...
Dimanche 7 juillet 2024
Comme à son habitude, madame Peck se réveilla la première. En ouvrant les yeux, elle comprit que leur situation n’avait pas changé et qu’ils étaient toujours dans ce maudit village.
Elle se leva et fut assez surprise de n’éprouver ni faim ni soif, pas même une envie d’uriner. Elle s’en félicita, car leur chambre ne disposait pas de toilettes, ni même d’une salle de bain.
Elle jeta un œil furtif par la fenêtre et constata une certaine agitation dans la rue. Une bonne dizaine de personnes travaillaient autour d’une passerelle qui passait par-dessus la rue et reliait les premiers étages des bâtiments entre eux.
Richard finit par se réveiller à son tour. Monica le sera dans ses bras.
- Qu’allons-nous devenir ?
- On va tenter de nouveau de quitter ce lieu de malheur.
- Et si ça marche pas ?
- On avisera…
La famille Peck quitta sa chambre et descendit dans la grande salle du saloon. Marie, toujours à son poste derrière son comptoir, les salua d’un signe de la tête. Madame Peck lui sourit poliment.
Une fois dehors, Richard resta un moment à regarder les habitants construire une passerelle qui passait par-dessus la rue. À quoi jouaient ces gens ? Ils bricolaient au lieu de trouver un moyen de quitter ces lieux… Pathétique…
Puis, il sortit un papier de sa poche et réalisa un dessin rapide du village et de la forêt environnante. Il nota chaque rue et la direction dans laquelle, elle s’enfonçait dans le bois.
- Allons-y ! commanda-t-il et toute sa petite famille le suivit.
Ils repartirent par la route de leur arrivée. Richard se souvenait parfaitement de cette route et savait qu’elle n’avait aucun virage pouvant expliquer leur retour vers le saloon. Ils marchèrent durant trente minutes et revinrent à leur point de départ, sans avoir rencontré le moindre tournant. Cette route, parfaitement droite, ne présentait pourtant aucune courbe. Revenir à leur point de départ relevait de la magie.
Monsieur Peck retournait le problème dans sa tête sans relâche.
- On va se séparer et partir à intervalles réguliers espacés de cinq minutes. Théoriquement, on devrait se croiser ?
- Et ? Tenta timidement Caroline.
- Et ! J’en sais rien ! Mais peut-être que l’un d’entre nous échappera à la malédiction du retour devant le saloon et pourra appeler les secours !
Dans son for intérieur, Caroline pria pour que ce ne soit pas elle qui se retrouve seule à devoir chercher de l’aide.
Richard désigna son fils Joseph comme « premier de cordée ». En le prenant par les épaules, il lui dit :
- Tu marches droit devant toi. Ta mère te suit dans cinq minutes, puis ta sœur et pour finir moi. Dans le pire des cas, dans trente minutes tu es de retour ici, sinon… Tu seras libéré et tu pourras aller chercher des secours ! Pigé ?
- Cinq sur cinq !
Le jeune homme embrassa son père, sa mère et sa sœur, puis partit d’un pas décidé.
Richard, les yeux rivés sur sa montre, attendit que cinq minutes soient passées avant d’inciter sa femme à suivre les pas de son fils. Lorsque son tour fut venu, il embrassa chaleureusement sa fille et l’encouragea à dépasser sa peur. Apeurée, elle suivit les pas de sa mère.
Finalement, Richard s’engagea à son tour sur la route. D’après ses calculs, il devait croiser son fils dans quinze minutes. Il marchait, fiévreux, les yeux rivés sur sa montre et le cœur battant la chamade. Lorsque les quinze minutes furent écoulées, Richard cria le nom de son fils, mais n’obtint aucune réponse.
Le père de famille se sentit comme soulagé : son fils avait réussi à passer, à se libérer !
Alors qu’il apercevait au loin le toit du saloon, il commença à courir, mais se figea. Devant lui, face au saloon, sa famille au grand complet l’attendait. Son fils n’avait, pas plus que lui, réussit à échapper à leur sort.
- Ça fait longtemps que vous êtes là ? demanda-t-il aux autres.
- Non, on est arrivés à peu près tous en même temps, répondit sa femme.
- Mais vous aviez cinq minutes d’écart au départ !
- Joseph est arrivé en premier, mais je le suivais de près.
Richard n’écoutait déjà plus, il était bien obligé d’admettre que quitter cet endroit s’avérerait bien plus compliqué que prévu.
La petite famille passa le reste de la journée à tester toutes les directions possibles. Certaines fois en marchant puis en courant. Finalement, épuisés, ils regagnèrent le saloon, la mort dans l’âme.
John les attendait assis sur une marche.
- Alors mes amis, ça avance ces tentatives pour nous quitter ?
- Pas vraiment, grogna Richard.
- Dis-toi bien une chose l’ami. Tout ce que tu tenteras pour échapper à ce lieu, on l’a essayé avant toi des centaines de fois. Plus vite tu accepteras la situation, moins tu tourneras en rond.
Richard n’était pas encore prêt à admettre cette vérité. Il passa devant John sans même lui jeter un regard.
Dans le salon, une dizaine de personnes discutaient bruyamment. Les avis sur la construction de la passerelle s’échangeaient de façon plus ou moins apaisée. Certains, préconisaient d’ajouter des cordages afin de soulager le poids de la structure. D’autres, moins nombreux, suggéraient la pose d’un poteau central.
Richard, en ingénieur consciencieux, ne pouvait rester en dehors de cette conversation.
- Le poteau est de loin la meilleure solution pour consolider le tour.
John intervint à son tour :
- Un poteau ? Et les « autres » grimperont… Inutile de vous décrire la scène qui s’en suivra !
Richard lui lança un regard sévère.
- Ici, mon cher Richard, les autres sont toujours au centre de nos préoccupations. Aucune décision ne se prend sans avoir considéré l’impact qu’elle aura sur nos chers voisins.
- Je suis ingénieur en construction civile. Je pourrais sûrement vous aider.
- Je le pense aussi, mais nous attendrons que tu ais pleinement accepté, ta situation.
- Ma situation ?
- Oui, le faite que tu sois ici jusqu’à la fin des temps.
- Ah…
John se dirigea vers les hommes qui s’étaient réunis face à un plan étalé sur la table devant eux. Il donna quelques instructions et le groupe se sépara.
Richard en profita pour l’inviter à sa table. L’homme, courtois, accepta l’invitation.
- Mes respects madame, dit-il en souriant à Monica. Salut à vous, les jeunes, ajouta-t-il en direction des ados. Alors, comment ça va, Richard ?
- Mal… comme il se doit…
- Je comprends… Plus vite tu auras fait le deuil de ta vie passée, plus vite tu t’habitueras à ta nouvelle vie.
- Mon cul ! Je n’aurai de cesse que de me barrer d’ici, sans vouloir te vexer, bien sûr ajouta-t-il.
- Me vexer ? Moi ? Hahahaha, t’as pas le niveau. Par contre, me faire chier, je crois que t’y arriveras facilement. Et tes conseils à la con, comme un poteau pour soutenir la passerelle, tu peux te les foutre au cul. Ici, Y a des règles dont tu ignores tout, alors reste à ta place d’arrivant, apprends et comprends ! Puis, tu causeras. On s’est bien compris ?
- Cinq sur cinq, cow-boy…
Richard réunit sa famille et ils regagnèrent leur chambre. Cette journée avait été vraiment calamiteuse. Il se sentait désemparé et pour la première fois de sa vie, incapable de voir l’avenir sereinement.
Annotations
Versions