Chapitre 52 : Un truc basique et simple 2/2 (lelivredejérémie)
Et, de fait, nous assistons médusés à un déballage d’idées ultra-libérales à l’opposé absolu de celles de la Céline que nous connaissons ! À croire qu’un sosie a pris sa place… Ce qui n’a pas de sens puisque nous avons vu la vraie dans les sous-sols du Palais des Congrès.
— Elle est sous influence, drogues, hypnose, je ne sais pas, claque Alexis, ajoutant que probablement peu de personnes présentes doivent réellement connaître les vraies valeurs de notre amie, la plupart devant probablement accepter le message actuel, asséné avec le poids de son statut d’ambassadrice.
— C’est une catastrophe, gémis-je. Tous… ou la majorité, vont suivre ce qu’on l’a forcée à dire, bien sûr ! Elle est la représentante et la leader de l’organisation, et ces moutons…
— Nous ne pouvons rien y faire pour l’heure, coupe maître Xing. ‘’ Avant toute chose, procédons aux tatouages d’Alexis et de Jérémie, coupe maître Xing. ''Érzi, yǐ tàijí quán de fāngshì wèi rè léi mǐ guàndǐng, zhàogù hǎo tā.''
Liang m’emmène au bout d’un couloir où il ouvre la porte sur un dojo, avant que j’ose demander ‘’Euh… Qu’a dit ton père ? Je veux dire, sa voix était douce, mais pour le même prix, il a pu te dire de me couper en morceaux.’’
— Le message était aussi doux : t’assister dans ton initiation, tout en prenant soin de toi.
Son invitation à me mettre autant que possible en contact avec la Terre-mère l’était tout autant, j’ai viré chaussures et chaussettes, puis avec réticence mon hoodie et mon tee-shirt, pour m’allonger sur le sol, jambes pliées, la plante des pieds sur le parquet. ‘’Ancre-toi sur le sol, tes paumes aussi. L’idéal est de procéder lorsque le qi est à son paroxysme, et en phase avec l’univers, mais le tien…
— Mon T’si ?
— La qi est l’énergie vitale qui régit le tout, et qui agit également en chacun de nous, isolément, mais là, je sens une énergie bouillonnante et incontrôlée. Puis aussi, il est nécessaire d’avoir un équilibre relatif entre deux notions, le yin…
— …et le yang, ça, je vois un peu, via un mec que je connais…sais.
Je me suis interrompu, étrangement embarrassé, devant un Liang confiant et souriant, ce qui m’a motivé à poursuivre. ‘’Mon… temporaire… désormais ex, qui soigne efficacement les bobos physiques, lui, mais en ajoutant trop librement un paquet de notions limite shamanesques, notamment cette relation entre yin et le yang…
— … alors qu’il ne comprend rien aux relations au sens large, j’imagine ? Non, je ne sais rien, Jiémǐmǐyà ! Je ressens juste un désordre, puis un grand vide là où il y avait quelque chose, mais qui s’est effondré.
— Ah… Oui, c’est bien possible. Bref !
Liang a respecté. ‘’Oui, c’est gérable, mais l’ennui, c’est l’équilibre entre ton yin et on yang, et là, les tiens sont trop instables, ils oscillent sans cesse, et par moments, ils me deviennent même inaccessibles, c’est évidemment dû au stress de ce que tu as vécu ces derniers jours, et particulièrement les dernières heures. Lors de leur initiation, Tom et de Mike ne l’avaient pas encore subi, les conditions étaient plus favorables’’.
— Bad timing… C’est l’histoire de ma vie, ça, soupiré-je.
— De celle d’Alexis également, en tout cas pour le moment, car vous êtes très différents, mais à ce que j’ai pu comprendre, de ce que vous avez vécu, il doit être juste légèrement plus apaisé.
Je pense pourtant que oui, sans déterminer si c’est dû à l’influence que Tom a eue sur lui, ou sa nature innée, plus zen que la mienne ne le sera jamais.
— Après… murmure Liang, décidément très proche, ‘’il y a la philosophie traditionnelle, puis la lecture que l’on en a, et la mienne est plus… libérale et moderne.’’
Il se lève et se dirige vers un placard invisible dans la cloison, d’où il revient avec une mallette en plastique d'origine - comme son contenu supposé - plus probablement japonaise que chinoise.
— Pour les raisons que je t’ai données, il est peu sûr que le tatouage apparaisse sur la peau d’Alexis de la même manière que pour ceux de Mike et Tom, les conditions ne sont pas les mêmes… Et Père me l’a dit à mi-voix, et il est en train de marteler ton ami à la manière traditionnelle, avec le maillet et le bâton aiguisé, trempé dans l’encre, mais le tatouage est juste l’expression symbolique apparente d’un lien de l’âme au ’tout’, ou dans votre cas, au groupe uni que vous formez, de toute façon. Ceci dit…
— Je voudrais, rien qu’une fois dans ma vie, et pour ce que ça vaut, être inclus dans un groupe, et c’est peut-être ridicule, je ne sais pas, mais avec eux, ça me semble important !
— Ce n’est pas ridicule, c’est pourquoi… par défaut, j’ai cette mallette, dit-il en l’ouvrant sur un kit de tatouage connecté sur secteur. ‘’Jusque-là pour des… amis, également… temporaires. Enfin bref, dis-moi ce que tu souhaites, et où, mais là, le temps nous est compté, et je ne pourrai, pas plus que Père pour Alexis, faire un tatouage multichrome en une heure...’’
— Ce ne sera pas nécessaire, j’avais pensé à un truc basique et simple…
...
Alors que Liang range son matériel, j’en suis à me dire que Tom secouerait la tête de dépit devant ma fermeture d’esprit, avec mon esprit cartésien, ces rituels animistes me sembleront toujours plus folkloriques qu’autre chose, comment un peu d’encre injectée sous la peau pourrait-elle…
— Aaah ! Ça brûle, Liang !
— Mais c’est impossible, pas ainsi, puis j’ai terminé, là, je ne te touche plus depuis… Oooh ! Je vois, dit-il, déçu. ‘’Mon père a douté que je puisse le faire, et il a procédé lui-même à l’invocation.’’
— Dis-lui d’arrêter, ça fait un mal de chien !
Collé à mon dos, il me serre dans ses bras, m’empêchant d’atteindre le tatouage qui… luit ? L’image ne doit finalement être suggérée que par la douleur, qui s’efface aussi soudainement qu’elle est venue, alors que le dessin n’est plus qu’un gribouillage noir mat lorsque je me retrouve, amorphe, la nuque posée sur l’épaule de Liang, la joue ridiculement pressée sur l’arête de sa mâchoire.
— Je suis désolé, dis-je en abaissant le regard sur mes mains désespérément serrées sur ses poignets fins mais étonnamment fermes. Je relâche ma prise en initiant le geste de me dégager. ‘‘Hmmm ! Désolé, je n’ai pas été très digne sur ce coup-là, une petite douleur passagère et j’ai besoin d’aide, tu parles d’un héros ! Alexis a raison, la dépendance envers les autres est une faiblesse.’’
— Tu n’en as pas montré, je te rassure ! Mais même dans un contexte plus large, nos liens aux autres ne tiennent pas qu’à un tatouage en commun, Jérémie… a-t-il murmuré avec un sourire indéchiffrable, mais très doux.
…
Lorsqu’il nous rejoint, suivant respectueusement Maître Xing, Alexis soulève son t-shirt pour dévoiler son flanc.
— Wooaah, elle est vraiment belle ! Pourquoi une panthère... noire ?
— Parce que j'aime beaucoup cet animal, sourit-il. Et toi alors, Jérémie ?
Je remonte légèrement ma jambe de pantalon pour exposer ma cheville, qui s’orne d’un renard stylisé, discret, tracé d’une seule ligne continue. ‘’Je renonce à vie aux chaussettes, même si à cette saison, je vais crever de froid, je m’en fous, il est trop classe !’’
— Pour l’heure, allons dormir, dit maître Xing. La maison est parfaitement protégée, mais de surface limitée, alors, Tom Ripley, sauf à vous poser dans le dojo, Mike xiānshēng et toi partagerez la même chambre qu’hier, et les garçons, celle de Liang.
…
— Et nous revoilà à trois dans un lit, a soufflé Alexis en replaçant son oreiller… Qui va s’enfuir au milieu de la nuit, cette fois ?
— La situation est différente, il n’y a de non-dits entre aucun de nous trois, soufflé-je, allongé entre eux, pour tenter, à mon tour, d’avorter une conversation gênante.
— Vraiment, Jérémie-kun ? se moque notre mentaliste. ‘’J’avais cru ressentir une tension qui devient un peu trop familière sur les matelas que nous partageons, mais j’ai surement dû me tromper’’.
— Kun est un suffixe honorifique en japonais, vous êtes tous quatre un peu en Chine, ici, Alexis xiānshēng, et nous sommes entre amis…
Me tournant légèrement vers lui, je murmure ‘’Nuance importante, Liang péngyǒu’’.
— Pourquoi l’appelles-tu Pingu ? Du moins habillé, il ressemble plus à un ninja qu’à un pingouin, grogne Alexis en pivotant pour nous tourner le dos.
— Pén… ? Oh, merci, péngyǒu, mèng lǐ jiàn… Cela peut se traduire par on se verra dans nos rêves, souffle Liang, en prenant doucement ma main pour la poser sur ton torse.
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