CHAPITRE 4

4 minutes de lecture

Mme Delville regardait passer les élèves de 4ème B et les gratifiait chacun d’un bonjour froid et courtois, auquel ils répondaient sur le même ton, et même encore moins poli parfois.

- M’dame, on peut faire un débat, aujourd’hui ? lança Erwan.

- Ah ! Pour qu’Enzo et toi transformiez mon cours en marché aux poissons ? répliqua Mme Delville en sortant d’un tiroir un classeur de taille compétitive, qui ébranla la salle toute entière lorsqu’elle le lâcha sur le bureau. Hors de question. J’ai des rédactions à vous rendre – ne râlez pas ! cria-t-elle soudain, avant même que quiconque émette la moindre protestation. Au vu des notes que vous avez obtenues, aucun d’entre vous n’est suffisamment doué pour se passer de la correction ; je vous prierai donc d’y prêter attention.

Le silence était tombé sur la salle de classe. Viviane jeta un regard furtif à sa montre : elle avait mis 12 secondes. On avait vu mieux. Elle empoigna une craie et traça sur le tableau, en lettres rondes et soigneuses, la fourchette des notes. En l’occurrence, de 0 à 10 sur 20. Quelques exclamations de dépit retentirent, mais Viviane s’empressa d’y mettre fin par un « Ah ! » autoritaire et méprisant, qui dissuadait chacun de manifester son désespoir.

- Pour tous ceux qui étaient habitués à des notes au-dessus de 17, j’imagine à quel point vous déchantez.

Elle n’imaginait pas, sembla songer Laurène en se mouchant violemment pour étouffer un sanglot.

- Mais ce sont les notes que vous obtiendrez au lycée. Autant vous y faire tout-de-suite.

- M’dame, lança Enzo, chez qui la dissuasion ne durait pas longtemps. Mon grand frère il est au lycée et même lui, il a au-dessus de 10.

Mme Delville lui administra le traitement qu’elle réservait à ceux qui parlaient de manière intempestive : l’indifférence absolue, qui économisait beaucoup de salive et de souffle. Cependant, quelques instants plus tard, tout en triant les copies de la meilleure note à la plus basse, elle se permit une petite répartie :

- Peut-être que ton frère étudie le français, et non les lettres. Dans ce cas, ses notes anormalement généreuses s’expliquent.

Enzo resta un instant bouche bée – et c’était un miracle – puis fronça les sourcils comme sous l’emprise d’une intense réflexion, et enfin bafouilla :

- Mais M’dame… Y a pas…

Mais avant qu’il ait pu baragouiner davantage, Mme Delville le coupa :

- Une question ? Un commentaire ? Une remarque ? Une suggestion ? Une doléance ? Je ne crois pas.

Et c’en fut fini de l’argumentation d’Enzo.

- Laurène – « Oh non » lâcha-t-elle derrière son mouchoir – votre copie me laisse perplexe, reprit Viviane. Vous obtenez la moyenne par je ne sais quel miracle, révéla-t-elle avec un sourire carnassier. Vous faites du blabla sur une page et demie, dans un style néanmoins plaisant. Mais pour ce qui est du fond, il est pauvre.

Elle laissa tomber la copie miraculeuse sur la table de l’élève, qui n’arrivait pas à déterminer si elle devait se réjouir ou non.

Après dix minutes de remarques plus piquantes à mesure qu’on approchait du zéro fatidique, Viviane acheva en écrasant la dernière copie sur la table d’Enzo.

- Vous n’avez pas saisi le sens profond de la nouvelle, déclara Mme Delville avec le même sourire mielleux. Vous n’obtenez pas la moyenne. Vous n’obtenez même pas 1 sur 20, à vrai dire.

Enzo reprit sa copie avec un sourire aussi aigre que celui de sa prof. Cette dernière se retourna vers la classe, et lança d’une voix forte :

- Je suis ah ! quel mot employer pour décrire l’état de perplexité dans lequel vos rédactions m’ont plongée. J’hésite entre ébaudie et éberluée. Pas un ! Pas un seul pour saisir le sens profond de la nouvelle ! L’art n’est pas ah ! une copie servile de la nature, mais… mais…

Elle interrompit son sermon pour jeter la tête en arrière, fermer les yeux, et marmonner :

- Moui… Oui, c’est tout-à-fait ça…

Et Roxane de murmurer à Laurène :

- Elle parle avec son moi intérieur, je crois…

- Délire freudien, ajouta sa voisine avec un gloussement.

Mme Delville releva la tête et proclama :

- L’art n’est pas une copie servile de la nature, mais une transfiguration du réel par l’intériorité de l’artiste !

Le regard qui accueillit sa déclaration fut un mélange d’amusement et d’inquiétude. Que son moi intérieur lui souffle des idées, c’était déjà suffisamment alertant sans que lesdites idées soient si ubuesques.

- Et bien, aboya Mme Delville en avisant ses élèves et leurs regards de saumons embrochés. Prenez note !

- Mais ce sont les notes que vous obtiendrez au lycée. Autant vous y faire tout-de-suite.

- M’dame, lança Enzo, chez qui la dissuasion ne durait pas longtemps. Mon grand frère il est au lycée et même lui, il a au-dessus de 10.

Mme Delville lui administra le traitement qu’elle réservait à ceux qui parlaient de manière intempestive : l’indifférence absolue, qui économisait beaucoup de salive et de souffle. Cependant, quelques instants plus tard, tout en triant les copies de la meilleure note à la plus basse, elle se permit une petite répartie :

- Peut-être que ton frère étudie le français, et non les lettres. Dans ce cas, ses notes anormalement généreuses s’expliquent.

Enzo resta un instant bouche bée – et c’était un miracle – puis fronça les sourcils comme sous l’emprise d’une intense réflexion, et enfin bafouilla :

- Mais M’dame… Y a pas…

Mais avant qu’il ait pu baragouiner davantage, Mme Delville le coupa :

- Une question ? Un commentaire ? Une remarque ? Une suggestion ? Une doléance ? Je ne crois pas.

Et c’en fut fini de l’argumentation d’Enzo.

- Laurène – « Oh non » lâcha-t-elle derrière son mouchoir – votre copie me laisse perplexe, reprit Viviane. Vous obtenez la moyenne par je ne sais quel miracle, révéla-t-elle avec un sourire carnassier. Vous faites du blabla sur une page et demie, dans un style néanmoins plaisant. Mais pour ce qui est du fond, il est pauvre.

Elle laissa tomber la copie miraculeuse sur la table de l’élève qui n’arrivait pas à déterminer si elle devait se réjouir ou non.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Eclyptia ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0