Jardin d'Enfer

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Caractéristiques du défi : écrire en prose une scène incluant des fleurs malodorantes, une vieille dame qui parle javanais, et un personnage principal qui devra avoir un trait de caractère négatif mais assez explicite qui devra aussi déclamer quelques vers.

Alors allons-y... !


Toujours cette même odeur... Miss Butterfly avait donc décidé d'empoisonner tout le quartier, ce n'était pas possible autrement. Quand bien même ses voisins se plaignaient des fragrances insipides qui émanaient de son jardin, la vielle dame ne faisait rien pour améliorer le cadre olfactif de son entourage : les premiers tentèrent de nouer le dialogue avec elle dans le but sans doute d'amadouer ce qu'ils pensaient être la « mamie gâteau » de la rue mais les suivants découvrirent bien vite que ses intérêts n'étaient pas des plus bienveillants. Longtemps je me suis questionné sur ses motivations, son objectif. A de nombreuses reprises je me suis laissé à la surveiller par un carreau de mon salon, le regard faussement perdu entre le ciel éternellement nuageux et le muret ceinturant sa maisonnette mais toujours l'observant du coin de l’œil, arpentant des heures durant les bordées de son jardin fleuri d'herbes folles et de plantes aussi sinistres que nauséabondes. Son chapeau de paille à larges bords, qui semblait avoir connu des jours meilleurs, effiloché par endroit, maltraité par les bourrasques de vent les heures d'hiver, tâché par endroits (mais pas par du désherbant!) dépassait par intermittence du haut de sa balustrade ce pendant que résonnaient en cadence les coups portés par la bêche dans les entrailles de la terre meuble, friable, légère, disséminée en partie dans l'air ambiant. Quelques coups, et le silence se ponctuait d'un signe d'effort. Depuis mon salon, fenêtre fermée, je pouvais l'entendre bêcher, râler, creuser, pester, martyriser la terre... et son chapeau. « Tu n'es que poussière et tu redeviendras poussière... » Cette formule semblait avoir trouvé son incarnation dans le corps de cette « mamie râteau ». Elle était l'alliance de la Vie et de la Mort. Ses mains pourfendaient les bordées terreuses enveloppant en leur sein le sel de la Vie afin d'y faire naître ses joyaux, ses trésors d'ignominie : des plantes exhalant de doucereux parfums de cadavres en putréfaction, charognes exposées plein soleil sans vue sur mer, carcasses décharnées boursouflées d'humidité, lambeaux de chairs vivifiant la vermine nécrophage. Au menu, chaque jour, concentré de foie gorgé de sucs graisseux marinés dans l'alcool, velouté de vessie, tripes à la diable ou encore daube de viscères, faites votre choix... Oui... la vieille dame savait donner la Vie à l'inanimé, à l'inconstant, au volatil, à l'air indomptable sans dieu ni maître. Etait-elle seulement originale dans sa conception du jardinage ou cachait-il autre chose, de bien plus inquiétant ? Les premiers avaient la réponse... Mais jamais je n'ai eu l'occasion de le leur demander. Ils n'étaient plus là... La bienveillance... ? Comment la concevoir... ? Sitôt qu'une nouvelle fragrance immonde apparaissait, des voisins s'en allaient... A moins que... qu'un voisin s'en allant, une nouvelle odeur pestilentielle fait son apparition... Voilà que je me pose la question... aujourd'hui seulement ! Qu'à cela ne tienne ! Je vais de ce pas chercher ces réponses. Quittant le confort et la sécurité de mon foyer, je franchi la porte d'entrée, sans même prendre la peine de la refermer. Fraîcheur de cette fin de journée de novembre. Rue déserte. Il ne semble pas y avoir âme qui vive. Seuls résonnent les coups de bêche. Je rejoins la balustrade de sa maisonnée et la retrouve où je l'avais vu quelques instants plus tôt, recroquevillée dans ses bordées.

- Bonjour Miss Butterfly ! Joli temps, vous ne trouvez pas ? lançais-je à l'improvisade.

- Jave savuis avoccavupave, pavetavit cavon ! répondit-elle entre deux coups de bêche.

- Je vous demande pardon ?

- Davégavagave pavetavit cavon, j'avai davit !

Moment de solitude... Il faut dire que je n'avais jamais discuté avec elle sur quelque sujet que ce soit, mais pour une première conversation, je ne vous cache pas que je m'attendais à autre chose...

- Vous parlez français ? repris-je.

- Jave pavarlave pavas aux pavetavits cavons !

Visiblement, la politesse n'était pas son fort. J'aurais peut-être de meilleurs résultats en employant une autre méthode. L'effronterie, par exemple :

- Et en français... ?

- Pavetavit cavon...

Pas plus de succès. L'humour peut-être :

- Enchanté !

Premier temps d'arrêt depuis le début de notre conversation. Cette fois, je crois qu'elle va réagir... !

- Petit con !

Bon, visiblement je n'ai pas employé la bonne méthode avec « mamie gros mots ». Qu'à cela ne tienne...

- Je crains fort que la légèreté de vos excès langagiers ne tutoie de trop près l'insoutenabilité de ma contenance, très chère...

- Pardon ?

- L'outrecuidance et la bassesse d'un vocabulaire que vous pensez vernaculaire n'a d'égal que la pestilence odoriférante de votre Eden si particulier...

- Hein ?

Un bon point pour moi. La faille est faite. Je sens que j'ai son attention. Le tout est de ne pas la perdre désormais.

- C'est chiant, hein, quand on cause pas la même langue ?

- Petit con !

- Mais encore ?

- Tu veux un coup d'pelle ?

Elle ne m'a pas resservi de « petit con », je suis sur la bonne voie...

- Je vous saurez gré de privilégier votre élan vital au mauvais traitement infligé à ces bandes de terre...

- Et ma pelle dans ta figure ?

Bon, je crois qu'elle ne sait pas s'exprimer sans laisser un trait de grossièreté filtrer.

- Continuez plutôt à jardiner au lieu d'insulter les gens.

- Si je veux, p'tit con ! Remarquez vous avez raison, arrêtez de jardiner, vous faites fuir tout le voisinage.

- C'est pas vous qui allez m'apprendre à planter des fleurs ! J'ai 60 ans de métier moi ! Et en 60 ans, vous n'avez toujours pas la main verte... ou alors vous l'avez perdue... !

- Non mais vous allez vous la prendre, ma pelle ! Avec un caractère de cochon comme le vôtre, je ne serais pas étonné qu'un beau jour, tout votre jardin ne soit saccagé...

"Et chaque personne en ces lieux

Pourra couler des jours heureux"

- "Mais devant votre impertinence,

Je crains de perdre patience !"

Retournement brutal de situation : la disciple des langages codés, hermétiques et grossiers possède la faculté du langage poétique. Qui l'eut cru... ? Une réponse dont la correction n'aurait d'égal que sa grossièreté serait la bienvenue...


Et c'est lorsque vous penserez m'avoir vaincu

Que je vous montrerez, tout sourire, mon...


Affaissement de sa lèvre supérieure, ma réponse semble avoir fait mouche. Quant à la réponse que j'attendais concernant son choix pour ces plantes malodorantes, je ne l'ai pas et ne l'aurai pas et me considère comme les premiers de ceux qui voulurent savoir... A quoi bon perdre son temps à discuter avec des êtres dotés de peu d'intellect ? Ils n'en savaient pas plus que les autres et ne souhaitaient pas savoir en définitive. Cependant, l'insondable idiotie de cette dame avait un avantage : il pouvait masquer le temps d'une discussion l'exécrable parfum de ses fleurs.

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