CHAPITRE 7
Les grandes portes coupe-feu du gymnase claquèrent. Le bruit sec et sourd résonna entre les gradins, le long des lignes du terrain de sport, jusqu'au fond des paniers de basket. Vincent Leboeuf s'arrêta de laïusser sur la faute de contact et fixa le fond de la salle avec la même stupeur, les mêmes yeux figés que si on lui avait poignardé la moelle épinière. Un frisson parcourut les rangs en tailleur devant la table. L'un après l'autre, comme emportés par une vague de panique déferlant sur le groupe, les élèves se retournèrent et s'assirent sur leurs genoux pour voir ce qui sidérait leur prof à ce point. La plupart étouffa un haut-le-cœur de surprise et d'excitation, quelques-uns émirent un gloussement nerveux et un petit malin s'écria même :
- Trop chan-mé ! Comme dans N.C.I.S !
Et Vincent, incapable de bouger autrement qu'en se balançant d'avant en arrière sur son tabouret, restait abasourdi. Le pas assuré, la démarche traînante, deux policiers s'avançaient dans la salle.
Vincent aperçu, dissimulés dans l'encadrement de la porte, la C.P.E et le principal qui arguaient avec ardeur. Enfin, il eut vaguement la sensation que ses jambes, avec des gestes mécaniques, le soulevaient de sa chaise et le portaient vers le binôme casqué. Il s'entendit prononcer d'une voix lointaine :
- Bonjour messieurs. Qu...
Il hésitait sérieusement entre "Que me vaut ce plaisir ?" et "Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?".
- Bonjour, commença le premier, une grande carcasse galbée comme un fil de fer, alors que son acolyte tirait de sa chemise un badge "Police nationale".
Le deuxième, qui brandissait à présent sa carte entre deux doigts boudinés, était nettement plus trapu que l'autre. A vrai dire, dans une situation moins dramatique, Vincent aurait sûrement ri à plein poumons de leur duo grotesque. C'était les Laurène et Harry de la maréchaussée. Le premier était haut et leste, le deuxième ventru et rase-moquette. Un visage long, osseux et parsemé de plaques entières d'acné pullulant côtoyait une bonne trogne dodue et rasée de près. Les deux étaient pratiquement chauves, mais à bien y regarder, le crâne de l'asperge était couvert d'une fine couverture capillaire. L'un avait un front quasi-inexistant et noyé sous deux sourcils touffus. L'autre avait un front bombé et noyé sous une pellicule de sueur. Deux nez, un crochu, un camus, se plissaient nerveusement. La bouche du premier semblait faite de deux morceaux de chair pâle collés et pincés, tandis que le deuxième avait une bouche plus charnue, mais constamment entrouverte.
- Nous cherchons Mlle Megan Bishop, reprit la grande bringue, arrachant Leboeuf à sa contemplation.
- M... M... articula laborieusement Vincent, qui hésitait à présent entre "Megan ?!" et "Merde alors !"
Il sonda les rangs devant lui, et chercha la jeune fille parmi les cous dévissés des ados, qui regardaient les flics avec des yeux "ronds comme des queues de pelles" aurait dit Leboeuf. Et la trouva, les mains en l'air, les yeux exorbités par l'angoisse. Il la désigna d'un geste de menton tandis qu'elle glapissait "C'est moi" sous le regard effaré de ses copines.
Le second policier se planta devant elle. Vincent supposa qu'elle ne voyait pas grand-chose à son visage, puisqu'elle était restée au sol et que l'imposante bedaine de l'agent devait lui masquer la vue. Il fouilla dans sa besace noire, qui tombait juste au-dessus d'une ceinture armée, et en sortit un petit sachet en plastique refermable. A l'intérieur se trouvait un téléphone portable.
- Mlle Bishop, êtes-vous bien la propriétaire de ce cellulaire ?
- Oui, oui, tout... tout-à-fait, balbutia l'autre, médusée.
- Vous en êtes bien sûre ? insista le flic.
Il colla le sachet devant son visage consterné. Elle le prit. Ses mains étaient tellement moites que le plastique glissait entre ses doigts.
- Excusez-moi messieurs, intervint Vincent.
Il fut presque soulagé d'entendre que sa voix ne lui parvenait plus avec cet écho infernal, et qu'il semblait à nouveau maître de ses paroles et de ses gestes. Il se leva et lança aux flics :
- Je peux savoir ce que vous faites ici ? C'est un cours d'EPS, pas un interrogatoire. Megan est mon élève, elle est sous...
Il s'interrompit en avisant les cinq doigts potelés qui s'étaient resserrés autour de la crosse du revolver. Quand Megan suivit le regard de son prof, elle étouffa un hoquet de terreur et en lâcha la pochette plastique.
- Je vous demanderais de rester calme et de ne pas opposer de résistance, fit le policier sans ciller.
- Mais de quelle résistance vous me parlez ?! explosa Vincent. Vous avez un flingue, j'ai un ballon de basket !
Alertée par les cris de son collègue, Mme Saint-Brie-Les-Mouches-De-Bavière, ou de manière plus concise, la CPE, accourut. Le policier, quant à lui, répéta à l'intention de Megan :
- Etes-vous certaine qu'il s'agit là de votre téléphone portable ?
- Mais bien sûr que c'est le mien ! se récria la jeune fille. Il a une fêlure sur le côté droit, ajouta-t-elle, comme elle ressentait le besoin de fournir des preuves.
Les deux flics échangèrent un long regard. Enfin, dans un silence lourd comme une étuve, la perche déclara avec une lenteur insupportable :
- Megan Bishop, veuillez nous suivre. Vous êtes en état d'arrestation...
- Mais vous débloquez ! s'écria Vincent avec un mouvement convulsif vers l'avant.
Mme Saint-Brie-Les-Mouches-De-Bavière lui intima le silence d'un vigoureux coup de coude. Le grand gaillard reprit :
- ... pour persécution et harcèlement virtuel en la personne de Barthélémy Roumergue.
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