Le Doc

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Le premier souvenir qui me revient suite à la fermeture de la porte d'embarquement était le couloir lumineux, propre, l'air qui semblait être le plus pur que je n'avais jamais respiré. Je suivais le groupe de personnes embarquées sans réfléchir dans des couloirs tout juste assez larges pour passer a deux. Tout était immaculé, chirurgical. Puis, nous arrivâmes dans un grand hangar, où tout était rangé et semblait à sa place, le plafond était à plus de dix mètres. Le vaisseau devait être immense. Nous nous plaçâmes au centre, et notre guide sur une petite estrade. La montagne que j'avais rencontrée semblait encore plus immense.

  • Bienvenue à bord aux vingt nouveaux, cela fait bien quinze ans qu'on n'a pas recruté autant de monde d'un coup. Je suis Thorgard, bras droit de la Bosse, et en dehors de sa présence vous m'écouterez et effectuerez ce que je vous dis. Sa voix était posée et puissante, il ne semblait même pas forcer pour qu'on l'entende clairement.
  • Je ne suis pas du genre à crier ou autre, je dis : vous faites ou vous mourez, je n'ai pas le temps de vous éduquer. Si cela ne vous plaît pas, il y a bien assez de sas de décompression pour vous lâcher dans le vide.

Un rire mesquin s'éleva du groupe.

  • Du coup, si je te bute, je prends ta plac..

Une montagne certes, mais une montagne rapide, l'homme n'eut pas le temps de finir sa phrase qu'une partie de son crâne manquait. Je n'ai pas eu le temps de cligner des yeux que Thorgard, avait le bras tendu, un revolver à la main, de la fumée sortait du canon.

  • Comme j'ai dit, je n'ai pas le temps de vous éduquer. Ici règne l'ordre, l'entraînement et la discipline.

Personne dans la foule ne semblait vouloir le contredire à présent. Il tapa sur son avant-bras équipé d'un clavier virtuel, sans doute.

  • Doc, j'ai de la matière organique pour toi au hangar.

Puis il se remit à nous regarder.

  • Ici, ce que vous avez fait, qui vous êtes ne nous intéresse pas, personne ne peut vous obliger à dire d'où vous venez, vous êtes juste des membres d'équipage du Phoenix. Pour ne rien vous cacher, le dernier abordage s'est mal passé, on a perdu dix-neuf membres, d'où ce recrutement massif. Pour la suite, c'est simple, un tour chez le doc, un tour de vos quartiers, puis vous attaquerez votre vie d'équipage actif du Phoenix.

Un bruit de porte au loin se fit entendre et un personnage étrange apparut, plus augmentique qu'autre chose, équipé d'un tablier, le visage couvert de fils et d'un masque respiratoire, ses yeux des lunettes augmentiques aussi. Un sang bleu, sans doute. J'avais seulement entendu des rumeurs et légendes sur des personnes entièrement augmentiques qu'on pouvait rencontrer dans l'espace. Il possédait un brancard et l'avança jusqu'au corps et souffla fort dans son masque.

  • Thorgard, je t'avais dit d'éviter la tête, et là il en manque carrément la moitié.
  • C'était la seule ligne de tir disponible.
  • Brise-lui la nuque, ça ne te prend pas plus de temps.

Je croyais bien volontiers à cette affirmation. Le ou la doc, il était impossible de savoir tant la voix émise par son masque semblait neutre, ni grave, ni douce, se pencha et mit le corps sans effort sur la table, puis ramassa méticuleusement les morceaux de cervelle de taille convenable avec une pince, avant de pianoter sur un clavier sur son avant-bras.

  • Allez, suivez-moi, bilan médical pour tout le monde.
  • Et Doc, n'oublie pas d'augmenter mes calories journalières, je t'avais bien dit que j'aurais à en tuer qu'un et non deux.
  • Foutues statistique jamais fiables, mais seulement la moitié, vu qu'il n'a qu'une moitié de tête. L'air renfrogné, Thorgard descendit de son estrade. Deux drones apparurent dans le hangar, se dirigeant vers le lieu où était le corps pour nettoyer.

Nous suivions le doc sans rien dire, dans des couloirs, toujours aussi cliniquement propres avant d'arriver dans une salle de taille modeste avec au bout une porte écrite "Doc" en gros dessus.

  • Je m'occupe de celui-là, pointant le cadavre d'une main, puis vous viendrez chacun votre tour.

Il n'y avait pas de chaise, juste une salle, tout le monde attendait en silence, sans trop savoir où nous étions arrivés. Les personnes passaient une à une dans le cabinet du doc, cela ne durait que quelques minutes à chaque fois. Je restais derrière et fus le dernier à rentrer dans son lieu d'exercice. À l'opposé de ce que j'avais vu du vaisseau, c'était un bordel sans nom. Le cadavre baignait dans une cuve, dans des bocaux de morceaux de corps, des seringues de sang partout et des machines dont seul le doc devait connaitre l'usage !

  • Allez, le dernier, prénom ?
  • Phyrose.
  • Origine ?
  • La capitale.
  • Vous savez lire et écrire la langue universelle ?
  • Oui.
  • D'autres langages connus, l'Aradiaque, le Juvlin ou d'autres ?
  • Non.
  • Bien, déshabillez-vous entièrement, je vais faire des prises de sang et un scan complet du corps.

Je m'exécutai, je tenais encore à ma nuque. Quand j'eus fini, il leva la tête avec une sorte de pistolet dans la main avec une antenne au bout émettant des bips. Je restai un long moment face aux bips de cet objet étrange. Malgré l'armada technologique que représentait son visage, il semblait perplexe.

  • Vous êtes bien dans la catégorie méta-humain ?
  • C'est-à-dire ?
  • Deux jambes, deux bras, une tête et appareil reproducteur classique, le chemin classique de l'évolution.
  • Oui, aux dernières nouvelles.
  • Alors vos nouvelles ne sont pas à jour.
  • Je ne comprends pas trop.
  • Et moi non plus, c'est fâcheux ça. Connaissez-vous la température de votre corps ?
  • Trente-sept, trente-huit, je dirais.
  • Vous n'êtes pas à jour, vous êtes à quarante-neuf virgule trente-six degrés sur l'épiderme.

Le doc s'approcha et me mit quelque chose dans l'oreille qui bipait aussi.

  • Alors là, je ne comprends pas trop, vraiment pas.
  • C'est grave ?
  • D'ici, la température interne est de soixante-dix-huit degrés. Disons que je n'ai jamais vu ça et qu'aucun méta-humain enregistré ne possède une telle température. C'est comme ça depuis combien de temps ?
  • Euh, je sais pas.
  • Vous ne savez pas grand-chose, jeune homme, on n'a pas une telle température sans le savoir.
  • J'ai passé un an en cobaye de labo d'Arconique Pharma.

Il explosa d'un rire franc.

  • Et vous êtes en vie, putain, ça doit être le bordel dans les bureaux là-bas. J'imagine pas la prime sur votre tête. Mais aucune chance que ce soit les médicaments, on n'est pas dans un film ou une fiction animée, ça ne marche pas vraiment comme ça, les cellules. Rien à signaler ces derniers temps pour ce changement ?
  • Si, la veille de ma libération, la nuit, j'ai littéralement brûlé de l'intérieur. Le soir, d'un coup, une brûlure soudaine est apparue au niveau du cœur.
  • Oh, miracle, vous n'êtes pas si bête, vous savez que vous avez un cœur, continuez, je vous prie, je ne fis pas acte de sa remarque.
  • Puis ça s'est propagé, la brûlure devenait insupportable, les médecins m'ont attaché à un lit pour m'empêcher de m'arracher la peau. Ça a duré une éternité, puis le matin, je me suis réveillé avec un avocat interdisant à tous les médecins et infirmières de m'approcher.

Il se mit à rire encore plus fort.

  • Oh, bordel, des têtes vont tomber chez Arconique, mais je ne vois pas comment un médicament pourrait faire ça. C'était quoi d'ailleurs ?
  • Ils ne nous ont rien dit, ça rendait groggy et le temps semblait étrange, à la fois long, interminable, tout en étant court. Si je ne savais pas que j'avais une peine d'un an, je serais incapable de dire combien de temps j'ai passé dans le laboratoire.
  • Sûrement une drogue militaire, bref, je peux vous couper un doigt, récupérer un peu de votre semence et prendre un litre de sang, j'ai beaucoup de questionnements élucider, c'est fascinant.
  • Je crois que je vais en avoir besoin.
  • Bien, il sortit juste une aiguille et quelques tubes.

Mais l'aiguille eut du mal à percer ma peau et mon sang sortant dans le tube sécha si rapidement qu'il bloqua le tube.

  • Vous êtes très contrariant, jeune homme, votre sang semble pas fait pour être en dehors de vous.
  • Comme tout le monde, je suppose ?
  • Les méta-humains et espèces intelligentes ne représentent que un virgule trois pour cent de la biomasse des planètes connues, donc ne vous improvisez pas scientifique. Bon, je vais me contenter de ça comme sang. Vous dormez profondément la nuit ?
  • Normalement, oui.
  • Bien, il fit jouer un scalpel entre ses doigts robotiques.

Il avait un humour tout à fait particulier, ce doc.

  • Je vais voir avec la Bosse pour vous réquisitionner et faire quelques analyses plus poussées. Bonne journée.

Il se remit derrière un écran et me laissa avec bien plus de questions que de réponses.

  • Oh, attendez, pour tout ce qui concerne la reproduction, faites gaffe, à ne pas brûler votre partenaire.
  • Pardon ?
  • On est sur un vaisseau enfermé dans une boîte en tôle, les stats ne mentent jamais, les méta-humains ont souvent besoin de rapports charnels dans quatre-vingt-sept pourcent des cas. Et tout semble un peu brûlant dans votre corps.
  • Les statistiques ont échoué, vous n'avez qu'un cadavre dans la cuve.

Il murmura quelque chose que j'entendis très bien.

  • Pas si con au final, le gamin.

Dehors, Thorgard attendait.

  • Tu foutais quoi ?
  • Je posais une colle au doc, il sembla peu satisfait de ma réponse, c'est vraiment un médecin ?
  • Je crois, pas sûr, sa réponse ne me satisfaisait pas vraiment non plus.
  • Suivez-moi, je vous présente la cantine et vos quartiers.

Nous prîmes plusieurs escaliers pour monter et arrivâmes dans une grande salle avec des tables et des bancs, avec au fond trois énormes distributeurs avec des écrans devant affichant plusieurs goûts.

  • Voici les chefs cuisiniers, votre nombre de calories journalières est défini par le Doc et la seule façon d'en avoir plus, c'est de gagner des paris avec lui, évitez juste de perdre, enfin c'est un conseil.

Il reprit son chemin dans les couloirs sans pause, jusqu'à une coursive un peu plus large pour trois personnes.

  • Cinquante chambres de chaque côté, votre nom est écrit dessus, pour les cinq qui ne savent pas lire, suivez-moi. Vous avez deux heures avant de recevoir vos plannings dans le hangar pont quatre, ici on est au pont neuf, suffit de descendre.

J'étais dans la première à droite, même si la notion de droite et de gauche dans l'espace me semblait un peu floue. Il y avait un lecteur biométrique, je mis ma main sans réfléchir et la porte s'ouvrit sur une cabine vide avec un panneau de contrôle latéral classique avec des logos assez évocateurs. Un lit, un toilette, une douche, un bureau, et une machine à laver. Mécaniquement, je cliquai sur douche. Plusieurs parois bougèrent et une douche, un lavabo apparurent au fond de la cabine ainsi qu'un grand miroir. J'enlevai mon attirail et me regardai.

Merde, quarante-sept degrés et soixante-dix à l'intérieur, je ne comprenais rien. Les médicaments qu'on m'a donnés pendant un an avaient principalement pour effet de me rendre à moitié groggy et le temps semblait être devenu une notion étrange. Mais tout semblait normal face au miroir. Je fis tourner une roue qui me semblait être la température de l'eau et je mis cinquante degrés, pour voir, et appuyai sur le bouton central. Une puissante brume sortit de multiples buses. L'eau avait une odeur de propre, de savon, vu que j'en voyais nul part, je supposais que l'eau était désinfectante et nettoyante. Malgré le réglage, l'eau semblait juste tiède. Je fis tourner la roue à soixante-cinq degrés, l'eau semblait enfin chaude. Après quelques instants, l'eau s'arrêta. J'appuyai de nouveau sur le bouton mais rien. On est rationné en eau, ça paraît logique dans l'espace après tout. Mais ces quelques minutes firent un bien fou. Un gros bouton ressemblant à un ventilateur était dans un coin. Et d'un coup, un énorme souffle chaud apparut au-dessus de moi et poussa toute l'humidité et les gouttes dans le sol. J'étais sec en trente secondes.

Sur le lavabo, une brosse à dents était disposée et un verre. Service cinq étoiles ici. J'appuyai sur machine à laver, la seule chose qui changeait était un présentoir qui pendait dans la douche. En même temps, on a tous qu'une tenue. Je posai l'armure dessus sans le casque où se trouve toute l'électronique et appuyai sur le bouton. Une eau sentant plus fort sortit des buses, puis une autre neutre et enfin le séchage express. C'est mieux que rien.

J'appuyai sur le bouton lit, le bac douche disparut et le lavabo aussi pour laisser place à un lit qui prenait toute la place. je m'affalai dedans

Bordel, et maintenant ?

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