Chapitre 34 : Rêves et cauchemars (Attrape rêve)
Les hommes de ma vie ne sont plus très loin, je sens leur présence rassurante. Quelque chose m'interpelle. Pourquoi pleurent-ils ? Qu'est ce qui les rend si malheureux ? Tout à coup je réalise que mon corps est enveloppé dans un drap de lin blanc. Il est imprégné d'une forte odeur de naphtaline. Est-ce que j'assiste à mon propre enterrement ? Quelle horrible sensation de ne pas pouvoir leur crier que ce n'est qu'un cauchemar. La réalité se confond à la fiction. Pourquoi cet homme m'a-t-il conservée à ses côtés si au final il veut me faire disparaitre ? Un deuxième point m'interpelle, mon corps est brûlant, je dois avoir de la fièvre. Impossible, si je suis morte. J'étouffe dans cette boîte. On m'a bâillonnée. Son objectif : me faire taire ou me priver d'air pour m'étouffer en silence.
Tout est toujours confus. Réalité, rêve, ou cauchemar, je ne sais plus. Comment me raccrocher à la vie ? Je souffre, c'est une évidence. Mon corps lutte : encore une chance. Mon esprit erre dans tous les sens. Mes pensées s'emmêlent perdant de leur cohérence. Tous mes mouvements me rappellent mon impuissance. Pourtant une seule certitude, je suis en partance. Une nouvelle angoisse m'envahit. L'ignorance se veut mon ennemie tout autant que celui qui m'a éloigné de mes Fantastiques. Ne pas savoir où ils sont me panique bien plus que ma situation tragique.
Je ne peux pas bouger. Pour aller où ? Cette boîte est ma meilleure alliée. Elle me protège de ces doigts qu'il vient trop souvent déposer sur mon visage. Il aime les laisser paresser. Je frissonne à l'idée qu'il recommence. Un détail me revient en mémoire, à chaque fois il a soigneusement dessiné le contour de mon nez, de mes joues et de mes lèvres. Pourquoi insiste-t-il ainsi ? Il prend un vrai plaisir à s'attarder sur ma bouche à chacune de nos rencontres. Cette pensée me dégoûte. Son odeur me répugne. Il craint mon pouvoir de télépathe mais pourquoi ne veut-il pas que je le voie ? Peut-être que je devrais en jouer ? À notre prochaine rencontre, s'il y en a une, je lui poserais à mon tour des questions.
Lentement je sens la fatigue se diffuser. Mes paupières deviennent lourdes. Je n'ai plus mon bandeau sur mes yeux. Autour de moi, l'obscurité est ma nouvelle compagne. Je n'ai pas peur du noir, je ne crains pas le silence. Je réalise tout à coup que je peux prendre un temps pour moi. Alors, je ferme les yeux. Entrer en pleine conscience. Me connecter avec le monde qui m'entoure. Ressentir l'énergie. Je cherche le courage nécessaire pour ne pas perdre pied. J'inspire et expire sans me forcer. Heureusement l'odeur de naphtaline s'est dissipée. Elle n'était peut-être que dans mon imaginaire.
Le tissu drapé autour de mon corps le prive de liberté. Décidément ce sombre personnage me connait trop bien. J'ai le désagréable présentiment qu'il est dans mon ombre depuis longtemps. Il a dû mener une enquête très précise. Suivre chacun de mes mouvements sans que je le perçoive. Je patauge depuis des jours dans un abysse sans fond. J'ai volontairement tenu mes amis loin de mon univers pendant ce dernier mois. Je leur ai menti en leur disant que je n'étais pas disponible. Je perçois encore l'inquiétude que j'ai entendue dans la voix d'Alexis. Je suis persuadée que je l'ai déçu. Pourquoi ne lui ai-je pas dis quand il a insisté ? Il était passé la veille de mon départ pour l'Argentine et je suis restée souriante, cachant mes inquiétudes au plus profond de mon être. Nous avons discuté toute la nuit jusqu'à ce que je m'endorme dans ses bras sur le canapé. Sa présence m'avait totalement apaisée.
Mes membres se tétanisent, chacun de mes doigts devient plus difficiles à bouger. Cette désagréable sensation se fait plus vive. La brûlure sur leur extrémité me fait réaliser que je reste sa chose, celle qu’il veut posséder. Une bouffée de chaleur se diffuse le long de mes bras, je suis à fleur de peau. Rien de pire. Une décharge irradie mon pouce, le même qui a été prélevé. Il veut me maintenir éveillé. Pourquoi ? Pour me briser. Plus la fatigue m'enveloppera, plus mes rêves se dilueront. Comment peut-il être au courant ? Il a combien de coup d'avance ? Pourquoi n'ai-je pas répondu au dernier message de Jérémie juste après avoir posté mon mail. Pourquoi ai-je laissé mon téléphone sonner sans prendre la peine de décrocher ? Il ne méritait pas que je l'ignore. Quelle imbécile, je m'en veux. Que doit-il penser de moi, que je l'ai trahi. Comment pourrai-je me faire pardonner ? Il faut que j’essaye de dormir pour le voir une dernière fois, enfin je n’espère pas que ce sera mon ultime voyage.
Avant de sombrer dans le monde des songes, je vois le regard de Mike qui plonge dans le mien. Il a l’air d’être enfin comblé. J’espère qu’il a trouvé ce qu’il cherche, être avant tout un homme accompli. Je souhaite qu’il laisse tomber cette carapace qu’il s’est forgée année après année. Je ne veux pas être la seule à avoir découvert ce qui se cache au plus profond de son âme. Il mérite d’être heureux. Je me sens honteuse de l’avoir envoyer bouler lors de notre dernière rencontre. Il n'avait pu s’empêcher de fanfaronner en me racontant comment sa dernière conquête le comblait dans tous les sens. J’avais été jalouse de savoir que ses mains erraient sur d’autres terres que les miennes. Je me suis abandonnée tant de fois dans ses bras, puisant un peu de sa force. Aujourd’hui, je regrette les mots durs que j’ai pu lui dire. C’est à son tour de vivre pleinement l’amour. Il n’est pas à mes côtés dans cette boite et c’est tant mieux. Il mérite quelqu’un qui le comblera bien plus que je ne pourrai le faire. Cet espoir réchauffe mon cœur peu à peu. Mon corps se détend et comme à chaque fois que je déposais ma tête sur son torse quand nous retrouvions pour une nuit, je m’endors instantanément.
Les chimèrent tissent avec délicatesse la tendre promesse d’une rêverie douce et merveilleuse. C’est un enchantement de pouvoir enfin me libérer de l’emprise qu’il m’impose. Il vient de faire sa première erreur. Je plonge dans un sommeil paradoxal. Des images viennent tapisser mon subconscient. Chacune des illusions se fait de plus en plus réelle. Mon corps est meurtri dans ce linceul. Mon esprit voyage entre deux continents. De celui qui me ramène aux doux souvenirs partagés avec mes Fantastiques à celui où je peux percevoir certaine de leurs actions présentes ou futures. Cet état second, Maitre Ly et Xing m’ont aidé à l’apprivoiser. Enfant, elle m’effrayait. Depuis leur rencontre, je sais qu’il est mon identité. Je pressens les événements, et mon hypersensibilité est la psyché de mon âme. Comment ai-je pu passer à côté de mon enlèvement ? Xing m’avait prévenu, que lorsqu’il s’agissait de ma propre personne, il en était bien autrement. Les réalités se métamorphosent en fantômes s’évaporant en un battement de cil. J’avais conscience que l'Emprunte du Mal se rapprochait. Est-ce que j’ai fermé les yeux pour me bercer d’illusions ? Je flotte sur l’océan de mes pensées, je me sens libre de rêver.
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Mars 2020
Barbara m’appelle un soir de mars pour me donner l’heure et le lieu du rendez-vous. Je dois le retrouver sur place, il m’attendra et me donnera accès à tous les documents que je souhaite consulter pour mon enquête. Elle me vante ses qualités de discrétion et me précise qu’il est avant tout efficace. Mon amie russe ne tarit pas d’éloges sur cet homme que je vais rencontrer. Je pense que même si elle ne m’a rien dit dans ce sens, elle a eu un béguin pour ce documentaliste. Elle me conseille de mettre mon tailleur rose qui met en valeur mes yeux émeraudes. Barbara insiste en ajoutant que cet ensemble sera parfait pour l’occasion. Ainsi ces collègues ne se poseront pas de questions.
Arrivée sur place, j’attends dans le sas impatiente et méfiante à la fois. Je ne suis pas sûre que la méthode employée soit la bonne. Je n’ai pas le choix. Je le reconnais tout de suite, Barbara me l’a décrit avec une telle précision. C’est un peu sa photo qui se matérialise instantanément. Je comprends pourquoi il ne l'a pas laissée indifférente. Dans son regard, il y a un petit quelque chose. Je ne sais pas vraiment quoi de précis. Pas le temps de rêvasser, tu n’es pas là pour tomber sous son charme. Il m’accompagne dans une pièce à l’écart des autres et me désigne la pile de livres qui m’attend. En voyant ma tête défaite aussitôt il me propose son aide que j’accepte sans hésiter. Comme à mon habitude, j’échappe mon portable qui vole et avant qu’il ne touche terre, Tom en grand seigneur, le saisit. Ce pauvre objet que je malmène chaque jour vient de se voir sauver de la casse par cet homme qui m’est encore inconnu.
Lorsqu’il me tend mon téléphone pour que je le range dans mon sac, une notification apparaît. Il ne peut pas, ne pas l’avoir vu : « alors ma belle, Tom est pas mal, je suis sûre qu’il te plaira. Bises Barbara ». Mes joues rougissent, il feint de ne pas s’en apercevoir et aussitôt me propose une tasse de thé que j’accepte volontiers. Dés qu’il sort de la pièce j’en profite pour répondre à notre amie commune : « pas maintenant, la douleur de ma rupture avec Mike est encore trop vive ».
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Mars 2021
Mon rêve se fait plus précis, l’image plus nette. Avec Tom, nous sommes assis face à face. Sa voix pose les premières notes de la méditation que nous allons vivre tous les deux. Je ressens une chaleur qui se diffuse peu à peu, comme une vague de bien être qui vient panser mes angoisses. Chacune de ses paroles est d’une profondeur insensée. Elles m’enveloppent avec douceur. Maître Ly nous observe avec bienveillance. Il est le seul à savoir ce qui nous lie l’un à l’autre. Il y a un an à peine, je croisais sa route. Aujourd’hui, Tom ne cesse de me conseiller de faire un pas de côté pour ne pas me perdre. J’ouvre les yeux et je découvre que nous sommes dans cette bulle dont il a le secret de faire surgir sur commande. Quand j’ai rencontré Maitre Xing à Stuttgart, il m’a dit que Tom n’était pas prêt mais quand ce serait le cas, je serai avec lui pour partager cette expérience. Là, dans l’antre du Lotus Bleu, je sais qu’il doute encore, que ses peurs sont réelles. Cependant, nous allons le faire ensemble, je serai là pour l’accompagner.
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le 28 janvier 2022
La chaleur qui irradie mon corps n’est pas une fantaisie de mon esprit. Elle est à nouveau plus forte. Tom commence sa deuxième naissance, les images que je perçois n’ont jamais été aussi nettes. Il est avec Maître Xing, l’initiation commence. Pourquoi ne suis-je pas à ses côtés pour vivre l’expérience ? Je lui avais promis quand je lui offert son livre pour son anniversaire. Comment ai-je pu ne pas tenir ma parole ? À nouveau, je sens deux ailes me couvrir, la griffe qui effleure mon épaule semble la même qui esquisse l’animal sacré dans son dos. La brulure se fait plus vive et intense avant de disparaître aussitôt. Des voix fortes viennent de se faire entendre, des cris, des larmes et des pleurs dans une cacophonie qui heurtent mes oreilles, mon âme et mon cœur. Un appel au secours venu du futur.
Je me réveille en sursaut sortant de ma léthargie avec violence. Mon corps a des convulsions. Il est plus très loin, je sens sa présence malsaine. J’ai le terrible sentiment que l’on a mis ma tête dans un étau et que l’on s’amuse à la serrer et la desserrer. À nouveau le bandeau m’obstrue la vue du monde qui m’entoure. Le monstre m’a sorti de mon étui, il joue à prélasser ses mains sur mon visage. Cette sensation devient de plus en plus tenace. Il m’enserre la gorge, je manque d’air. Puis il la relâche, je suis prise d’une violente quinte de toux. Mes poumons me brûlent, l’espace dans lequel ils sont au chaud semble tout à coup trop étroit. Ses deux molosses me soutiennent pour dire que je ne m’effondre pas au sol. Je ne suis plus dans ma cellule, c’est une certitude. Je ne suis plus rien, j’essaie de me battre. Tout effort me consume. Je voudrais les supplier d’en finir une fois pour toute. Je voudrais hurler qu’ils me fichent la paix. Ses doigts se posent sur ma bouche avant de les glisser sur ma langue. J’ai envie de vomir, de lui cracher au visage. Peine perdue, il me pousse dans ma nouvelle cellule. Je m’écrase au sol essayant de me rattraper tant bien que mal pour que ma tête ne finisse pas en bouillie. Avant de perdre une nouvelle fois connaissance, le dragon me sourit.
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