Arrivée remarquée
La neige recouvre le jardin d’un manteau blanc, scintillant sous les éclats d’un soleil clément. La verdure de la pelouse cède à la froideur pure des flocons. Le feuillage des treillis rampant le long des murs inférieurs du château se transforme en une décoration hivernale, comme les fontaines dont l’eau ne jaillit plus, glacée par les basses températures des dernières nuits.
Une illusion.
Emiliana s’écarte de la fenêtre du bureau. Du haut de ses vingt-cinq ans – dans cette vie-ci, le sort de son arrière-arrière-tante Sonia l’émerveille encore. Pourtant, il n’apaise pas son cœur meurtri. Elle resserre son châle et rejoint sa sœur Eléana. Celle-ci trépigne d’impatience. Les serres de ses pattes raclent le sol et quelques-unes de ses plumes voltigent autour d’elle.
Un vieux grimoire encombre les bras ailés d’Eléana. Elle l’invite à découvrir sa surprise. Emiliana lui sourit et la suit, soulevant un rideau placé par sa sœur le temps qu’elle termine ses préparatifs. Dessiné à la craie, un cercle de transmutation recouvre le vieux parquet.
« Cri ? signe Eléana, le corps raide.
— Pourquoi ? »
La harpie s’ébouriffe.
« Tante Francesca m’a conseillé un monde, où elle se ressourçait quand elle était plus jeune. Pourquoi ne pas y voyager un peu, en dehors de l’influence de notre clan, pour te décider sur ton avenir ? Je pensais que cela t’aiderait… »
Les épaules d’Eléana s’affaissent.
« Rien ne s’y passe jamais ! dit-elle en des gestes plus amples. Je désire y passer un peu de temps avec toi, profiter de leur paix, leur bonne bouffe et de vraies paysages enneigés ! Tout ce que tu aimes ! »
Nerveuse, Emiliana triture son collier, un pendentif incrusté de rubis. Elle observe une bibliothèque prête à craquer sous le poids d’une centaine de livres. Elles reviendront pour Noël, avec des aventures à conter et des cadeaux uniques. Et, peut-être a-t-elle juste besoin de ce coup de pouce pour se reconstruire après Haldur. Le roi nain a brisé son cœur, à elle d’en recoller les morceaux.
« D’accord. »
Eléana saute de joie, ses plumes échouant sur les meubles et le cercle de craie.
« Prête ?
— Oui. »
*
Bien sûr, tout ne passe pas comme prévu. Un cratère large de trois mètres a écrasé et déraciné des arbres, formant un creux terreux aux racines arrachées là où elles ont atterri. Emiliana tourne sur elle-même, les hêtres côtoient châtaigniers, pins sylvestres, épicéas et sapins. Un changement dans l’air la prévient du retour d’Eléana. Celle-ci se pose sur un tronc renversé, ses serres s’enfoncent dans l’écorce.
« J’ai repéré une grotte près d’un grand chêne, à quelques kilomètres d’ici. On devrait l’atteindre avant la tombée de la nuit.
— Pas de village ? »
Une ombre passe sur le visage de sa sœur. Emiliana fronce les sourcils. Quelque chose cloche, bien plus que leur atterrissage. Qui aurait pu prévoir que le sort foire à ce point ? Au lieu d’apparaître dans l’ancienne ferme de Tante Francesca en un claquement de doigts, elles se sont retrouvées au cœur d’un feu aux gerbes aussi rouges qu’elles sont rousses.
« J’ai vu… j’ai vu des torches et entendu des cris.
— Ils organisent une battue, devine, le visage grave, Emiliana. S’ils nous découvrent maintenant, ils nous chasseront. »
Sa sœur acquiesce.
« J’ai réussi à rester discrète en ne dépassant pas la cime des arbres, mais on devrait être prudente.
— L’idée de camper me rappelle notre "quête" ! »
Eléana rit, les plumes ébouriffés. Cela avait été et elles étaient dans une situation bien plus précaire. Avec ce doux souvenir en tête, les sœurs s’enfoncent dans le cœur de la forêt. Un bon feu, la viande croustillante d’un éventuel animal chassé et de vieilles histoires leur feront le plus grand bien pour ce début d’aventure.
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