Viscose | Les Déboires de Bernard #2
Plok. Une goutte de ma propre sueur venait de tomber sur le comptoir. Puis une deuxième. Plok. Et une troisième. Encore plok. Assis sur l’un des tabourets d’un bar et exposé en plein soleil, je me liquéfiais à la manière d’une motte de beurre sur un réchaud à gaz. Encore quelques minutes comme ça et il ne resterait plus rien de moi. Sauf une flaque de graisse, à la rigueur. « Au revoir, Bernard. On ne se souviendra pas de toi. » Cependant, c’était étonnant de me voir fondre de la sorte. Car il se trouve que, malgré un régime alimentaire presque exclusivement constitué de kebabs et de frites, je n’étais ni bien gros, ni bien gras. Pour être précis, à cette époque je pesais exactement 62 kilos pour 1 mètre 73. Je m’en souviens très bien, car, en matière de boxe, ça correspondait à la catégorie des super-légers, celle dans laquelle on m’avait placé. Et d’ailleurs, c’est parce que j’appartenais à cette catégorie de gringalets que je me trouvais là, à transpirer toutes les gouttes de mon corps, sur cette île paradisiaque, mais suffocante.
Trois semaines auparavant, je me baladais dans les rues de ma ville — Montreuil, en Seine-Saint-Denis — avec à mon bras une jolie demoiselle rencontrée sur Internet. Mais n’allez pas croire que c’était dans mes habitudes. Compte tenu du fait que j’étais chômeur, plutôt moche — gros nez cassé, lunettes à verres triple foyer, pilosité ibérique, barbe de bûcheron, dents de cheval, etcétéra —, et que j’habitais encore en colocation à trente-cinq ans révolus, c’était un fait plutôt exceptionnel. En général, les jolies femmes ne s'intéressaient pas à moi, donc inutile de vous dire que j’étais sur un petit nuage. Surtout que le courant passait bien entre nous. Mais, hélas, ça ne dura pas longtemps. Je ne sais pas pour quelle raison — mais je suspecte la jalousie —, une racaille du quartier nous avait arrêtés pour nous demander une clope, puis suite à mon refus, il s’était permis de m’asséner une paire de gifles en aller-retour, le tout avec un grand sourire aux lèvres. C’était gratuit. Complètement gratuit.
Alors qu’avais-je fait pour riposter ? Pas grand-chose, malheureusement. J’avais juste bafouillé un truc du genre : « Eh, oh, mais ça va pas la tête !? ». Pas de quoi l’impressionner. Le problème, c’est que du haut de son mètre 80, ce type me semblait être une montagne de muscles. En plus, je ne savais pas comment envoyer un coup de poing, et encore moins un coup de pied. Donc c’était foutu. Je n’avais aucune chance.
Évidemment, suite à cet incident, la jeune femme qui se trouvait avec moi perdit tout respect pour moi. Et par conséquent, elle disparut de ma vie aussi vite qu’elle était apparue. Cela dit, je ne lui en voulais pas. Subir le manque de respect des femmes était devenu comme une seconde nature pour moi. J’avais la peau dure. Non, mon problème, c’était plutôt la racaille. Ce type était cloué à la rue comme un épouvantail au milieu d’un champ de blé. Du coup, je le croisais presque chaque jour. Et bien sûr, c’était en baissant les yeux, avec, au fond de moi, un mélange intense de peur et de haine. Alors quand une opportunité s’était présentée à moi — le gain de trois mille euros à un jeu à gratter —, je n’avais pas hésité une seule seconde : j’avais fait mes bagages, j’avais sauté dans un avion, direction Bangkok, puis j’étais parti directement sur l’île de Koh Chang, au sud-ouest de la capitale, pour finalement rejoindre un camp de boxe thaï qu’un ami m’avait conseillé.
Mon prochain entretien de suivi avec Pôle Emploi, qui n’avait d’autre intérêt que de conserver mes allocations, était prévu dans trois mois. C’était donc le temps que j’avais pour m’entraîner comme un dingue et pour devenir un dur à cuire. Et de retour au quartier, je prévoyais d’aller faire un petit coucou à mon ami la racaille. Juste histoire de lui défoncer sa gueule. En tout bien tout honneur, bien sûr. En tout cas, c’était mon plan. Au moins, il avait le mérite d’exister.
Cela faisait donc environ deux semaines que j’étais sur l’île et, dès mon arrivée, je m’étais rendu au camp d’entraînement. Là, Surachai, le coach personnel qu’on m’avait attribué, avait décidé de me faire passer un test pour voir si j’étais bien apte à la pratique de la boxe thaïe. Comme je ne payais pas de mine, il ne tenait pas à prendre de risque. Le test était basique : il fallait simplement que je saute à la corde aussi longtemps que possible. Résultat : j’avais tenu à peine deux minutes. C’était moins que médiocre. Pourtant, ce n’était pas faute d’avoir tout donné, c’est juste que ma condition physique était lamentable. Par conséquent, pour éviter tout désagrément — comme ma mort suite à une crise cardiaque, par exemple — Surachai avait décrété qu’il était inutile que j’enfile les gants de boxe avant d’être capable de tenir au moins un quart d’heure à la corde.
Spécialisé dans la prise en charge d’Occidentaux obèses ou en pleine crise de la quarantaine, Surachai s’occupait toujours d’eux avec plaisir. Surtout s’ils étaient capables de payer rubis sur ongle. Mais sa conscience professionnelle — et, pour être tout à fait honnête, son désir de garder une note de cinq étoiles sur TripCounselor — lui imposait quand même quelques limites.
Pour le moment, mes entraînements — j’en avais deux par jour, un le matin et un l’après-midi — consistaient donc uniquement à faire du cardio. En gros, Surachai me faisait courir jusqu’à ce que mes poumons soient à deux doigts d’éclater, puis il me demandait de remettre ça avec la corde à sauter pour tester mon évolution. Le tout par une température des Enfers, avoisinant les quarante degrés. Alors je ne vais pas mentir, ça avait été certainement l’une des pires expériences de ma vie. Mais à chaque fois que je faiblissais, il me suffisait de visualiser la tête de cette foutue racaille et j’obtenais un regain d’énergie.
Une dizaine de jours après le début de mon entraînement, j’étais dorénavant capable de sauter à la corde pendant treize minutes. L’heure d’enfiler les gants était donc proche. Pour une fois dans ma vie médiocre, j’avais de quoi être fier de moi. Le jour de la revanche n’allait pas tarder. La racaille n’avait qu’à bien se tenir.
En vérité, je n’avais que deux problèmes. Le premier était la chaleur humide et suffocante de l’île. Mais, à part me coller à tous les ventilateurs que je croisais sur ma route comme une limace, je ne pouvais pas y faire grand-chose. C’était la vie. En revanche, mon deuxième problème était bien plus grave. En effet, c’était la bouffe.
Contrairement à d’autres élèves de l’école de Muay Thai, je ne pouvais pas me contenter d’un bol de riz blanc et de quelques légumes à chaque repas. Certes j’avais un petit gabarit, certes je n’étais pas gros, mais en tant qu’authentique kebabovore, c’était inenvisageable. Le gros souci, c’était qu’il n’y avait qu’un ou deux kebabs dignes de ce nom sur l’île de Koh Chang. Or, comme sur toute île qui se respecte, la circulation y était impossible, car on y trouvait qu’une seule grande route, en bordure de mer. Il me fallait donc plus de deux heures pour aller au kebab le plus proche, puis revenir à mon hôtel miteux. Même avec la plus grande motivation du monde, c’était un poil compliqué après une dure journée passée à courir comme un chien sous les remontrances de Surachai.
Heureusement, à moins de deux cents mètres de ma piaule, j’avais trouvé un bar-hôtel-restaurant de plage, tenu par un Français, et qui faisait ce qu’il y avait de mieux dans les parages, après le kebab : des côtelettes d’agneau importées d’Australie, grillées au thym et au romarin. Comme disent les Américains, c’était « finger-licking good », ou bon à s’en lécher les doigts, en bon français. Et donc Le Requin Bleu était devenu ma nouvelle cantine.
Cela faisait huit jours de suite que, tous les soirs après l’entraînement, je m’y retrouvais pour un repas bien mérité. Ce soir-là encore, j’étais donc au comptoir du bar, en train de transpirer comme un porc et d’attendre ma commande — une dizaine de côtelettes grillées avec sauce au poivre et double portion de frites —, quand j’entendis une voix d’homme m’interpeller avec un accent marseillais : « Oh, comment qu’il va le Bernard ? »
Je levai les yeux du comptoir.
C’était Steeve, un trentenaire habitué des lieux, qui rentrait dans l’établissement, avec ses cheveux longs, ses grosses lunettes noires, son bas de jogging de délinquant et sa chemise à fleurs ouverte jusqu’au nombril. Manquait plus que la chaîne en or. Cela dit, malgré sa dégaine de gangster en carton, nous avions sympathisé autour d’un verre quelques jours auparavant. Il n’était pas bien méchant. Et, en plus, comme il habitait dans le coin depuis quelques années, il avait de précieux conseils à me donner, comme l’emplacement de la seule supérette de l’île où l’on pouvait se procurer de la sauce harissa, par exemple. J’étais donc content de le revoir.
Il me fit un petit signe de la main — main avec laquelle il tenait un joint de la taille d’une grosse saucisse — et s’avança dans ma direction avec un grand sourire. Mais là, patatras ! Il se prit les pieds dans les jambes d’une jeune Anglaise en bikini, allongée sur un transat au bord de la piscine, trébucha sur quelques mètres, puis finit par se fracasser sur la table d’un couple de Russes venus pour boire un verre. Il resta au sol quelques instants, ramassa son joint, se releva avec difficulté, puis se tourna vers la jeune femme avant de l’insulter copieusement. D’après lui, elle n’avait pas à laisser traîner ses « gros panards de cagole » au bord de la piscine. Heureusement, la jeune Anglaise ne semblait pas comprendre grand-chose au français, et encore moins au marseillais.
Sur ce, il ajusta ses lunettes de soleil pour reprendre contenance, puis il vint s’assoir à mes côtés, au comptoir du bar.
En arrière-plan deux employés du restaurant étaient apparus sur les lieux du crime. Comme par magie, ils nettoyèrent les dégâts causés par le Marseillais maladroit, puis disparurent en dix secondes chrono.
— Alors, bien ou bien, Bernard ? me demanda Steeve en me tapant dans la main comme on smashe un ballon de volley-ball.
— J’ai un peu chaud, mais sinon, ça roule, répondis-je en m’essuyant le front du revers de la main.
— Oh, mais t’as pas l’air bien là, Bernard. C’est quoi ce t-shirt ? Une serpillière pour laver les chiottes, ou quoi ?
C’était sa manière de me faire remarquer que mon t-shirt était trempé de transpiration. Effectivement, si je l’avais essoré, j’aurais certainement pu en tirer un plein seau rempli de sueur.
— Ça fait vingt minutes que j’attends mes côtelettes, je suis en hypoglycémie, répondis-je. Et quand je suis en hypo, ça me fait transpirer. C’est comme ça, j’y peux rien.
Steeve pinça mon t-shirt mouillé entre deux doigts comme pour en analyser la matière.
— Non, mais sans blague, Bernard, en Thaïlande, tu peux pas porter ça, dit-il. Un t-shirt en coton ! Mais tu es fada, ou quoi ?
Il me regardait comme si j’avais commis un crime digne de la Cour pénale.
— Pas bon, le coton ? fis-je.
— Pour faire un concours de t-shirts mouillés, c’est super le coton. Mais il va te manquer les pectoraux pour gagner, minot.
— Qu’est-ce que tu me conseilles, Steeve ?
— Tiens, tâte-moi ça, dit-il en m’indiquant sa chemise à fleurs.
Je pris sa chemise entre mon pouce et mon index. C’était une matière douce et légère, entre la soie et le papier à cigarettes.
— Ce que tu touches là, c’est de la viscose, reprit-il. C’est frais, léger, ça laisse passer la transpi, et c’est pas cher. C’est ça qu’il te faut, mon Bernard.
— Merci Steeve. Qu’est-ce que je ferais sans toi ?
Là-dessus, il hocha la tête puis héla une serveuse thaïe qui était affairée à astiquer le comptoir :
— One pastaga, please !
La serveuse lui apporta son verre de pastis, et aussitôt posé, le Marseillais l’expédia cul sec. Je ne le connaissais pas depuis longtemps, mais c’était la première fois que je voyais s’enquiller un verre aussi vite.
— Tout va bien ? lui demandai-je.
— Franchement, je suis pas au top, Bernard.
— Qu’est-ce qui t’arrive ?
— Je sais même pas par où commencer.
Le Marseillais fit une pause, passa sa main dans ses longs cheveux gras, puis mit son gros joint dans sa bouche. Il le ralluma avec un briquet et tira dessus comme un asthmatique sur un tube de Ventoline, avant de me le présenter :
— T’en veux ? demanda-t-il. C’est pas d’la beuh d’ici. C’est du bon hash comme à la maison.
Ça me semblait être une mauvaise idée. D’une part, je n’avais jamais été un grand adepte de la fumette — les psychotropes ne me réussissaient guère et j’étais déjà addict aux kebabs. Et, d’autre part, plus important encore, je n’avais aucune envie de me mettre le patron du Requin bleu à dos. Certes, le cannabis était autorisé en Thaïlande, dans les lieux privés, mais je ne connaissais pas la politique de la maison, et il était hors de question de me faire bannir du seul pourvoyeur de côtelettes d’agneau à trois kilomètres à la ronde. Je fis donc non de la tête.
Grand bien m’en fît.
Au moment même où je baissai la tête, Bob, le patron des lieux débarqua de sa cuisine, de l’autre côté du comptoir, en gueulant. Lui aussi avait une drôle de dégaine avec son borsalino vissé sur sa mégatouffe de cheveux grisonnants. On aurait dit un Jackson Five cinquantenaire du Périgord. Cependant, malgré cette touche fantaisiste, nulle personne de censé n’aurait eu l’idée de lui chercher des noises. C’était un ancien rugbyman. Un vrai colosse. Mais pas le genre de colosse modeste qui ne porte que de larges chemises en viscose pour cacher ses muscles. Non, il était plutôt du genre m'as-tu-vu à porter des t-shirts de compression à manches longues, ces sortes de combinaisons qu’affectionnent les bodybuilders, car aussi moulantes que du latex. C’est très pratique pour mettre en valeur les pectoraux au moindre frétillement. Mais Dieu seul sait comment Bob arrivait à ne pas suer avec une telle tenue. D’ailleurs, en y repensant, je ne l’avais jamais vu porter autre chose depuis ma rencontre avec lui.
— Purée, Steeve ! cria-t-il. Combien de fois il faut que je te dise de pas fumer ici, hein ?
— Oh, le Bob, me fait pas la misère, répondit Steeve. C’est légal ici. Je suis dans mon droit.
— D’accord, mais on a des civils ici. Des femmes et des enfants, purée !
Il accompagna ces mots en tapant du poing sur le comptoir. Et on entendit le bruit du tonnerre. De fait, sa main était si énorme qu’elle aurait pu briser une noix de coco comme une vulgaire noisette.
Évidemment, tout âme qui vive dans le bar-resto sursauta. Femmes et enfants compris. Et les mouches se firent entendre voler pendant quelques secondes.
— OK, OK, fit Steeve qui venait de reprendre ses esprits et la conscience du danger par la même occasion.
Dépité, il tira une dernière latte sur le joint puis l’écrasa avec rage dans un cendrier.
— T’es content, hein ? Tu sais même pas le début de semaine de fada que j’ai eu… J’en avais besoin d’ce joint, Bob.
— Allez, détends-toi, répondit le patron, qui avait retrouvé son visage affable de bon barman. C’est quoi ton problème ?
— Tu veux vraiment le savoir ?
— Bah oui, fais pas ton minou.
Steeve soupira.
— Bon, ça a commencé dès le lundi matin. J’arrive à la plage vers 10 heures, je me prends mon petit kawa comme d’hab, puis en attendant le premier client, je teste mon Sea-Wave RX. Et là, pas moyen de le démarrer.
— Le Sea quoi ? demandai-je.
— C’est mon jet ski que je mets en location.
— T’as réussi à le réparer ? demanda Bob.
— Eh, non, le mécano dit que ça vient du moteur. Tu sais combien il demande ?
— Combien ? fit Bob.
— 120 000 baths.
— Mamma mia ! s’exclama Bob.
— Ça fait combien en euros ? demandai-je.
— Pas loin de 3 000, dit le patron.
— Je suis foutu. Pas moyen de me refaire, dit Steeve.
— Et ta copine, May… elle peut pas te donner un coup de main ? demanda Bob.
— May ? Cette radasse ? Elle s’est barrée avec un autre type. Ça c’était la bonne nouvelle du mardi, répondit Steeve en prenant sa tête entre ses deux mains.
Comme nous étions mercredi soir, je me permis de le questionner :
— Au moins, t’as pas eu de problème ce matin, non ?
— Ce matin ? Tu rigoles ? Tu sais ce que j’ai trouvé sur ma fesse gauche ? Une verrue de la taille d’une pièce de cinq baths, fit Steeve en se trémoussant sur son tabouret.
— Effectivement, c’est pas le meilleur début de semaine… mais ça ira sûrement mieux demain, l’ami, dis-je en posant ma main sur son épaule en signe de compassion.
Steeve soupira à nouveau.
— Franchement, j’ai trop les boules, les gars. Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu ? Hein ? Qu’est-ce qu’il me veut ?
Le patron du bar retira le torchon qu’il avait sur l’épaule, astiqua brièvement le comptoir avec, puis s’arrêta pour regarder le Marseillais dans les yeux.
— Le prends pas mal, Steevy, mais c’est sûrement pour ton bien, dit-il.
— Hein ? Mais qu’est-ce que tu racontes, l’ancien ? Tu es fada toi aussi ou quoi ?
— Ben, je ne sais pas, ça pourrait te rendre service. Peut-être pas tout de suite, mais à long terme, oui.
— Oh, arrête tes couillonnades, Bob ! Sers-moi plutôt un pastaga.
Le patron remit le torchon sur son épaule, puis versa un verre de pastis à Steeve.
— Écoute, il faut que je te raconte une histoire qui te fera voir les choses autrement. Tu m’accordes cinq minutes, Steeve ?
Le Marseillais s’envoya le verre en deux gorgées puis le reposa sur le comptoir comme un bourrin.
— Après tout, pourquoi pas ? Vu où j’en suis, dit-il.
— Bon, j’y vais alors… commença le patron.
Mon estomac fit un bruit étrange, un peu comme le grincement d’une porte rouillée en manque de lubrifiant. Le pauvre organe criait famine. Par ailleurs, la sueur continuait à s’écouler de mon front. On aurait pu m’utiliser comme un système d’arrosage en goutte-à-goutte, exactement comme celui que ma grand-mère avait dans son potager.
— Attends, Bob, l'interrompis-je. Tu voudrais pas t’occuper de mes côtelettes avant ?... S’il te plaît, ajoutai-je en joignant mes mains en signe de supplication.
— T’inquiète, Bernard, répondit-il. Ça va pas tarder.
Que pouvais-je y faire ?
Rien, sauf souffrir en silence.
— Bon, par où commencer ? reprit le patron.
Il s’éclaircit la voix et s’assit sur un tabouret derrière le comptoir avant de commencer son récit :
— Cette histoire se passe il y a un peu moins de quarante ans. C’était au moment de mon entrée au lycée. Comme j’avais tendance à un peu déconner — j’avais failli redoubler ma troisième —, mes parents avaient décidé de m’envoyer loin de chez moi, dans un internat pour garçons assez prestigieux, à la lisière des montagnes des Pyrénées Orientales. Ça s’appelait le lycée Saint-Laurent des Cimes, ou un truc comme ça. En tout cas, le concept, c’était de m’envoyer le plus loin possible de la civilisation, histoire de me forcer à bosser. Pour vous faire une idée, la grande ville la plus proche, Perpignan, se trouvait à 50 bornes.
— Saint-Laurent des Cimes ? V’la le nom de bourges. Ça devait pas être donné, fit remarquer Steeve. Tu viens d’une famille blindée ou quoi, Bob ?
— Pas vraiment, mais mon père disait que c’était le seul moyen de faire de moi quelque chose de « potable ». Donc mes parents ont décidé de se sacrifier… Et puis je crois aussi que ça leur évitait de m’avoir dans les pattes, à la maison.
— Ah, ouais, la misère, commenta Steeve.
— Bah, finalement, pas tant que ça. Au début, c’est sûr, j’en ai voulu un peu à mes parents. C’était comme si la chair de ma chair m’avait envoyée en prison. En plus, la plupart des profs étaient de vieux croutons super stricts qui n’hésitaient pas à nous mettre un coup de règle en bois sur les doigts à la moindre erreur. Mais au final, je crois que la première année que j’ai passée dans cet internat a été l’une des plus belles de ma vie.
— Comment ça, demandai-je ?
— Le truc, c’est que l’adversité a tendance à resserrer les liens. Et donc, je me suis fait une bande de potes comme jamais je n’en avais eu. On était tous des cancres, des sous-doués de première, mais qu’est-ce qu’on s’est marré. Les profs nous faisaient la misère, mais on leur rendait bien. Par exemple, je me souviendrai toujours de la tête qu’avait faite Madame Lambert, notre prof de sciences naturelles, quand un jour elle était arrivée en classe et qu’elle avait tiré la chaise de son bureau après nous avoir dit de nous assoir. Et là qu’est-ce qu’elle avait découvert ? Un petit cadeau posé sur une feuille de papier-cul. C’était mon pote Roberto le responsable. Cet animal avait démoulé un cake juste avant l’arrivée de la prof. En plus, on avait eu des haricots à midi. Donc je ne vous raconte même pas l’aspect de la chose… Pauvre Madame Lambert… Je crois bien qu’elle ne s’en est jamais remise. Mais bon, on s’était quand même bien marrés.
— Oh, mais c’est criminel, ça, commenta Steeve.
— C’était juste l’humour potache des années 80. Il fallait bien qu’on rigole un peu, non ?
— OK, Bob, mais c’est quoi le rapport avec mes problèmes ? demanda Steeve. Tu me conseilles de rejoindre un internat, c’est ça ?
— Pas du tout, Steeve. Pas du tout. Tout n’était pas rose à l’internat. On en a bavé. D’ailleurs les choses se sont gâtées dès le mois de janvier de notre première année. Devinez ce qui nous est arrivé ?
— Aucune idée, fit Steeve.
— On vous a privé de viande aux repas, proposai-je.
— Non. Pire que ça, Bernard. À l’époque, notre cours préféré était le cours d’éducation physique. Non pas que nous étions de grands sportifs — nous étions presque tous des gringalets plus intéressés par les jeux de société ou les jeux de rôle que par l’exercice physique —, mais notre prof de sport — Monsieur Fournier, si je me souviens bien — était un vieux complètement aux fraises. Le pauvre devait avoir 60 ans. Il n’était même pas capable de taper dans un ballon. Et encore moins de faire une roulade avant ou de courir plus d’une minute. Donc il n’avait aucun moyen de nous mettre la pression. Et du coup, pendant les cours, il se calait sur une chaise avec un bouquin, tranquilou, et nous, on n’en foutait pas une.
— Attends, Bob. T’étais un gringalet, toi ? l’interrompis-je.
— Eh oui, Bernard. J’étais même un binoclard, comme toi. Mais, comme tu vois, j’ai un peu changé.
— Incroyable, dis-je. Comment t’as fait ?
— C’est très simple. Je me suis mis au sport, dit Bob en contractant ses pecs à travers sa combinaison moulante. Mais c’est pas vraiment le sujet pour le moment, Bernard.
Bob était la preuve vivante que tout est possible. S’il avait été capable de se transformer, alors pourquoi pas moi ? Il fallait juste que je m’accroche. J’allais bientôt pouvoir commencer à boxer. La racaille du quartier n’allait pas tarder à avoir de mes nouvelles.
— Bref, reprit le patron. Un jour, alors qu’on était pépères, allongés sur des matelas de gym, en train de jouer à la Belote, Roberto — encore lui — avait décidé de faire une petite blague à l’ancien. Il s’était dit que ce serait marrant de faire exploser une rangée de pétards « mitraillette » sous la chaise du vieux… Pauvre Monsieur Fournier… Il a bien failli faire une crise cardiaque. Et, résultat des courses, on ne l’a plus jamais revu. Il avait décidé de prendre sa retraite de façon anticipée, en plein milieu de l’année.
— Oh, mais c’était un sauvage, ce Roberto, fit Steeve.
— C’est clair, confirma Bob.
— Du coup, plus de cours de sport ? demandai-je.
— On n’a plus eu de cours pendant quelques semaines, en effet, répondit le patron. Mais pour notre proviseur — un homme austère qui tenait plus que tout à la réputation de son établissement —, cet événement avait été la goutte qui a fait déborder le vase. Par conséquent, les cours de sport avaient été remplacés par une punition collective : le ménage de fond en comble de tout l’internat, avec une attention particulière sur les latrines. Autant dire qu’on n’y avait pas gagné au change.
— Tu m’étonnes, fit Steeve.
— Mais ce n’est pas tout, continua Bob. Un jour d’hiver — je m’en souviens très bien parce qu’il neigeait—, le proviseur du lycée nous avait demandé de nous rendre au gymnase à la première heure. Il avait une annonce importante à nous faire.
— Hum, ça sent pas bon, dit Steeve.
— Comme tu dis, Steeve, confirma Bob. Le proviseur nous attendait au centre de la salle, tout de noir vêtu avec sa tête d’enterrement habituelle. À ses côtés, il y avait un homme que nous n’avions jamais vu. C’était un gars athlétique d’environ une quarantaine d’années, avec un visage sévère, des joues creusées et une petite moustache bien taillée. Il avait une allure martiale, avec le menton relevé, la mâchoire serrée et les bras croisés dans le dos. Par contre, question tenue, il était plutôt relax. Il portait un petit débardeur blanc et l’un de ces mini shorts rouges qui ressemblent à des calbutes. Ceci dit, pour les années 80, c’était la norme. On voyait partout des hommes virils se mettre en petite tenue pour faire du sport. Mais, compte tenu du froid qu’il faisait dans la salle — pas plus de cinq degrés —, cet accoutrement était quand même un poil léger. À titre de comparaison, nous avions tous de gros sweat-shirts en laine, et certains d’entre nous avaient même gardé leur doudoune et leur écharpe. C’était donc un peu bizarre. En plus, il avait l’air furax. Pour une raison qui nous échappait, il nous scrutait de ses yeux bleus acier furibonds comme si on avait insulté sa mère.
— Et alors, qu’est-ce qu’il s’est passé ? demandai-je.
— Eh bien, le proviseur nous a demandé de nous mettre en rangs, un peu comme à l’armée, puis il a pris la parole :
« Messieurs, en trente ans de carrière au lycée Saint-Laurent des Cimes, je n’ai jamais vu une promotion aussi lamentable que la vôtre. Vous êtes la lie de l’Éducation nationale. Mais les choses vont changer. Je vous le promets. L’homme que vous voyez ici, à mes côtés, est le Sergent Patrick. Il sera votre nouveau professeur d’éducation physique. Il occupera également le rôle plus large d’appariteur. Je lui confère dès à présent le pouvoir d’utiliser tous les moyens utiles et nécessaires à la tâche quasi impossible de faire de vous des hommes… Bonne chance, Messieurs. Vous en aurez besoin. »
Et là-dessus, le proviseur a quitté les lieux, en nous laissant avec le sergent.
— Le Sergent Patrick ? J’imagine qu’il était pas commode, le gadjo, commenta Steeve.
— Je ne te fais pas dire, dit Bob. Quand le proviseur est parti, le sergent est resté silencieux pendant un petit moment. Il nous regardait avec dégout comme si nous étions les pires raclures que la Terre ait jamais portées. Puis, environ une minute plus tard, il s’adressa à nous d’une voix puissante à réveiller les morts :
« Alors, les petits malins, comme ça vous aimez bien jouer avec des pétards, hein ? Qui a fait le coup ? Hein ? Hein ? Balancez-le tout de suite ou vous allez morfler. Bande de chiens ! »
— Oh, c’est chaud, fit Steeve.
— Effectivement, confirma Bob. En plus, au début, on avait voulu jouer aux bonhommes, donc personne n’avait balancé Roberto. Du coup, le Sergent Patrick avait décrété qu’il fallait qu’on fasse un peu de sport. Ça allait nous remettre les idées en place, d’après lui. La première étape était donc de nous mettre en tenue de sport réglementaire : c’est-à-dire en short et en t-shirt. Et ceux qui n’avaient pas de short — donc la majorité d’entre nous — se sont vus forcés de se mettre en calbute. Ensuite, le sergent nous a ordonné de sortir dans la cour du lycée et de nous mettre à courir. Je rappelle qu’il neigeait et que la température était probablement négative.
Au bout de quelque temps, comme ça ne s'arrêtait pas et que le Sergent Patrick nous engueulait comme des chiens au moindre ralentissement, certains d’entre nous se sont mis à pleurer. D’autres ont carrément vomi.
Plus tard, à la fenêtre d’un des bâtiments, on a vu le proviseur nous observer. Alors nous lui avons fait des signes de détresse en croyant trouver notre sauveur. Mais cette enflure nous a gratifié de son tout premier sourire l’année puis il a fermé le rideau.
— Oh, mais c’est quoi ces psychopathes ? fit Steeve.
— Attends, c’est pas fini, dit Bob. Au bout d’une heure, le Sergent Patrick nous a ordonné de rentrer au gymnase. Je te dis pas le choc thermique. Nous étions en train de fumer comme des bâtons d’encens sur pattes. Et là, quand le sergent nous a redemandé qui avait fait le coup des pétards, personne n’a moufté, mais de façon presque instinctive nos regards se sont tous tournés vers le pauvre Roberto. Cette crapule de Patrick savait y faire pour mater un groupe.
— Comment ça s’est passé pour Roberto ? demandai-je, anxieux.
— Pas terrible, répondit Bob. Pas terrible. Le sergent s’est approché à deux centimètres de sa face et a commencé à lui gueuler dessus :
« Alors, t’aimes bien les pétards, Roberto ? Hein ? T’aimes bien les pétards ? »
Au bout de deux minutes à répéter les mêmes phrases, le sergent a demandé à Roberto d’aller lui chercher le contenu d’une petite boîte en métal qui se trouvait sur un bureau.
Roberto s’est exécuté et a ouvert la boîte.
Il y avait un flingue dedans.
Et là Patrick s’est remis à gueuler : « Bah, vas-y, prends le pétard, si t’aimes ça, Roberto ! Vas-y, prends-le ! »
Comme Roberto n’obtempérait pas, le sergent s’est approché, a pris le flingue et l’a mis dans la bouche de mon pote.
« Alors, tu l’aimes toujours le pétard ? Il a bon goût le pétard, Roberto ? »
Le pauvre Roberto… Jusque là, il avait gardé sa contenance, mais là, c’en était trop. Il s’est mis à chialer. Il s’est même pisser dessus.
Et nous, que pouvions-nous faire ? Pas grand-chose. Donc on a fermé nos gueules.
— Mais c’est un truc de dingue. Tu sais que c’est du pénal, ça, Bob ? fit remarquer Steeve.
— Ah, c’était un autre temps, répondit Bob en balayant sa main. Et puis, on était complètement isolés. Y avait pas moyen de se plaindre. On ne rentrait même pas chez nos parents les weekends. Donc, c’était mort. Le sergent avait les mains complètement libres.
— Comment ça s’est fini pour Roberto ? demandai-je.
— Ce jour-là ? fit Bob. Eh bien, le sergent a retiré son flingue de la bouche de Roberto. Je crois qu’en voyant la pisse, il avait compris qu’il était allé un poil trop loin. Du coup, il s’est mis à rigoler comme si c’était une blague, puis il nous a dit que c’était un faux flingue et qu’il n’y avait pas de raison de s’inquiéter. Il avait même affirmé qu’en apprenant à le connaître, on finirait tous par bien l’aimer. Mais il avait quand même dit à Roberto d’aller chercher une serpillère et un balai pour nettoyer sa pisse.
— Mais quelle pourriture, celui-là, s’indigna Steeve.
— Ouais, dit Bob. En tout cas, je peux te garantir qu’à partir de ce jour-là, on a tous filé droit.
— Sans blague, dis-je, narquois.
— Enfin, tous sauf Roberto, précisa Bob. À partir de ce jour-là, quelque chose avait changé en lui. Avant, c’était toujours le premier à déconner, mais plus depuis cet incident. On ne l’entendait plus rigoler et son regard était devenu sombre. Sombre à faire peur.
De fait, il m’avait expliqué que dorénavant, plus personne ne lui ferait la misère. Si bien que durant les cours de sport, Roberto se contentait de faire le minimum syndical. Par exemple, si le Sergent Patrick nous demandait courir, Roberto marchait en traînant des pieds. Et s’il fallait faire cent pompes, Roberto en faisait une ou deux puis il restait allongé sur le sol. Alors bien sûr, le sergent se mettait à l’engueuler comme un poissonnier, mais Roberto lui balançait alors son regard sombre. Et, en général, ça fonctionnait. Le sergent Patrick se calmait. Je crois qu’il se méfiait de Roberto. À l’armée, il avait sûrement dû déjà croiser des tueurs multirécidivistes avec le même regard.
— Et vous, pourquoi vous avez pas tenté la technique du regard de fou ? demandai-je.
— On l’a essayé, cette technique, fit Bob. Mais faut croire qu’on n’avait pas l’instinct du tueur en nous. Tout ce qu’on a obtenu ça a été de nous faire encore plus pourrir par Patrick. Pendant les quatre mois de cours qu’il restait avant les grandes vacances, il nous en a fait baver… Vous n’imaginez même pas. C’était pas un entraînement sportif, c’était plutôt une formation au métier de commando. La seule différence, c’était qu’on n’avait pas de treillis et qu’on n’avait pas de flingues. Mais sinon, c’était la même.
À la fin des quatre mois, à l’exception de Roberto, on était tous capables de marcher 80 kilomètres dans la journée, de faire 200 pompes de suite, ou de survivre pendant trois jours au milieu d’une forêt avec juste un briquet et un couteau. C’était intense. Voire traumatisant.
Presque quarante ans plus tard, il m’arrive encore de me réveiller en sursaut à quatre heures du matin parce que j’ai rêvé du Sergent Patrick m’ordonnant de faire 50 pompes. Mais, pour être honnête, cette torture avait quand même eu du bon.
— Comment ça ? demandai-je.
— Eh bien, pour commencer, répondit Bob, cet entraînement de psychopathe a eu des conséquences bénéfiques. Déjà, nos corps se sont transformés. Nous étions des gringalets grassouillets et nous sommes devenus des gars secs et musclés. Et ça, ça joue pas mal sur la confiance en soi. On s’en est rendu compte lors de nos rares permissions du weekend, quand on était autorisés à descendre sur Perpignan. Les filles, et même les femmes, ne nous regardaient plus de la même façon. On commençait à devenir des hommes.
Ensuite, et là c’est plus bizarre, la plupart d’entre nous ont commencé à avoir de bonnes notes à l’école. Je veux dire dans des matières autres que l’éducation physique. Alors, je ne sais pas si c’est un hasard ou si c’est le sport qui provoque un plus grand afflux sanguin dans les cerveaux, mais c’est un fait : nous étions devenus plus vifs, plus concentrés et peut-être même plus intelligents. D’ailleurs, aujourd’hui, la majorité de mes anciens camarades — en tout cas ceux avec qui j’ai gardé contact — a plutôt bien réussi sa vie. Et vu le genre de zozos qu’on était, c’était loin d’être gagné.
Steeve soupira :
— Pfft, j’ai compris où tu veux en venir, Bob.
— Ah oui, et où donc ?
— Tu veux me dire par cette histoire que les épreuves de la vie peuvent nous rendre plus fort ? C’est ça ? J’ai bon ?
— C’est pas faux, ce que tu dis, Steeve, mais c’est pas exactement mon point.
— Ah ouais, alors c’est quoi ton point ?
— J’y viens, Steevy, mais accorde-moi encore deux minutes.
— Vas-y, fit Steeve.
— J’ai bien envie de savoir ce qui s’est passé avec Roberto, ajoutai-je. Mais dépêche, Bob, j’ai trop la dalle.
— Très bien, très bien, dit Bob. Alors pour terminer l’histoire, à la fin de l’année, lors de notre dernier cours de sport, le Sergent Patrick nous a montré un autre visage. Pour la première fois en quatre mois, il nous a dit qu’il était fier de nous et de tout ce qu’on avait accompli. D’après lui, — je reprends ses mots — nous n’étions plus des « lopettes ». Il était heureux de constater que pour la plupart d’entre nous, le service militaire que nous allions devoir effectuer plus tard, à partir de nos vingt ans, ne serait qu’une formalité. Il avait accompli sa mission avec brio.
Néanmoins, avec les grandes vacances qui allaient venir, il craignait qu’on se ramollisse pendant ces deux mois d’oisiveté. C’est pourquoi il nous proposait de le rejoindre, une semaine avant la rentrée des classes de septembre, pour un stage de survie en forêt. Histoire de se remettre en forme. C’était facultatif, mais vivement recommandé.
— T’y es quand même pas allé ? demanda Steeve.
— Eh bien, figure toi que si, dit Bob. Je me suis rendu à l’internat dès la fin du mois d’août pour répondre à l’appel du Sergent Patrick. Et d’ailleurs, j’ai été étonné de constater que, hormis un ou deux d’entre nous, toute la promotion était là. Y compris Roberto.
— Mais ça n’a pas de sens, dis-je. Pourquoi aller se fourrer dans la gueule du loup ?
— En ce qui me concerne — mais je crois que c’était la même chose pour mes camarades —, je m’étais laissé aller pendant les vacances. Mis à part quelques longueurs à la piscine, je n’avais fait aucun sport. Du coup, j’étais redevenu mou et j’avais repris du bide. J’avais perdu la gnac, quoi. C’est qui m’avait motivé pour retourner à l'abattoir.
— Ça a un nom ça, Bob, fit Steeve. Ça s’appelle le syndrome de Stockholm.
— Peut-être bien, dit le patron.
— Et Roberto ? Qu’est-ce qu’il foutait là ? demandai-je.
— Roberto, c’était différent, dit Bob. Je l’ai compris quelque temps après notre départ en stage. On avait pris un car pendant deux heures pour arriver en bordure d’une forêt, à la montagne, dans un coin complètement paumé des Pyrénées. Le Sergent Patrick, qui avait revêtu un treillis et des rangers pour l’occasion, nous avait ordonné de prendre nos sacs à dos et de le suivre pour une petite marche. Une petite marche de 25 kilomètres d’ascension pour arriver sur les lieux de notre bivouac. En plus, outre le fait que nous n’avions plus aucune condition physique, il faisait chaud à mourir. Pas aussi chaud qu’ici, à Koh Chang, mais c’était tout de même la canicule. Autant dire qu’on en a bavé.
Et c’est sur le chemin de cette longue marche que j’ai eu l’occasion de discuter un peu avec Roberto qui traînait à la queue du groupe. Pour lui qui n’était pas entraîné comme nous, cette expédition était un supplice. Mais, bizarrement, il avait l’air déterminé. Son regard était braqué sur le Sergent Patrick, qui lui-même avançait tant bien que mal à la tête du cortège, avec un sac énorme d’au moins 40 kilos sur le dos. Et quand je lui avais demandé ce qu’il foutait là, Roberto s’était juste contenté d’ouvrir son sac à dos, puis il m’avait fait signe d’y jeter un œil.
À l’intérieur, il n’y avait ni vêtements, ni provisions, ni sac de couchage. Il n’y avait que des pétards. Des pétards dit « Mammouth », de type « Big Boy », ceux qui ressemblent à des bâtons de dynamite.
Ensuite, avant d’accélérer le pas, il avait juste dit : « Ce soir, ça va péter. ».
— Il est bon, ce Roberto, lui, fit Steeve en se frottant les mains.
— C’est une façon de voir les choses…, reprit Bob. En tout cas, nous avons continué de marcher plusieurs heures, quasiment jusqu’au début de la soirée, et finalement nous sommes arrivés sur une grande clairière au milieu d’une forêt. C’est là que le Sergent Patrick nous a ordonné de monter le camp. Et il fallait faire vite, car la nuit allait bientôt tomber.
Alors, malgré notre fatigue nous nous sommes tout de suite mis à l’ouvrage. Une partie d’entre nous s’est chargée d’installer les tentes, d’autres sont allés chercher de l’eau à une source que nous avions repérée en contrebas, et d’autres encore ont déblayé les épines de pin sec sur le sol puis ont creusé un trou pour allumer le feu de camp. Grâce à notre entraînement militaire, ça n’avait été qu’une formalité.
Et alors que le soleil commençait à se coucher, le Sergent Patrick nous a demandé de nous réunir autour du feu. Nous nous sommes assis sur des rondins de bois que nous avions coupés pour l’occasion. Et pendant ce temps, des brochettes de poulet étaient en train de griller sur le feu.
Le sergent s’est alors saisi de son grand sac à dos kaki, l’a ouvert et en a sorti plusieurs cartons volumineux. C’était des packs de bières.
Et voilà ce qu’il nous a dit : « Vous l’avez bien mérité, les gars. Servez-vous. »
Sur ce, nous avons pris nos bières et la soirée a commencé dans une ambiance bon enfant. C’était la première fois que le sergent nous faisait un cadeau. En plus, nous étions crevés et l’alcool était quelque chose d’assez nouveau pour nous, donc on s’est très vite laissé aller à se détendre et à plaisanter.
Même le Sergent Patrick était détendu. Pour une fois, ses sourcils s’étaient défroncés et il s’était même laissé aller à rigoler en nous racontant quelques anecdotes de l’époque où il était à la Légion étrangère. Comme, par exemple, la fois où il avait réussi à buter trois membres d’une milice en Angola, avec un simple cure-dents, le tout en mimant la scène avec le bâton de sa brochette.
— Sympa, l’ambiance, dis-je. Et Roberto, qu’est-ce qu’il foutait ?
— Rien de spécial, dit Bob. Je le suivais du coin de l’œil en m’attendant à une folie, mais rien ne s’est produit pendant la soirée. Il a juste bu sa bière, comme tout le monde. C’est plutôt pendant la nuit que les choses se sont gâtées.
Nous étions tous en train de dormir à poings fermés quand un tonnerre de détonations se fit entendre. Nous sommes tous sortis de nos tentes, en panique, même si, en ce qui me concerne, je me doutais de ce qu’il s’était passé. Dehors, alors que la pleine lune nous éclairait, le Sergent Patrick se tenait debout. Il ne portait qu’un slip kangourou et un long couteau de survie à la main — celui dont on s’était servi pour débiter les morceaux de poulet. Il avait les yeux d’un type qui s’apprête à tuer.
Et, comme à son habitude, il s’est mis à gueuler : « Qui a fait ça ? Hein ? Qui veut se faire buter ? Hein ? »
Apparemment, l’explosion s’était produite à moins d’un mètre de sa tente, d’où sa légère irritation.
Et là, je ne m’attendais pas à ça, mais Roberto a commencé à se marrer.
« Alors, tu les aimes les pétards, vieux con ? » a-t-il dit.
Je me souviens qu’à ce moment précis, j’ai pensé que nous allions assister à un meurtre en direct. Mais c’est aussi à ce moment-là qu’une tente, non loin de celle du Sergent Patrick, a commencé à prendre feu, puis que le feu s’est mis à se propager à tout le camp et aux arbres secs qui nous entouraient. Avec ce temps caniculaire, c’était comme si on avait jeté une allumette dans une botte de paille.
Voyant cela, le Sergent a rapidement pris la décision de remettre son idée d’assassinat à plus tard.
« Faut évacuer, les gars. Mettez vos pompes, et suivez-moi ! »
Et sur ce, il s’est jeté dans sa tente, a enfilé ses rangers, puis il nous a attendu, pas plus d’une petite minute, avant de se mettre au pas de course en direction de la civilisation. Qui se trouvait à au moins 25 bornes, je le rappelle.
Évidemment, on en a fait de même, et on s’est mis à courir dans la nuit, alors que derrière nous, le feu continuait de dévorer la forêt et nous suivait comme une sangsue qui avale tout sur son passage.
— Oh, c’est chaud ! s’exclama Steeve. Vous vous en êtes tous tirés sans souci ?
— Presque, répondit Bob. À un moment, au bout d’environ trois quarts d’heure de course, alors qu’on commençait à être bien éclatés, on a entendu quelqu’un crier derrière nous.
Avec trois de mes camarades, on a décidé d’aller voir ce qui se passait. C’était Roberto qui était encore à la traîne. Il avait trébuché, s’était foulé la cheville, et il hurlait comme un animal pris dans un piège. De fait, les flammes étaient quasiment sur lui, et il faisait si chaud qu’on aurait pu cuire un gigot d’agneau en un temps record. Et d’ailleurs, ça commençait à sentir la viande. La viande bien cuite. Sauf que ce n’était de la viande d’agneau. C’était plutôt du gigot de Roberto.
Alors, au péril de nos vies, avec mes trois camarades, on s’est avancé jusqu’à lui, et on s’est emparé de lui comme on porte un corbillard à un enterrement, avant de détaler comme des lapins. C’était tendu, mais, par miracle, on s’en est tiré.
Au bout d’une interminable demi-heure à continuer de dévaler la montagne, nous sommes parvenus jusqu’à une petite rivière. C’est ce qui nous a sauvés, car, grâce à la sécheresse, elle n’était pas bien profonde, et nous avons pu la traverser en marchant, avec l’eau jusqu’au cou.
Une fois à l’abri du feu, de l’autre côté du rivage, nous avons pu souffler et nous préoccuper de Roberto. Le pauvre s’était évanoui. Et il y avait de quoi : son dos était complètement cramé, un peu à la manière des brochettes de poulet qu’on s’était tapées quelques heures plus tôt, et son débardeur avait carrément fusionné avec sa peau. Une vraie vision d’horreur.
Alors tout ce qu’on a pu faire, ça a été de badigeonner sa peau avec de la terre mélangée à de l’eau. On n’avait rien d’autre à disposition.
Et puis, on a attendu. Il n’y avait que ça à faire.
Au petit matin, un vrombissement dans le ciel s’est fait entendre. C’était les secours qui arrivaient en hélicoptère. Et voilà comment ça s’est terminé.
— Oh, il a pris cher, le Roberto, déclara Steeve.
— Je ne te le fais pas dire, confirma Bob.
— Mais, il s’en est tiré ? demandai-je.
— S’il s’en est tiré ? répéta Bob. Disons que oui. Quand je l’ai revu, environ deux mois plus tard, il était en vie, mais il était quand même dans un sale état. C’était pas joli à voir.
— Deux mois !? m’exclamai-je. T’aurais pas pu lui rendre visite plus tôt ?
— Impossible, répondit Bob. Déjà, mes camarades et moi, on avait été hospitalisés quelques jours à cause des fumées toxiques. Ensuite, on nous avait tous renvoyé chez nos parents, le temps d’éclaircir cette affaire. Pour ma part, c’était en Gironde, donc à plus de 400 bornes de Saint-Laurent des Cimes et de l’hôpital où se trouvait Roberto. En plus, ça avait duré un petit moment, car toute cette histoire avait fait grand bruit.
Vous êtes trop jeunes pour vous en souvenir, mais les journaux de l’époque en avaient fait leurs choux gras. Partout on pouvait lire des titres comme « Incendie criminel : le professeur abandonne ses élèves », ou encore « Un ancien militaire mène ses élèves à l’abattoir », ou bien « Faut-il vraiment interdire les pétards Mammouth ? ».
Au final, le Sergent Patrick s’était fait virer, mais cette crapule de proviseur s’en était tiré sans problème. Et deux mois plus tard, on avait repris les cours, comme si de rien n’était.
— Il devait avoir la haine, le Roberto, non ? demanda Steeve.
— Pas tant que ça, répondit Bob. Quand je me suis rendu à l’hôpital pour lui rendre visite, j’ai eu un choc en ouvrant la porte de sa chambre. Le pauvre Roberto était allongé sur le ventre sur un lit spécial avec un trou au niveau de la tête pour qu’il puisse respirer.
Une infirmière était en train de changer ses bandages au niveau de son dos. C’était vraiment pas beau à voir.
Sa peau ressemblait à croute sèche, avec par endroit des tâches noires, rosâtres ou blanchâtres. On aurait dit qu’il portait un blouson multicolore, en cuir de vachette.
Mais, heureusement, il ne souffrait plus. C’était impossible, car il n’avait plus aucune terminaison nerveuse à cet endroit. Et en plus, il était shooté à la morphine.
En revanche, le grand malheur de Roberto, c’était sa position allongée. Plus tard, quand l’infirmière était partie, il m’avait expliqué que ça faisait deux mois qu’il était sur le ventre, comme une larve, incapable de faire quoi que ce soit par lui-même, y compris pour ce qui est de se laver ou de faire ses besoins. Il y avait de quoi devenir fou. Sans compter que dans le meilleur des cas, ça allait durer encore un mois.
Mais, en définitive, Roberto m’avait dit que cette situation lui avait procuré au moins un avantage : elle lui avait permis méditer et de prendre conscience de tout un tas de choses. Et tu sais ce qu’il avait découvert ?
— J’sais pas, répondit Steeve. Qu’il faut pas jouer avec les pétards Mammouth ?
— Pas du tout, répliqua Bob. Au début, il n’avait ressenti que la haine. Bien sûr, la haine contre le Sergent Patrick, mais aussi la haine contre le proviseur, la haine contre ses parents qui l’avaient envoyé en internat, la haine contre ses camarades qui ne l’avaient pas sauvé plus tôt, la haine contre le monde entier qui n’avait rien fait pour empêcher son infortune. Et au final, comme toi, Steeve, Roberto en était même arrivé à ressentir de la haine envers son Créateur.
Qu’avait-il bien pu faire pour mériter une telle correction ? C’est certain, il n’était pas un ange, mais de là à le faire cramer comme une vulgaire brochette de poulet, c’était quand même exagéré.
Alors, avec la souffrance, Roberto avait gardé cette haine au fond de son cœur pendant plusieurs semaines.
Mais au bout de quelque temps, Roberto a commencé à guérir, la douleur était moins vive, et c’est là qu’il a réussi à prendre conscience de deux choses.
Primo, même si c’était dur, il allait s’en sortir, et il pouvait donc être reconnaissant envers son Créateur. C’est Lui seul qui commandait à chacune de ses cellules de se remettre à vivre, petit à petit.
Deuxio, en fin de compte, le seul qu’il pouvait blâmer, c’était lui-même. Le Sergent Patrick et ses épreuves de psychopathe n’étaient sans doute qu’un moyen. Un moyen pour le renforcer, pour le faire évoluer et pour, au final, faire de lui un homme meilleur. D’ailleurs, s’il avait suivi l’entraînement du sergent tout comme ses petits camarades, lui aussi il serait devenu fort, lui aussi il aurait été capable de courir pendant des heures dans la nuit. Il aurait échappé à cet incendie et rien de mal ne lui serait arrivé.
Désormais, Roberto était convaincu que, dans tous les cas, un jour ou l’autre, il aurait dû passer par cette épreuve. Histoire de comprendre le sens des galères de la vie. Et surtout de comprendre qu’au final, mieux valait cramer un peu ici-bas plutôt que de cramer pour l’éternité dans le feu de l’Enfer.
Voilà ce que je voulais te transmettre, Steeve. Voilà tout le sens de mon histoire.
— Le feu de l’Enfer ? s’interrogea Steeve. Mais qu’est-ce que c’est que ces fadaises bibliques ? De quoi tu parles, Bob ? Tu veux que je rentre dans les ordres, ou quoi ?
— Réfléchis un peu, Steevy, répondit Bob. Tu crois pas que t’as deux ou trois choses à améliorer dans ta vie avant de te plaindre que le bon Dieu t’en veut, non ?
— N’importe quoi, l’ancien, fit Steeve. Je crois surtout que tu m’as fait perdre mon temps. Allez, je m’arrache. Je vais chiller un peu.
Sur ces mots, Steeve se leva de son tabouret, se gratta la verrue à travers son jogging, puis se dirigea vers la piscine pour s’installer sur un transat. Manifestement, Steeve n’était ni versé dans la philosophie, ni dans la spiritualité, et peut-être même pas dans la simple réflexion. Bob aurait probablement dû lui raconter une histoire de jet ski. Ça aurait peut-être mieux fonctionné. Qui sait ?
Pour ma part, j’avais trouvé ce moment instructif. Belle histoire. En fait, la racaille du quartier était peut-être mon Sergent Patrick à moi. Grâce à lui, et grâce au Créateur, j’allais m’entraîner, j’allais devenir plus fort, et j’allais revenir au bercail pour lui défoncer la gueule. C’est un plan qui me plaisait bien. Mais j’étais surtout content qu’on puisse maintenant passer à l’essentiel : la dégustation de mes côtelettes d’agneau.
— Mes côtelettes, Bob ! m’exclamai-je.
— C’est bon, c’est bon, Bernard, fit Bob. J’y vais.
Le patron partit en cuisine et, pour mon plus grand plaisir, il ne revint que deux minutes plus tard, avec à la main une grande assiette garnie d’une dizaine de côtelettes, de frites et de quelques feuilles de salade nappées de vinaigrette.
— Allez, régale-toi, dit Bob, en me tendant l’assiette.
J’avais commencé à découper ma viande et je m’apprêtais à enfourner un morceau dans ma bouche, la bave aux lèvres, quand Bob m’interrompit :
— Mais, c’est pas vrai, combien de fois je lui ai dit de ne pas fumer ici ? Hein, combien de fois ?
Je suivis le regard de Bob.
Bien sûr, c’était Steeve dont il parlait. Ce dernier était assis sur un transat, en train de tirer sur un gros joint de cannabis, comme s’il était seul au monde.
Je m'apprêtais à reprendre mon rendez-vous en tête-à-tête avec ma bidoche, quand j'aperçus quelque chose de rouge se détacher du joint de Steeve. C’était une boulette de shit incandescente qui venait de tomber sur la belle chemise en viscose du Marseillais. Et aussitôt tombée, on vit un trou se former, puis de la fumée apparaître.
C’est génial, la viscose. C’est léger, c’est pas cher, ça laisse passer la transpiration. Mais il y a quand même un petit souci : ça flambe comme du papier à cigarette.
Et donc, très vite, on vit la chemise de Steeve prendre carrément feu.
Pendant quelques instants, alors qu’on assistait à une imitation assez réussie de la Torche Humaine, Steeve continuait de fumer son joint, comme si de rien n’était. Cet idiot était probablement trop défoncé pour réagir.
Mais, soudain, sentant la chaleur, il bondit du transat comme un diable dans une boîte à ressort, virevolta dans tous les sens, et finit par tomber dans la piscine en éclaboussant tous ceux qui se trouvaient autour.
Bob et moi, nous pensâmes que c’en était terminé, mais Steeve, la tête à moitié sous l’eau, et poussant des cris incompréhensibles, battait ses bras dans la piscine de façon frénétique. Ce fada était en train de se noyer.
— J’y crois pas, soupira Bob. Ce débile loue des jet skis et il ne sait même pas nager.
Sur ce, Bob sauta par-dessus le comptoir du bar comme un chat — ou plutôt comme un tigre de 200 kilos —, posa son borsalino sur le zinc, enleva son t-shirt à compression et partit plonger dans la piscine à la rescousse de Steeve.
C’était la première fois que je voyais Bob sans son fameux t-shirt à manches longues. C’était aussi la première et la dernière fois que je voyais son dos. Un dos tanné comme du cuir, avec une constellation de taches noires, blanches et rosâtres. Un dos de grand brûlé, au troisième degré. Sacré Roberto, il avait bien caché son jeu.
FIN
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Alpha
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