La procession des nautiles entra dans une nébuleuse. Des nuages de couleurs flottaient autour de nous. En passant mes doigts dans leurs particules, je sentais s'activer mes sens et entrer des images, des réminiscences inconnues, comme des souvenirs de futurs lointains, comme un assemblage de possibles.

L’une des nuées me toucha au pied et les sensations gonflèrent ma conscience. Je voyais des fruits de cristal et des fleurs poussant sur des étoiles, un jardin entier d'arbres de lumière et tant de choses étranges qui vivaient là, suspendues dans le Vide. Une autre effleura mon épaule et l'odeur du ciel résonna en gouttes sur ma peau. D'autres vinrent et d'autres encore. Les images se mélangeaient dans une soupe confuse. Elles s’infiltraient ! Elles me submergeaient ! Elles avalèrent jusqu’à mes sens ! J'étais perdu dans leur folie.

Je me débattais, tentant l'illusion d'un salut ! Les filandres d'éther m'enserraient de toutes parts ! Je frappai les possibles, martelai les avenirs ! L'une me prit au cou ; je l'arrachai ! Une rage s'empara de moi et je m'acharnai sur elle jusqu'à la déchiqueter, qu'il n'en reste que des lambeaux ! Des larmes giclèrent tout autour, comme une sève à vif.

La vision s'écroula, me repoussant hors d'elle. Je me retrouvais dans le Vide, où les nautiles étaient partis. J'étais seul, essoufflé, terrifié par ma colère.

Mon esprit s'apaisait progressivement et reprenait conscience. Lentement je réalisais. Des nuages étaient morts en perles de larmes et coulaient sur mes mains. Quelle était cette sensation, ce souvenir liquide comme un pêché ? Je sentais leur sang se mêler au mien et s'infuser dans mon cœur.