Chapitre 28 : La plante miraculeuse (Alex's_18)
Quelque chose cloche. Délivrer le scientifique a été un jeu d'enfant. Seul deux gardes pour le surveiller et ils ont été très faciles à berner. Bon, je dois avouer que Jérémie y est pour quelque chose, je ne pensais pas qu'il était capable de... eh bien, de donner vie aux fantasmes des autres. Et maintenant, nous voilà sur la route du retour à Buenos Aires avec au volant de ce vieux coucou un savant fou. Je prie tous les dieux pour qu'on ne fasse pas une embardée et qu'on se retrouve dans le fossé. Décidément, si je ne deviens pas un fervent croyant en Dieu voire polythéiste à la fin de tout ça, je me marierai, je le jure.
Jérémie, Pablo et moi nous serrons à l'arrière, et bien que nous ne sommes pas gros, le pauvre argentin est serré entre nous deux. D'ailleurs, je ne me suis toujours pas excusé pour avoir failli l'exécuter sans un remord. J'y suis peut-être allé un peu fort, mais rien ne vaut quelques précautions. Sans oublier qu'on ne sait pas comment il a fait pour nous retrouver à l'hôtel. Il ne doit pas être si innocent que ça.
— Nous quittons la ville ! lance Sergio d'une voix enjouée.
— Ça solutionne une partie de nos problèmes mais pas l'essentiel. Nous n'avons pas retrouvé Céline ! Profesor, avez-vous une idée de qui sont ces gens ? J'imagine bien un groupe d'industriels puissants et importants qui ne souhaitent pas que l'ordre mondial soit bousculé mais Billes Gates ou Warren Buffet sont progressistes et impliquées dans les initiatives humanitaires, alors qui ?
Sergio grimace.
— Billes Gates, impliqué dans les initiatives humanitaires ? Laissez-moi rire, on voit bien que vous êtes Français ! Ce milliardaire présomptueux ne fait que nourrir le capitalisme en pompant toutes nos richesses ! Et je ne parle même pas de l'Asie ou de nos voisins les Brésiliens.
Bon, là, il marque un point.
— Mais pour répondre à votre question, je ne sais pas mon garçon, reprend-il. Ils ont déboulé chez moi et je n'ai pas eu le temps de poser la moindre question. Je ne pense pas que je sois leur véritable cible, sinon, ne m'auraient-ils pas emmené à la place de notre amie ? Non, leur objectif, c'était Céline. Et je n'étais qu'un personnage de second plan.
Le professeur évite un nid-de-poule d'un brusque coup de volant, et m'envoie m'écraser contre le pauvre Pablo. Décidément, il aura souffert aujourd'hui.
— Vous pouvez rouler plus doucement ? sifflé-je entre mes dents.
— Je n'ai pas envie d'avoir les gros bras aux trousses, figurez-vous.
— Alors, faites un peu attention.
Il renifle bruyamment pour marquer sa désapprobation mais il ne ralentit pas l'allure pour autant. Il ne va pas ployer si facilement.
— Nous allons à Buenos Aires ? demande alors Jérémie d'une petite voix.
— Pas vraiment, je vous emmène dans le seul endroit où on ne pensera pas à nous chercher. Et de toute façon, j'ai une course à faire
L'air énigmatique du scientifique ne me rassure pas du tout. Je ne sais pas ce qu'il mijote, mais ça n'annonce rien de bon.
*
Les phares de notre véhicule se posent sur un grand portail lorsque Sergio se gare enfin. Il coupe le moteur et je m'extirpe de la voiture, les membres endoloris. Je lève les yeux sur le grand panneau qui surplombe l'entrée.
— Un zoo ? m'écrié-je en me tournant vers Sergio.
— En effet, mon garçon. Le gardien de nuit est un vieil élève et qui plus est, il doit une faveur à Céline. Je suis sûr qu'il sera ravi de payer enfin sa dette en aidant les amis les plus chers de sa créancière.
Jérémie hausse les épaules quand je lui lance un regard hébété avant d'emboîter le pas au scientifique.
Sergio se dirige vers une petite maisonnette à droite de l'entrée du zoo et toque quelques coups contre la porte en bois. Une lumière s'allume et des bruits se font entendre à l’intérieur. Puis, la porte sur un homme d'une quarantaine d'années, les cheveux bruns et une barbe fournie. Il nous jette un regard suspicieux et quand ses yeux se posent sur un Sergio tout sourire, il ouvre la bouche, surpris.
— Profesor ?
— C'est bien moi, mon brave Fabio ! Comment vas-tu depuis tout ce temps ? s'exclame Sergio en français, certainement pour ne pas nous écarter de la conversation.
— Je... Ça va, ça va. Mais que faites-vous à cette heure tardive et qui sont ces gens ?
Bien qu'il réponde dans un français correct, sa prononciation est entachée d'un fort accent espagnol.
— Je t'expliquerai tout ça quand nous serons entré.
Les paroles de Sergio le déstabilisent et il n'a d'autres choix que d'exécuter l'ordre déguisé.
J'entre dans un petit salon sommaire, où règne un désordre digne d'un célibataire de quarante qui doit s'ennuyer ferme. Des bières traînent sur la table basse et une boite de pizza à moitié détruite gît sur le sol. Fabio intercepte mon regard et s'excuse dans sa langue natale avant de débarrasser les détritus, vaguement embarrassé. Il règne une odeur forte de cuir, d'effluves masculines et de quelque chose d'autre que je n'arrive pas à saisir...
Soudain, dans un jappement enroué, un chien déboule dans la pièce et fonce droit sur nous mais s'arrête à une distance raisonnable.
— Oh, qu'il est mignon, le toutou, lance Jérémie d'une voix fluette pour attendrir le chien.
Il s'accroupit pour caresser l'animal mais tout ce qui récolte est un aboiement grave qui le fait se redresser à toute vitesse.
— Disculpa, Pedro n'apprécie pas vraiment les étrangers, s'excuse Fabio. Mais installez-vous, por favor et racontez-moi ce qui vous amène ici.
— L'histoire risque d'être un peu longue, maugrée-je en m'installant sur le canapé avant de croiser les jambes. Et nous n'avons pas tout notre temps.
Jérémie s'assoit à côté de moi et hoche la tête pour appuyer mes dires.
— Céline est en danger, rappelle-t-il.
— Céline ? Notre Céline ? répète-il en regardant Sergio.
— Celle-là même.
— Vous la connaissez ? demandé-je abruptement.
— Bien sûr. Quand j'étais plus jeune, j'étais l'apprenti du professeur. Je l'avais rencontré une ou deux fois vers la fin de mon apprentissage et avant que je prenne le poste de gardien de nuit dans ce zoo. La dernière fois qu'elle est venue en Argentine, elle a voulu me rendre visite au zoo. Je l'ai trouvé alors qu'elle était assise devant l'enclos des tigres. Elle avait la main posée sur la vitre, la patte d'un tigre calquée sur la sienne. Je lui ai proposé de nous aider à faire les soins et elle a accepté. Nous avons ensuite mangé un bout dans un restaurant du zoo et en la raccompagnant à la sortie, nous sommes passés une dernière fois devant l'enclos des tigres. Il était ouvert. Heureusement, Céline a retrouvé le tigre qui s'était enfui non loin et je ne sais pas comment elle s'y est pris pour le convaincre de la suivre jusqu'à la cage. Si vous aviez pu voir ça, elle se tenait debout à côté de lui et elle lui parlait en le caressant comme si c'était juste un gato.
Fabio s'interrompt, plongé dans ses souvenirs.
— Je lui dois une fière chandelle, elle a évité mon renvoi, et je me suis juré de lui rendre la pareille si elle avait besoin d'un coup de main un jour.
— Ça tombe bien, vous pouvez payer votre dette ce soir.
Je lui raconte dans les grandes lignes qui nous sommes et notre objectif, avant de finir par lui demander si nous pouvions nous reposer chez lui cette nuit. Ensuite, nous reprendrons la route jusqu'à Buenos Aires avant de prendre le premier vol pour Paris.
— À ce propos, intervient Sergio, j'ai une petite faveur à vous demander. Je suis désolé mais je vais devoir changer votre plan.
— Pourquoi ? s'écrie Jérémie.
Le ton dans sa voix me surprend et je tourne la tête vers lui. Il fixe le professeur d'un regard dur et je peux presque sentir son impatience. Lui aussi, il a les nerfs à bout et chaque seconde perdue est un risque encouru de ne jamais retrouver Céline.
— Vous n'êtes pas sans savoir que les recherches sur lesquelles je travaillais sont d'une importance capitale. Mais vous ne connaissez pas la nature de mon expérience. J'ai découvert il y a quelque temps qu'une plante rarissime, la Calceolaria, ou « Topa Topa » pouvait être la solution à certains de nos gros problèmes. Malheureusement, nous ne pouvons tirer profit de ses facultés incroyables que si elle est croisée avec une fleur qui favorise sa croissance et son développement. Or, il se trouve que je suis entré en contact avec des confrères chinois et j'ai pris grand soin d'envoyer une partie de mes recherches jusqu'en Chine avant mon... kidnapping. À l'heure qu'il est, les pieds de cette plante doivent se trouver dans un paquebot prêt à partir. Seulement, je dois m'assurer qu'elles y sont toujours et que les grands costauds qui m'ont attrapé n'ont pas également mis la main sur mes recherches.
— Et où se trouve cette plante ? demandé-je d'une voix pressée.
— Au port de Bahia Blanca, à plusieurs centaines de kilomètres d'ici.
— Vous plaisantez ? m'étranglé-je.
— Vous voulez qu'on aille là-bas pour s'assurer que la plante parte en temps et en heure plutôt que de partir à la recherche de Céline ? s'exclame Jérémie en se levant.
— Mes recherches sont d'une valeur inestimable et je ne pense pas que Céline risquerait qu'elles tombent entre de mauvaises mains. Qui plus est, je croyais que vos amis étaient déjà sur ses traces ?
Jérémie se laisse tomber sur le canapé.
— On fait quoi, Alexis ?
Je prends le temps de réfléchir et lorsque mon regard croise celui de Jérémie, je comprends qu'il pense la même chose que moi.
— Comment peut-on se rendre là-bas le plus vite possible ?
— En voiture, je suppose, marmonne Fabio en lissant distraitement sa barbe de sa main.
— Le paquebot transportant les plantes doit partir demain soir. Si nous partons dans la matinée après un peu de repos, nous arriverons juste à temps pour vérifier si elles y sont toujours..
Je fusille le professeur du regard mais il ne semble pas s'en apercevoir. La désagréable impression d'avoir été mené par la baguette s'immisce en moi.
— Très bien, je suppose que nous n'avons pas le choix.
Sergio me remercie d'un sourire que je ne lui rends pas. Je suis certain qu'il avait déjà préparé son coup.
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