De la Neige pour Étouffer la Colère des Fous (3/3)

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Els avait le visage blanc, et dans la lumière qui parvenait de la salle de réception, ses yeux rougis brillaient de larmes et de colère. Ses lèvres étaient pincées, mordues, ses joues douloureuses de s’être tant retenue de hurler. Son corps était douloureux d’être resté en appui dans le froid, dans la neige, et elle ne pouvait cacher les traces d’humidité au niveau de ses chausses et de son pantalon. Mais son visage seul, ses cheveux devenus blancs, ses cils perlés de flocons, tout suffit à capturer le regard du Roi Arsène et à faire naître un rictus de triomphe et de haine dans sa voix.

Le voyant esquisser un geste, la jeune femme recula, protégeant son ami de son corps. Son esprit était totalement tourné vers les gestes de défense qu’elle avait pu apprendre, vers les échappatoires possibles. Il n’y avait plus de retour en arrière. S’ils ne parvenaient pas à s’échapper, et à s’échapper au plus vite, elle ignorait complètement quand la prochaine occasion se présenterait, si elle se présentait.

Il fallait agir. Maintenant.

Mais elle n’eut pas le temps de réagir. La main d’Arsène se précipita sur son poignet, et si elle parvint à l’écarter d’une claque, elle savait que ça ne serait pas le cas de Linden. Il ne fallait surtout pas qu’il s’approche de lui. Il ne devait pas...

« Je le savais ! beugla l’homme, extatique, le regard fou. Je le savais, que cette menteuse était là, qu’elle me menaçait, qu’elle m’entendait ! Cette fausse prophétesse, qui se croit si importante, si unique ! Cette criminelle, cette menteuse, je ne sais pas comment tu as su, je ne veux pas savoir, mais c’est ma guerre, c’est moi qui l’empêcherai ! Moi ! Pas toi ! »

À nouveau, l’esprit d’Els se vida pour laisser la place à la plus grande confusion, tandis qu’elle tentait vainement de rassembler les fragments d’information dans un semblant de logique. Et malgré quelques instants de silence étouffé, elle ne put que murmurer son incompréhension :

« Quoi ? Mais enfin, Majesté…

— Tu as de la chance que je ne puisse pas te faire quitter ces murs.

— Je ne…

— Je t’y enfermerai Si je ne peux pas t’expulser, je t’y enfermerai ! Gardes ! hurla-t-il soudainement, faisant sursauter Els. Gardes ! »

Immédiatement, partout autour d’eux, dans les jardins, dans la salle de bal, les environs se mirent à grouiller d’hommes en armes, de servants curieux et de suivants attirés par le bruit. Els attrapa la main de Linden, monta sur le rebord du balcon et, accrochée au bord des tuiles, grimpa sur le toit, tirant son ami derrière elle, bien moins habitué à ce genre de cascades.

« Gardes ! Attrapez-les ! »

Avec un dernier cri, le vieux Roi se jeta sur eux. La jeune femme tira son ami, qui tenait de garder son équilibre sur la pierre enneigée. Mais la main, la même main qu’elle avait repoussée, s’était refermée sur la cheville du jeune homme. Il leva la tête, rencontra ses yeux, la vit qui le tenait de toutes ses forces, qui tirait son bras vers elle.

« Linden, reste avec moi ! Linden ! »

Il voulait vraiment la suivre. Il le voulait, du plus profond de son cœur. Mais… La main qui serrait sa cheville… Non, il ne voulait pas la freiner. Il ne risquait probablement pas grand-chose. Elle, par contre… Il baissa les yeux, et lâcha sa main.

« Désolé, Els. Je ne peux pas. »

Il vit ses yeux s’agrandir, ses lèvres bouger, mais il n’entendit rien, rien de plus que son cœur qui battait, que son équilibre qui vacillait, tandis qu’il sautait sur la pierre et que sur ses épaules, les mains du Roi Arsène se refermaient.

La neige tombait. Le cœur d’Els battait. Son souffle formait de petits nuages gris dans l’air. Sous ses pieds, les tuiles d’ardoise était glissantes, plus blanches que noires. Devant elle, la nuit durerait encore longtemps, sans doute. Le ciel, lui resterait hors de portée. Tout comme la silhouette aux épaules basses, aux yeux humides, au corps tremblant qu’elle aimait tant.

À quoi bon fuir, désormais ? Pour être seule à nouveau ? Pour qu’il subisse les représailles d’actions dont il n’était pas l’auteur ? Pour qu’elle baisse les bras, définitivement, qu’elle trahisse sa promesse ?

À l’heure qu’il était, il y avait probablement des gardes à tous les balcons, qui n’attendaient plus que le moment de la cueillir lorsqu’elle descendra. Et même, même si par un miracle, elle parvenait à fuir, elle aurait failli à sa tâche. Elle ne se le pardonnerait jamais. Jamais.

Et puis, il y avait un mystère ici. Le Roi Arsène semblait avoir lui aussi reçu une vision, avec des conditions à remplir, et elle ne comprenait pas. Ni pourquoi, ni comment, ni même si cela avait un lien avec quoi que soit qui avait lieu en ce moment. Mais décidément, elle voulait savoir, parce qu’elle était peut-être la seule à pouvoir comprendre le problème, peut-être la seule à pouvoir aider Arsène à retrouver ses esprits. Si elle avait une chance de mener sa mission à bien, alors il fallait qu’elle la prenne.

Elle reposa son regard sur Linden. Puis elle se baissa, et se laissa tomber, les mains bien en vue, sur le balcon de pierre.

« Els ? Qu’est-ce que tu fais ? Va-t’en ! Il est encore temps !

— Justement, murmura-t-elle, laissant les gardes l’encercler. Il est encore temps de changer les choses.

— Quoi ? Non ! Els !

— J’ai encore une chance d’éviter cette guerre. Nous avons encore une chance de nous en sortir. Je ne peux pas lui tourner le dos. Et puis, je t’ai déjà abandonné une fois. C’est une fois de trop. »

Il voulut se jeter sur les gardes qui lui maintenaient les bras dans le dos, mais Arsène resserra sa prise, et l’un des hommes en armes à côté de lui planta sa lance sous son nez, lui interdisant tout mouvement.

« Enfermez-là dans la chambre aux fantômes. »

La voix du Roi résonna. Linden, les yeux grand ouverts, la regarda se retourner, lui adresser un sourire et un signe de tête, puis disparaître dans l’encadrement de la porte.

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