, mais je crois que nous y serons très bien à l’heure. »
Els se mit en marche, ses jupes d’une teinte pastel balayant régulièrement le sol, accompagnant le claquement de ses talons. Ses mains gantées de blanc jouaient avec l’éventail de bois orné de roses pâles, un motif qui revenait discrètement sur les broderies qui garnissaient le tissu rosé vaporeux qui couvrait sa poitrine et ses épaules ainsi que ses jupes. Sa taille était mise en valeur par la pâleur du tissu tendu entre les baleines de son corset et sa petite taille disparaissait une fois rehaussée par des escarpins roses, qui contrastaient avec ses bas blancs.
Linden se répéta qu'il était maudit et lui emboîta le pas.
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