De la Neige pour Étouffer la Colère des Fous (1/3)

5 minutes de lecture

La lumière diffuse frappa le profil émacié du roi Arsène et ses lèvres maigres, presque inexistantes. D’un regard las, il embrassa la terrasse, la neige qui tombait, le jeune homme au costume luxueux qui avait les joues rouges, les yeux brillants, les cheveux blanchis par une couronne de nuages qui lui donnait un air presque angélique. Mais il n’y avait personne d’autre en vue. Alors pourquoi ses lèvres bougeaient-elles, il y avait quelques secondes à peine ?

Il en était certain, ce jeune homme, ce jeune Linden qu’il venait d’arracher des griffes d’Els ne lui faisait pas confiance. Il l’aimait, plus que lui, à en croire son visage désespéré lorsqu’ils étaient seuls. Il l’aimait, mais il ne la connaissait pas. Elle n’était pas celle qu’il croyait, il l’idéalisait, il se trompait. Il se trompait forcément. Cette petite mentait, elle mentait comme elle respirait, comme sa mère, et la meilleure preuve était sous ses yeux.

« Vous me décevez, Linden, commença-t-il en venant s’accouder à côté de lui, le regard plongé dans les ténèbres sous leurs pieds, à la recherche de la silhouette suspecte. Vraiment. Je vous croyais plus respectueux des autres, plus respectueux de moi. Je pensais que vous aviez compris que je prenais toutes mes décisions dans votre intérêt… Vous voir me trahir sans même vous cacher…

— Vous trahir ? Mais Majesté…

— Appelez-moi Arsène, je vous l’ai déjà dit. Et ne me mentez pas.

— Je vous le promets, se défendit le jeune homme à grands renforts de gestes. Je parlais seul.

— Tout seul, dans le froid ? Ne me faites pas rire, jeune homme. Je sais qu’elle est là. Qu’elle nous écoute. »

Quelque part, en haut des toits, la neige crissa, attirant le regard du vieil homme, dont, heureusement pour Els, la vue déclinait.

« J’ai l’habitude du froid et de la neige, reprit immédiatement Linden, comme s’il n’avait rien vu. Travailler en extérieur par tous les temps, ça fait partie de ma vie. Et je suis jeune. Vous, vous allez attraper froid, si vous restez dehors. Vous feriez mieux de rentrer vous réchauffer. J’ai besoin d’être encore un peu seul, si vous permettez.

— Non, je ne vous le permets pas. Ça ne donnerait que le loisir à cette petite menteuse de fuir.

— Puisque je vous dis qu’elle n’est pas là, Maj… Arsène. Elle n’est pas là.

— Vous m’excuserez, mais je ne vous crois pas, jeune homme. Je sais que vous feriez n’importe quoi pour la protéger. Vous êtes amoureux, c’est normal ! Mais cette fille n’est pas pour vous. Je vous dis ça pour votre bien. »

Empourpré dans l’obscurité, Linden bafouilla quelques mots vaguement compréhensibles, avant de se reprendre suffisamment pour se placer directement en face du roi, considérant que de vagues mots étaient toujours mieux qu’un langage à peine humain.

« Vous… Vous… Non, vous avez tort ! Pourquoi est-ce que vous décidez de ça comme ça, tout seul ?

— Tout seul ? Mais enfin Linden, fit le roi avec un éclat de rire monumental, ça se voit comme le nez au milieu de la figure ! Vous croyez que je ne sais pas ce genre de choses ? Je ne sais pas ce qu’il se passe sous mon propre toit ? Comment croyez-vous que je gouverne, enfin ? Un Roi sans espions ? A-t-on jamais vu concept plus idiot ? »

Le souffle coupé, le jeune homme s’empourpra d’autant plus. S’il l’avait compris à partir des rapports de ses espions, sans doute qu’Els… Mais ce n’était vraiment pas le moment d’y penser, et il trouvait outrageant qu’un homme qui aurait pu simplement poser la question ait recours à des méthodes aussi retorses.

« Vous n’avez pas mieux à faire qu’espionner votre fille adoptive ? rétorqua-t-il brusquement, les yeux brillants de honte.

— Je ne suis pas sûr de comprendre, Linden. »

Immédiatement, Linden se figea.

Son adversaire ne le défiait pas du regard. Du moins, le jeune homme n’était pas sûr que ce soit le même personnage qui lui faisait face. Oui, son visage était le même, mais son expression irradiait la noblesse, la hauteur et la puissance. Ce même corps qui quelques instants auparavant riait, se mouvait avec agilité et bonhomie, s’était soudain fait hostile. Et si ce n’était, il l’espérait, que par les mots, il savait qu’il n’était pas un politicien, et qu’il ne savait pas répondre aux mots tranchants autrement que par d’autres presque ridicules.

Il ne pouvait qu’espérer qu’Els ait disparu lorsqu’elle en avait eu l’occasion, parce que si elle ne l’avait pas encore fait, les choses risquaient de se compliquer sérieusement. Il avait déjà du mal à tolérer sa présence, encore plus à tolérer ses paroles, alors ses menaces risquaient de le pousser à certaines extrémités.

Mais il était un homme patient et calme. Il devait garder le contrôle de lui-même et de la situation.

Il planta son regard dans celui du roi, prit une grande inspiration, avant de finalement s’avouer vaincu, sa voix craquant pour dévoiler ses véritables sentiments, un désespoir, une incompréhension qui s’échappaient de lui en un flot de paroles répétées.

« Je… Monsieur, Els… Els n’est pas une menteuse ! Vous qui avez vécu sous le même toit qu’elle, vous devriez le savoir ! Ce n’est pas une menteuse, elle ne cherche pas le pouvoir, elle veut juste vous aider à éviter une guerre !

— Alors pourquoi cette histoire de rêve ? le coupa Arsène d’un ton sans appel. Pourquoi m’interdire de chasser ? Quel intérêt pour elle, si ce n’est me décrédibiliser ? Non, elle vous a menti, comme à moi, comme à ma propre fille. Elle nous manipule tous pour me voir lui céder le trône, j’en suis sûr. C’est de la faute d’Elise, elle le savait, elle l’a toujours su, mais cette femme est trop gentille, elle est trop gentille avec ses amis, avec sa fille, avec ce parasite qu’elle a accepté… Faire d’une vulgaire baronne la conseillère privilégiée de notre fille, et puis quoi encore ? Comment a-t-elle pu tomber dans ce piège ?

— Arsène, ce n’était pas un piège. Vous l’avez acceptée, aussi bien que votre femme et votre fille. Vous l’avez élevée, vous l’avez conseillée. Vous l’avez éduquée, vous l’avez accompagnée dans son enfance, dans son adolescence. Elle m’a raconté tout ça. Elle vous considère vraiment comme sa famille, et jamais elle ne vous trahirait, jamais. J’ignore pourquoi vous vous méfiez d’elle, mais je vous en prie, elle n’a rien fait pour ça.

— Rien fait pour ça ? Rien fait pour ça ? Mais Linden, vous croyez vraiment qu’un traître prévient lorsqu’il va vous planter un couteau dans le dos ? Qu’un menteur prend le temps de vous expliquer ce qu’il veut avant de vous manipuler ? Vous croyez cette histoire de rêve ?

— Pourquoi pas ? Pourquoi vous mentirait-elle ? »

Le Roi Arsène ne put s’empêcher d’éclater d’un rire incrédule, presque absurde dans cette atmosphère si tendue qui régnait dans le froid d’un balcon de pierre qui flottait, accroché à un mur chaud de la fête qui battait son plein à l’intérieur.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Renouveau ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0