Chapitre 12 : Elle est où la mer ?!
Ashley suivit Samuel sans discuter jusqu’au canapé. Elle peinait à cacher son impatience d’apprendre ce que LE Chasseur pouvait bien avoir de si important à lui dire.
Ils s’assirent tous deux sur le divan, et la jeune femme remarqua tout de suite que la forêt au-dehors s’était encore rapprochée.
Samuel prit une grande inspiration :
— Comme tu le sais, je tue des monstres.
Ashley pencha la tête sans dire un mot, peu convaincue qu’un tel « scoop » mérite autant de solennité.
— Même si tuer des monstres reste important, à mes yeux, je t’ai déjà dis que ce n’est qu’une sorte d’objectif secondaire. Mon vrai but est de trouver le Catalyseur.
Ashley ne comprit pas comment un mot dénué de toute signification dans son esprit pouvait autant capter son attention. Quoi que fut l’objet, elle le voulait déjà rien qu’en entendant son nom.
— Le Catalyseur, reprit Samuel, est une relique magique extrêmement puissante capable de réaliser des prouesses inimaginables. Accessoirement, c’est également le bidule le plus convoité du monde caché.
Devant la perceptive d’un tel pouvoir en sa possession, Ashley frotta son menton. Ses rêveries furent balayées, après quelques secondes de silence, par la voix de son compagnon :
— Si j’ai besoin de cet objet, c’est pour emprisonner la Conteuse.
La blondinette tressaillit. Ses yeux s’ouvrirent en grand tel ceux d’un hibou, et se focalisèrent sur son compagnon. Elle n’aurait su décrypter l’expression de son visage couleur craie aux traits fatigués et aux lèvres meurtris.
— La Conteuse est une entité primordiale qui créer et donne vie aux légendes. Tu lui dois, notamment, les bestioles que nous avons affronté.
Ashley acquiesça dans un sourire douloureux. Se souvenir du gros caillou sur pattes et du croque-mort n’était définitivement pas une chose qu’elle souhaitait.
— Elle cherche à déclencher l’apocalypse...
Samuel l’arrêta net avant qu’elle n’ait eu le temps de prononcer le moindre mot.
— Ce n’est pas celle que tu connais, elle est bien pire encore.
Vu la tête que tira Ashley, il aurait très bien pu lui courir après avec une tronçonneuse pour obtenir le même résultat. La jeune femme ne concevait pas qu’une chose pire que des hordes démoniaques déferlant sur la Terre puisse exister.
— T’es vachement rassurant comme mec.
Un bref sourire passa sur le visage du Chasseur.
— Attends au moins que j’ai fini avant de paniquer. On ne parle pas ici d’uniquement la fin de ce monde, mais également de tous les autres. Il existe une multitude de mondes qui, parfois, coexiste sur des plans différents, ou se trouvent dans d’autres dimensions. Des hordes de monstres y seraient simultanément invoquées. Le Filtre serait détruit, provoquant le décuplement de leurs instincts meurtriers, la collision de nombreux mondes, et l’apparition de créatures apocalyptique.
Un soupir s’échappa de sa bouche.
— Ça serait la fin de tout. Il faut que j’empêche cela à n’importe quel prix. Sinon, je ne pourrais plus…
Après un temps, il reprit.
— Le Catalyseur est ma seule chance de réussir.
Dubitative, la jeune femme le regarda avec plus d’intensité. La réponse au problème lui semblait si évidente :
— Pourquoi ne pas la tuer, tout simplement ?
Samuel se mordilla les lèvres.
— Je te l’ai dit, elle est une entité primordiale, comme moi. Si tu réussissais à tuer la Conteuse, elle reviendrait et la situation s’empirerait.
Avant que la journaliste n’ait eu le temps de demander ce qu’il entendait par « tuer la Conteuse empirerait la situation », le Chasseur enchaîna :
— Tu te souviens, je t’ai dit qu’il ne fallait absolument pas tuer les créatures gentilles ?
Les sourcils d’Ashley se haussèrent d’un coup.
— Attend voir ! Ne me dis pas que...
— Non ! Enfin pas exactement… c’est compliqué.
Là-dessus, elle voulait bien le croire.
— Le déclenchement de l’apocalypse est régi par une sorte de balance affectée par l’équilibre entre les monstres et les créatures gentilles. Plus de créatures gentilles l’entravent, et j’imagine que tu devines ce qu’il se passe dans le cas contraire.
Le visage de Samuel s’assombrit.
— Il y a une règle supplémentaire à prendre en compte : tu ne dois jamais tuer la Conteuse, sous aucun prétexte. Chacune de ses morts fait considérablement pencher cette balance du mauvais côté, et ses résurrections apportent de nouvelles vagues de monstres et des fléaux, compris ?
La blondinette papillonna dans sa tentative d’assimiler de telles informations en si peu de temps. Une question restait en suspens dans sa tête : pourquoi la Conteuse voulait-elle déclencher l’apocalypse ? La réponse ne pouvait pas être simplement « gnagnagna, je suis méchante ! ». Une chose était sûre, si Sam avait voulu le lui dire, il l’aurait déjà fait.
— Compris.
Une autre interrogation germa dans son esprit.
— Pourquoi elle ne se suicide pas en boucle, tout simplement ?
La question prit Samuel au dépourvu autant qu’elle le mit mal à l’aise.
— Elle ne le peut pas.
— Pourquoi.
— Parce que.
Il se leva, le regard las.
— Nous devrions nous reposer avant de partir. Il y a un lit à l’étage, profites-en, tu n’auras pas toujours cette chance.
La voix d’Ashley l’interpella alors qu’il se dirigeait vers la porte-fenêtre :
— Sam, j’ai des choses étranges qui m’arrivent... Mes plaies ont guéri toutes seules, ce n’est pas normal. Et puis, je me sens… différente.
Samuel se retourna, un sourire en coin.
— Le temps nous rend tous différents. Et puis, pour tes blessures, le chant des oiseaux est particulièrement beau en cette saison. D’autant plus quand il s’agit d’une mélodie aussi magnifique qu’un chant de rétablissement. On néglige souvent les petites choses, et à tort.
Avant qu’il n’ait pu se retourner Ashley l’arrêta de nouveau, mais d’un ton hésitant, comme si elle ne croyait pas ce qu’elle allait dire :
— Sam, Zigzag travaille vraiment pour LA Petite Souris ?
Son compagnon acquiesça.
— La Petite Souris n’est pas supposée ramasser les dents des enfants contre des pièces de monnaie au lieu de se la jouer chronopost ?
— Disons qu’elle s’est diversifiée lors de la révolution industrielle. En moins de cent cinquante ans, ce minuscule rongeur a foutu tout le monde au tapis. Je peux te dire que les nains n’étaient pas très contents de perdre leur monopole sur la protection de biens ! Remarque, Hermès ne l’était pas plus au niveau du transport et…
Il s’arrêta. Ashley tenait sa tête accoudée contre le dossier du canapé et essayait de garder les yeux grands ouverts. Même la plus grande des volontés ne pouvait lutter indéfiniment contre le sommeil.
— Enfin bref, il bosse bien pour « LA » petite souris.
Samuel tourna les talons. Cette fois elle ne l’arrêta pas, la jeune femme se contenta de le regarder sortir. La fatigue la frappait à un tel point qu’elle réussissait à assommer sa soif d’informations.
Ashley se leva, somnolente. Plus rien ne l’intéressait à part un bon lit. Ses jambes montèrent mollement les marches avant de se diriger vers une porte qu’elle avait déjà repérée précédemment. Une porte qui menait à une pièce lumineuse décorée de quelques cadres remplis de photos, et où trônait, au fond, un lit double bordé par deux tables de nuit.
Les ressorts du matelas couinèrent sous son poids. Un sentiment de malaise lui agrippait l’estomac alors que des images du professeur défilaient dans son esprit, et l’empêchaient de trouver une position confortable.
Je devais le faire.
Le cou pendant, il la fixait la bouche légèrement entrouverte.
Je n’avais pas le choix.
Le sommeil lui devenait soudainement inaccessible malgré ses paupières hermétiquement closes par la fatigue.
Je n’avais pas le choix.
La jeune femme changea de position une énième fois. Les paroles de Sam lui revinrent en tête, dévorèrent sa culpabilité.
Tu as libéré son âme.
Elle saisit l’un des oreillers, puis le ramena contre elle tel un ours en peluche.
Tu l’as sauvé.
Le sommeil parvint finalement à s’emparer d’Ashley.
***
Du feu. Des cris. Un hurlement terrifiant.
— SAM !
L’incendie se propageait dans toute la ville, et le Chasseur s’y trouvait évidemment en plein milieu.
Une silhouette noire, monstrueuse, passa bien au-dessus de sa tête dans un mugissement assourdissant. Des pleurs d’enfants accompagnés par des appels à l’aide réussirent à émerger du brouhaha de la rue embrassée. Au troisième étage d’un immeuble, des silhouettes agitaient leurs mains avec l’énergie du désespoir.
— SAM !
Le Chasseur se retourna, et vu arriver en courant un jeune homme dont le long manteau vert était taché par la suie.
— Il faut que je l’arrête, lui dit-il sans même hausser la voix.
L’arrivant colla ses doigts de telle manière qu’ils formèrent un globe. Une lumière bleue ne tarda pas à y apparaître, et gonfla comme une bulle avant de l’englober entièrement.
— Ok, je m’occupe des gens piégés.
— Fait gaffe à toi, Eric.
Un nouveau rugissement fit trembler le ciel, accompagné par d’immenses gerbes de feu.
— T’inquiètes, on a vu pire !
Eric fonça vers l’entrée d’un immeuble emprunt aux flammes sans la moindre hésitation.
L’ombre survolant la ville descendit en piquet. Un éclat rougeoyant s’échappait de sa gueule grande ouverte, des flammes allaient en sortir. Une perspective inacceptable pour Samuel qui leva sa main droite et cria :
— Impedimentum.
La créature tangua. Ses grandes ailes noires se rétractèrent, sa bouche se ferma subitement comme si on venait de le saucissonner avec des liens invisibles. Le monstre tomba alors comme une pierre, tournoyant sur lui-même dans une incroyable dégringolade.
Les rares fenêtres encore intactes éclatèrent, le sol s’ébranla. Un grondement en provenance du ciel venait de déferler sur la ville dans son entièreté.
La chute du dragon devint plus contrôlée, ses ailes se déployèrent. Il remonta sur une dizaine de mètres, puis arrêta sa folle envolée. Ses ailes battaient puissamment l’air pour le maintenir à la hauteur qu’il avait décidé.
— Sapristi.
Le monstre scannait la ville en flammes à la recherche de celui qui avait osé troubler son carnage et sa destruction, emplie d’une fureur insatiable.
Une bourrasque au troisième étage d’un immeuble récupéra l’attention du Chasseur. Collés au rebord d’une des fenêtres, une femme et ses enfants étaient tétanisés par la peur. Il n’y avait plus de brasier, juste une lueur bleutée. Peu de temps après, ils disparurent pour laisser place à Eric et sa bulle.
— C’est maîtrisé !
Un nouveau grondement éclipsa la fin de sa phrase tandis que le ciel se teintait de rouge, déchiré par l’ardeur du feu du dragon. Le tremblement qui s’ensuivit faillit le faire basculer dans le vide.
Non loin, des quartiers entiers s’écroulaient, des explosions pulvérisaient des bâtiments. Samuel eut juste le temps de lever les yeux que l’imposante forme fondait dans la rue.
L’onde de choc le propulsa au sol. Il se releva, saphir en main, et le métamorphosa en Prison. À la vue de son épée, le dragon poussa des grognements suivis de gerbes de flammes en direction du ciel.
— Gelare.
Des cristaux de glace envahir la gorge du monstre, stoppant net l’afflux du brasier. Le hurlement que poussa la bête tout en titubant lui fit plaquer ses mains contre ses oreilles.
Elle heurta de plein fouet l’immeuble où se trouvait Eric, et fit s’effondrer sa façade. Des gravats brisèrent la bulle du jeune homme et l’éboulement d’une partie du sol faillit l’emporter dans le vide. Fort heureusement, ce ne fut pas le cas.
Les cris des enfants et de leur mère reprirent de plus belle à la vue des fissures qui s’agrandissaient sur le sol et les parois.
Le dragon se remit sur pattes, plus furieux que jamais. Il donna plusieurs coups de mâchoire dans le vide pour briser la glace figée dans sa gorge, et détruit les cristaux avec une facilité déconcertante.
Samuel resserra les doigts autour de Prison. Son bref regard en direction d’Eric n’échappa pas aux yeux perçant du monstre.
Subitement, le monstre se mit sur deux pattes, puis pivota pour écraser ses monstrueuses mains sur le bâtiment. Sa tête, pile au niveau du trou, lui permettait de contempler Eric et la petite famille avec appétit.
— Ici ! cria Samuel. Tu te bats contre moi sale lézard puant !
L’insulte vexa le dragon, même si dans son coup d’œil de mépris en direction du Chasseur s’affichait un sadisme sans limites. Il ouvrit la gueule en direction du trou, prêt à l’incendier. Rien ne se passa. Sa gorge hoqueta avant que de la fumée ne s’en échappe.
Le monstre cracheur de feu était en panne.
Un éclair rebondit sur les écailles de son cou.
— Alors, t’as pris un coup de froid ? Il est temps pour toi t’entamer ta dernière danse avant de rejoindre le néant !
Le Chasseur, l’épée brandie, fonça droit sur la créature. Le dragon avait beau faire dix mètres de plus que lui, il ne se démontait pas. Une seconde peau bleutée enveloppait son corps tel un million de lucioles compactées.
Le reptile abattit ses deux poings contre le sol. Samuel esquiva d’un bond en arrière et planta Prison dans un abominable craquement. L’épée fissura les écailles de sa patte gauche, un sang rougeâtre et fumant en gicla.
Le grondement qui s’ensuivit fut s’y puissant qu’il fit tomber plusieurs immeubles déjà bien entamés par l’incendie.
Le dragon balaya l’air de sa main blessée, cogna un bâtiment pour écraser son assaillant. Sam passa à travers le mur dans une pluie rougeoyante mêlant feu, briques et sangs.
À peine quelques secondes plus tard, il surgissait de la brèche pour sauter sur son museau. La créature ouvrit aussitôt la bouche pour tenter de le gober, secoua la tête pour l’envoyer valser. Malgré ses dangereux balancements, le Chasseur s’accrochait aux écailles sans faillir.
Dans un effort surhumain, il enfonça Prison près d’une des narines du monstre. Le dragon agita sa tête de plus belle. Dans son dos, sa queue détruisait ce qui restait des bâtiments alentours.
Son épée permit au Chasseur d’escalader la gueule de la créature sans en être éjecté. Les deux yeux rouges du monstre le fixaient avec une haine infinie.
En un éclair, Samuel retira sa lame pour entailler l’un des globes oculaires.
Sous la douleur, le dragon devint complètement fou. Il chargea un édifice, le réduisant en ruine juste pour le désarçonner. Samuel tomba lourdement sur le sol. Des décombres l’ensevelirent avant qu’il n’en soit violemment extirpé par les griffes de la bête dans un nuage de poussière et de cendres.
L’œil gauche du lézard cracheur de feu dégoulinait de rouge, mais ça ne l’empêchait pas de sourire d’une manière terrifiante. Enfin, jusqu’à ce que sa paume rentre en contact avec le revers de Prison.
Il le lâcha en tentant machinalement de cracher des flammes. Au plus grand soulagement de Samuel, la seule chose qui sortit fut de la fumée. Ne lui laissant aucun répit, le monstre sera son poing intact, puis l’abattit encore et encore dans une rage frénétique. Le Chasseur ne parvenait que de justesse à ne pas finir en purée.
Soudainement, ses doigts se desserrèrent, ses griffes se déployèrent. Leur tranchant balaya le sol d’un mouvement oblique qui souleva des cendres et trancha tout chose entrant en son contact.
Sam fut trop lent. Il se contorsionna en arrière, tenta de passer sous la patte, cependant le bout d’une des griffes l’atteignit juste en dessous de son œil droit.
Sa seconde peau se déchira.
– Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah...
La blessure le brûlait comme si de l’acide rongeait sa chair. Samuel oscilla de quelques pas en arrière. L’entaille avait beau être minime, elle n’en était pas moins mortelle. De la fumée s’en dégageait, mais il n’avait pas le temps de s’occuper de cela.
Le dragon exhiba ses griffes. Prison et ces dernières s’entrechoquèrent dans une parade du désespoir. L’esquive n’était plus une option. Le reptile donna plusieurs coups de patte, alterna avec ses crocs que Sam repoussait à grand renfort de lame.
Le Chasseur cherchait une porte de sortie qui ne le fasse pas atterrir dans l’estomac de la bête.
La brûlure sur sa joue s’intensifia, il décida donc de jouer le tout pour le tout. Profitant d’un coup de mâchoire raté, il se faufila sous sa panse. Sa lame taillada tout sur son passage. La couche d’écailles, plus fine et fragile à cet endroit, vola en éclats dans d’affreux craquements.
Le dragon, qui ne semblait pas comprendre comment une aussi petite créature pouvait faire autant de dégâts, déballa ses ailes, puis les battit vigoureusement pour prendre son envol. Les bourrasques qu’elles provoquèrent auraient suffi à faire s’envoler un troupeau d’éléphants en surpoids, mais pas le Chasseur. Sam ancra solidement ses pieds au sol jusqu’à le fissurer et s’enfoncer à l’intérieur.
Il ne restait plus grand-chose autour d’eux à part des décombres en feu, et par miracle, la maison où se trouvait Eric, tellement fragmentée qu’elle ne tenait certainement pas d’elle-même.
De nouveaux morceaux se séparèrent de la bâtisse, le reste était prêt à s’écrouler d’un instant à l’autre. Un halo bleu à peine perceptible s’échappait des trous de ce qui subsistait de l’immeuble.
— Sam... au secours. Je ne vais plus tenir très longtemps.
La voix, en provenance des décombres, était parasité par le crépitement des flammes et des pleurs. Oscillant entre le dragon en fuite et la bâtisse renfermant sont ami, le doute le figea.
Un effondrement plus important resserra l’étau des débris.
Le Chasseur exécuta un rapide calcul dans sa tête. À voir la taille des gravats et l’équilibre précaire dans lequel ils se trouvaient, il lui faudrait au moins dix minutes pour les déblayer sans écraser personne. Dix minutes pendant lesquelles le dragon en profiterait pour mettre le maximum de distance entre ses écailles et l’impitoyable lame de Prison.
Les pleurs devinrent plus stridents, les supplications déchirantes d’une femme émergèrent du brouhaha :
— Pitié ! Par Pitié ! Sauvez mes enfants, sauvez-les...
— Sam ! Vite !
Samuel leva sa main vers la bête et cria de nouveau :
— Impedimentum.
Le monstre se stoppa net. Sa masse prit de la vitesse, puis une secousse ébranla la terre.
— Sam…
Eric haletait, il ne tiendrait pas plus longtemps. Il le savait parfaitement.
Le visage assombri, le Chasseur secoua la tête.
— Je ne peux pas me permettre de laisser une telle créature s’échapper. Je… je suis désolé.
Samuel s’élança vers le point de chute du monstre avant de sortir un caillou noir qu’il appliqua contre sa plaie. Au contact du charbon, une grimace se dessina sur ses traits, traits qui se détendirent après quelques secondes.
Le magicien ne broncha pas. Il ne tenta même pas de le supplier. Il connaissait les risques.
Il y eut un bruit d’éboulement suivi par plusieurs hurlements, puis plus rien.
Sam fit le vide dans son esprit, sa respiration se fit lente et contrôlée.
Je dois me concentrer sur mon objectif.
Ses yeux le voyaient déjà au loin. Sa patte droite boitait alors qu’il remuait fébrilement ses ailes.
Peu importe le prix. Peu importe les sacrifices.
Samuel empoigna son épée de ses deux mains.
Je dois éviter l’apocalypse.
Le monstre s’envola trop tard. Le Chasseur avait bondi sur sa queue, parcouru son dos avant de concentrer toute sa rage en un seul et unique coup.
La lame fendit le crâne du dragon en deux. Il s’écrasa au sol dans un bruit sourd.
Samuel aurait pu sentir une sorte de joie dans cet acte, si une phrase ne revenait pas sans cesse dans sa tête. Une phrase qui effaçait tout sentiment positif, tout mot qu’il pouvait tenter de se dire pour se rassurer : c’est ta faute.
***
L’homme au long manteau gris-noir se réveilla en sursaut. D’un geste vif, il frotta une petite zone sous son œil droit. La cicatrice l’avait brûlé pendant un bref instant, ravivée par son rêve.
Assit en tailleur sur le sol, le il ne remarqua pas immédiatement la jeune femme blonde l’observant depuis le canapé.
— Tu parles en dormant, l’informa Ashley.
— Je ne dormais pas, je méditais.
Ashley eut une brève expiration.
— N’empêche que tu parlais quand même. Tu as fait un cauchemar toi aussi ?
— Pas exactement.
Samuel soupira, encore fatigué. Voilà pourquoi il détestait ingurgiter ce fichu liquide. Non-content de lui créer une accoutumance, et de l’affaiblir après coup, le breuvage neutralisait les effets de la méditation, et l’obligeait à « rêver ». Un prix bien faible pour rester en vie, du moins, quand on n’en abusait pas.
Il se leva. Les rayons du soleil peinaient à s’infiltrer au travers des pentacles et feuillages collés à la baie vitré.
— Je mangerais bien un morceau…
Ashley saisit quelque chose sur les coussins du canapé, puis lui tendit une boite remplit de gélules multicolores. Il ne fallut que quelques secondes au Chasseur pour remarquer que plus d’une capsule manquait à l’appel.
— J’ai bien fait de les laisser dans la cuisine. Tu avais vraiment si faim que ça ?
À vu de nez, Samuel dirait qu’il en manquait au moins quatre.
— C’est drôlement bon ! Par contre, j’ai pas touché aux oranges...
Son compagnon retrouva un peu de vivacité.
— Elles n’ont jamais été très bonnes de toute manière.
Il prit la boite et en sortit une rouge qu’il goba sans hésiter. Les goûts venaient au fur et à mesure caresser ses papilles afin de lui laisser pleinement le temps de les savourer. Au menu, un melon bien sucré suivit par un steak saignant et juteux accompagné de frites dorées exactement comme il les aime ! Quand fut l’heure du dessert, le parfum de la vanille glacé l’envahit en premier, escorté par un délicieux coulis de caramel.
Dans un soupir, Ashley se rallongea sur le divan. La jeune femme sortie ensuite l’épée de Tom Pouce d’une de ses poches, puis joua négligemment avec en appuyant ses deux index à chacune de ses extrémités. Quand elle jugea avoir laissé suffisamment de temps à Samuel pour apprécier son repas, elle lâcha de manière détachée :
— C’est quoi le plan ?
Samuel fit le tour du canapé, ouvrit la porte-fenêtre, et laissa pénétrer racines et branches dans le salon.
— Je cherche un point de magie, j’y connecte un portail et on trouve sa source en espérant tomber sur le Catalyseur.
La blondinette le suivit dehors en riant.
— Non mais sérieusement, on le trouve comment ce Catalyseur ?
Des racines et autres végétaux frétillaient à leurs pieds sans chagriner le Chasseur perdu dans ses pensées.
— Sam ?
Samuel sortit sa pierre.
— Si tu penses qu’il y a un autre moyen, tu te trompes. Les raccourcis ont toujours un prix, et je ne souhaite en aucun cas repayer celui-là.
Comme il s’y attendait, le saphir clignotait de mille feux.
— C’est pour ça qu’il est important de posséder des yeux et des oreilles chez les différentes communautés du monde caché. Les fées, les souris et bien d’autres m’apportent des informations utiles, des pistes parfois qui m’évitent d’avancer à l’aveuglette.
Ashley s’éclaircit la gorge.
— Juste par curiosité… il existe combien de points de magie ?
— Beaucoup. Trop pour les compter.
Il s’arrêta, orienta son saphir dans diverses directions sans plus d’explications, puis poussa une exclamation de satisfaction.
— Tu pourrais avoir l’amabilité de me dire ce que tu fiches ?
Comme si c’était la chose la plus évidente du monde, le Chasseur leva les yeux au ciel.
— Je nous trouve un endroit assez loin des pentacles pour pouvoir partir sans finir en kit.
Sam tira de son manteau une fiole crépitante qu’il déboucha après un dernier coup d’œil à sa pierre.
— Ici on devrait ne pas être pas trop mal.
Des étincelles jaillir de la bouteille avant de former une surface ovale parsemée de geysers. Samuel s’empressa de lever une main en sa direction, après quoi, il ferma les yeux dans une intense concentration.
— Ah d’accord. Normal.
— C’est un sort jetable, répondit-il avant même que la journaliste n’ait eu le temps de formuler la question. Je vais devoir m’économiser un peu niveau magie, je n’ai même plus la force d’activer un début de portail...
Ashley contempla d’un air ébahi la surface magique avant de finalement hausser les épaules. Des sorts en bouteille ? Ce n’était pas plus bizarre que d’habitude après tout.
Elle croisa les bras avant de s’adosser à un arbre. Une interrogation l’effrayait plus qu’un Slenderman et une gargouille géante réunis : qu’est-ce qui pouvait faire reculer un homme aussi déterminé que le Chasseur ? Le dévisager ne l’aida pas à répondre à la question.
Un frisson la parcourut, elle se sentait observée. Ashley scruta les arbres aux alentours sans rien y déceler.
— Et voilà ! s’exclama Samuel.
La surface du portail devint lisse, dévoilant une étendue dorée irradiée de lumière.
— Sapristi, si ce n’est pas ici qu’on le trouve, on va tomber sur un sacré truc ! Ça fait un moment que je n’ai pas vu un point de magie aussi impressionnant.
La blondinette acquiesça entre deux coups d’œil furtifs. Ses doigts tripotaient sa broche, prêts à la décrocher au moindre signe suspect. Son compagnon ne remarqua rien d’anormal.
— On y va ?
Ashley pivota tout en décrochant son bijou. Le croissant de lune argenté se transforma aussitôt en dague. Sam suivit le mouvement, scruta chaque centimètre carré devant ses mirettes et n’y décela aucune forme d’activité hostile.
— Tu as vu quoi ?
Elle ne l’écoutait pas, la brève vision d’une silhouette entre les arbres absorbait toute son attention. Le Chasseur rengaina Prison, puis abaissa le bras d’Ashley. Il était inutile de menacer une seconde de plus un pauvre tronc comme s’il était l’ennemi public numéro un.
— Ash, ce n’est qu’un arbre.
Maintenant qu’elle examinait la zone avec plus de précision, Ashley se rendait bien compte qu’il n’y avait rien d’autre que l’ombre de son compagnon.
— Ouais, désolée. Je suis un peu à cran.
La jeune femme rattacha la broche à son tee-shirt, les yeux rivés sur l’endroit où se dessinaient les contours du Chasseur. Son imagination avait dû lui jouer un tour en déformant sa silhouette. Maintenant, elle reconnaissait parfaitement la forme caractéristique de son manteau.
— Partons, je n’ai pas envie de gâcher une fiole pour rouvrir un portail.
Un œil toujours rivé sur l’ombre de Samuel, elle acquiesça. Le portail avala son compagnon, Ashley s’arrêta à son pied. Malgré tout, une chose la retenait sans qu’elle ne puisse mettre le doigt dessus.
Son instinct s’affola, sa sensation d’être épié se démultiplia. Ashley se tourna lentement pour jeter un dernier regard à l’endroit qui la perturbait tant. L’ombre était toujours là. Elle l’observait sous les traits de Sam, cachée derrière un arbre. Chaque instant supplémentaire lui donnait un peu plus de consistances.
La forme se métamorphosa en un jeune garçon en tunique et en collant coiffé d’un petit chapeau à plumes avant qu’elle ne coure dans sa direction.
La panique l’envahit.
Ses jambes reculèrent automatiquement avant de s’enfoncer dans un sol instable. Ashley tomba sur les fesses. Devant ses pupilles dilatées, le portail se referma, la laissant si soulagée qu’un soupir franchit ses lèvres.
— Qu’est-ce que tu fabriquais ?
Samuel apparut dans son champ de vision, ébloui par le soleil, les sourcils froncés.
— Aie, il y avait un truc ! s’étouffa-t-elle, de nouveau paniquée en enlevant précipitamment ses paumes du sol bouillant.
Le Chasseur tendit une main pour la relever, main qu’Ashley saisit sans hésiter.
— Un truc ?
— Ça a tenté de m’attaquer… C’était une ombre. Une ombre d’un jeune garçon.
— Il existe une demi-douzaine de créatures pouvant répondre à cette description, mais ce n’est probablement rien d’alarmant.
Ses paroles ne s’accordaient pas avec son visage subitement tendu. Un éclair de crainte l’avait illuminé, rapidement chassé par une rationalité forcée.
— Enfin bref, tant qu’elle ne t’a pas touchée, tout va bien. Il vaut mieux éviter d’entrer en contact avec ce qu’on ne connaît pas, surtout quand il s’agit de monstres ou de magie.
La jeune femme mit sa main en visière.
— Sans déconner ?
Une brise chaude souleva ses cheveux accompagnée par quelques grains de sable. La chaleur étouffante lui donnait une furieuse envie de boire, et surtout, de s’immerger dans l’étendue d’eau la plus proche. Malheureusement, il y avait autant autour d’eux que de grâce chez un Blobfish. En revanche, il y avait du sable. Beaucoup de sable. Des dunes les cernaient sans leur laisser la possibilité d’observer un autre paysage.
Si Ashley aurait dû indiquer sa position, « au milieu de nul part » serait le terme le plus approprié. Enfin, c’est ce qu’elle crut dans un premier temps. En tendant l’oreille, des bruits familiers comme le vrombissement de voitures, des coups de klaxon ou même le brouhaha d’une foule lui parvenaient.
— On est où ?
Le Chasseur gravit un des monticule, saphir en main, avant de se retourner dans un geste théâtral, manteau au vent. Ses cheveux volaient en tous sens, mais cela ne lui enlevait pas son sourire :
— Dans mon pays préféré ! N’est-ce pas magnifique ?
Ashley le rejoignit avec difficulté, les yeux rivés sur l’écran de son portable. Une idée folle lui avait traversé l’esprit. Une idée qui se révéla surprenamment réalisable.
— Ce n’était pas exactement comme ça la dernière fois que je suis venu, notifia Samuel, mais je reste conquis.
Après quelques secondes à appuyer sur son écran, Ashley leva brièvement les yeux pour découvrir, au loin, trois pyramides fièrement dressées dans une petite parcelle de désert, en bordure de ville. Quelques routes serpentaient entre les monuments afin de les relier à la civilisation.
— Les pyramides de Gizeh ! s’écria-t-elle en zyeutant de nouveau son téléphone. Ce sont les pyramides les plus célèbres du monde. La plus connue et celle de Khéops, véritable chef d’œuvre de l’ancien empire égyptien et septième merveille du monde.
— Merci Wikipédia.
La jeune femme sourit.
— On capte vachement bien internet ici !
Les deux compagnons entreprirent précautionneusement la descente de la dune. Le sable fin rendait leur progression difficile et dangereuse. Chacun de leur pas s’enfonçait dans le sol jusqu’à leur cheville, de quoi aisément les déstabiliser et les faire dégringoler dans une série de roulades. Samuel finit par descendre comme sur un toboggan, rapidement imité par Ashley, dans une avalanche de grains de sable.
Ses courbatures ne l’aidèrent pas à suivre le rythme soutenu du Chasseur. Malgré sa forme physique, plus que respectable, la « petite randonnée » de la veille pesait sur ses jambes.
L’impression de ne pas avancer entachait son morale. Fort heureusement, après une demi-heure de marche interminable, les contours des pyramides se rapprochèrent enfin.
Vues de près, leurs parois n’étaient pas du tout lisses et impeccables comme dans les films. En réalité, les pyramides n’étaient qu’un amas de blocs en pierre mit les uns sur les autres.
Arrivé au pied du tombeau de Khéops, Ashley, à bout de souffle, quémanda une petite pause. Ce qu’elle n’obtint évidemment pas. Pourtant, elle savait que malgré ses airs de dur à cuir, monsieur le Chasseur se révélait aussi fatigué que sa personne, si ce n’était plus.
Ashley passa une main sur son front pour chasser la sueur qui en coulait abondamment.
— C’est toi qui vas me tuer, pas un monstre.
— Pauvre petite chose, tu veux que je te porte ?
Elle lui décocha un coup de poing à l’épaule.
— Aie, qu’est-ce tu peux être susceptible !
Un grand nombre de touristes traînaient dans les alentours de la pyramide. Certains prenaient des photos, d’autres admiraient la construction les mains sur les hanches. Des guides touristiques par dizaines se jetaient sur les visiteurs pour proposer leurs services dans un large panel de langues.
Sorti de nul part, un enfant de douze ou treize ans se faufila entre les touristes pour se planter devant le duo, puis s’éclaircit bruyamment la gorge avant de débiter dans un français maladroit :
— Bonjour madame et monsieur, vouloir visiter ? Connais bon endroit, vous pas regretter !
Son fort accent Arabe demanda un peu de concentration à Ashley pour saisir ses paroles. Sam, pour sa part, répliqua aussitôt dans un Arabe impeccable :
— Bonjour ! Des événements étranges, des disparitions ou quelque chose du genre, se seraient-ils récemment produits dans les parages ?
Le garçon paniqua un peu trop rapidement pour être honnête et respectable.
— Vous êtes de la police ? C’est légal ce que je fais ! Il n’y a rien de mal à faire visiter les environs pour quelques pièces…
— Nous ne faisons pas partie de la police, ne t’en fais pas mon garçon.
Le Chasseur glissa une main dans son manteau, et en sortit quelques pièces qu’il plaça dans sa paume.
— Alors, tu aurais quelques rumeurs pour moi ?
Le petit guide secoua la tête de gauche à droite. Son regard vagabonda sur le long manteau gris-noir avant de tomber sur le saphir, visible entre ses pans. Il détourna instantanément ses pupilles.
— C’est plutôt calme dans le coin. La seule rumeur que je connais n’est pas très récente. On raconte qu’il y aurait un passage secret qui mènerait à une zone cachée de la pyramide. Cette salle contiendrait un trésor des anciens dieux.
Ashley tourna la tête vers l’une des façades, et analysa chaque bloc comme s’il pouvait être une potentielle entrée. Le garçon reprit après quelques instants :
— Des scientifiques sont déjà venus pour la chercher avec un tas d’appareils. Ils n’ont jamais rien trouvé de ce que j’ai vu.
Samuel décoiffa ses cheveux. Soudainement, son sourire s’effaça. Une sensation de « déjà vu » l’assaillait, alimentée par des fragments de souvenirs qu’il croyait oublié.
— Merci mon garçon, ça sera tout. Ash, on y va.
La blondinette fut si surprise par sa brusquerie qu’elle ne réagit pas tout de suite. Le visage du petit guide se décomposa lorsque le Chasseur s’éloigna sans un regard en arrière.
D’un pas précipité, qui attira l’attention de nombreux touristes, le garçon lui barra le passage et s’écria :
— Attendez, je peux peut-être vous aider ! Je parcours ces pierres depuis que je sais marcher, et si vous cherchez ce passage, j’ai peut-être une piste. Le côté ouest, j’y ai toujours ressenti une sorte de courant d’air à un endroit précis. Ça pourra peut-être vous être utile ?
Samuel fronça les sourcils.
— Vraiment ? Pourquoi tu n’en as pas parlé à ces scientifiques ?
— Il ne m’ont pas cru. Mais si ça vous intéresse, venez avec moi, je vais vous le montrer.
Ashley les observa tour à tour, les yeux plissés. S’il n’y avait pas quelque chose de louche dans cette histoire, elle voulait bien se reconvertir en danseuse étoile. Elle se rapprocha discrètement de son ami, puis lui donna quelques coups de coude pour attirer son attention.
— Sérieusement, on va pas le suivre ?
L’homme au long manteau gris-noir aurait pu tenter un long et éloquent discours afin de la convaincre que ce n’était pas une si mauvaise idée. Après tout, avaient-ils d’autres options pour découvrir la source du point de magie ? Mais il préféra faire simple, et se pencha vers l’oreille d’Ashley :
— Oh que si !
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