Chapitre 13
Lisa était tellement dans les vapes qu’elle eut d’abord du mal à entendre son réveil. Au bout du trente-et-unième cri de coq qui retentit dans sa chambre, elle finit cependant par émerger des limbes du sommeil, et tendit machinalement le bras vers sa table de nuit pour couper l’alarme de son téléphone portable. Elle ne comprit pas tout de suite pourquoi elle n’arrivait pas à le trouver… D’habitude, elle le posait toujours ici, branché à son chargeur pour refaire le plein de batterie, mais ce matin, elle avait beau tâtonner la surface de sa table de chevet d’une main insistante, elle ne sentait nulle part la forme de son smartphone… A force de le chercher à l’aveuglette, elle finit par faire tomber un bouquin par terre – probablement Le Maître du Haut-Château – et manqua de renverser sa lampe en forme de hibou. Elle se redressa en sursaut pour retenir son luminaire avant qu’il ne s’écrase au sol, et l’alluma pour constater que son téléphone avait bel et bien disparu de sa table de nuit…
Pourtant, il continuait de sonner, et il fallut plusieurs secondes à Lisa avant de réaliser que les cocoricos qu’elle entendait provenaient de la poche arrière droite de son jean. Glissant sa main à l’intérieur, elle y trouva en effet son portable, et elle s’empressa d’éteindre le réveil avant qu’un énième cri de coq ne lui perce les oreilles. Il ne lui restait plus que cinquante pourcents de batterie… Comment avait-elle fait pour oublier de retirer son smartphone de sa poche et de le mettre à charger avant d’aller se coucher ? Pourquoi d’ailleurs portait-elle toujours ses habits de concert ? Elle avait dû être sacrément bourrée en rentrant chez elle dans la nuit ! Une chance qu’elle ait réussi à esquiver sa mère en arrivant...
Pour autant, Lisa savait qu’elle ne parviendrait pas à lui échapper une seconde fois ce matin. Surtout si elle voulait descendre prendre son petit déjeuner dans la cuisine, où elle se doutait que sa mère l’attendait pour lui poser tout un tas de questions à propos du concert de la veille. Or, Lisa ne pouvait se passer de petit déjeuner, car, pour l’heure, elle n’avait envie que d’une chose : boire un grand bol de café noir. Une envie surprenante venant de quelqu’un qui, comme elle, n’aimait pas le café, mais une envie qu’elle estimait urgente de satisfaire, si elle voulait réussir à se remettre les idées en place au plus vite... Même si, pour cela, elle devait subir le terrible interrogatoire d’Amanda Thompson.
- Bien dormi ? s’enquit celle-ci lorsqu’elle vit sa fille arriver dans la cuisine.
- Comme une marmotte, répondit Lisa en s’asseyant à table, à côté de sa mère, et en saisissant instinctivement la cafetière qui était posée au milieu.
« OK » pensa la jeune fille. « La première question n’était pas bien compliquée… Voyons voir les suivantes... »
- Comment s’est passé le concert ? Vous vous êtes bien amusés, Joey et toi ?
- Lui je ne sais pas, mais moi oui, dit Lisa en versant une pleine rasade de café dans son bol de céréales. Le groupe était vraiment excellent, l’ambiance était géniale, et en plus j’ai pu voir la scène de très près : j’étais au deuxième rang !
- Depuis quand est-ce que tu bois du café ? s’étonna alors Amanda, qui semblait n’avoir même pas écouté la réponse de sa fille.
- Euh… Depuis ce matin, pourquoi ? Comme c’est le premier jour du mois de novembre, je me suis dit que c’était une bonne occasion pour commencer à changer un peu mes habitudes...
- C’est pour ça aussi que tu as décidé de remettre tes t-shirts de groupes de rock pour aller en cours ? questionna Amanda d’un air dubitatif.
- Ah, ça…, fit Lisa en baissant la tête pour observer le t-shirt noir de System Of A Down avec lequel elle avait dormi. Non, ça, c’est juste pour rester à la maison. Je vais me changer tout à l’heure, après la douche…
- N’oublie pas de mettre ton t-shirt dans la corbeille de linge sale pour que je puisse le laver aujourd’hui. J’ai eu un mal fou à récupérer celui que tu avais taché la dernière fois…
- Oh, ne t’inquiète pas, j’ai fait attention à ne pas salir celui-ci, la rassura Lisa avant de prendre une première gorgée de son café.
Hélas, celui-ci était tellement chaud qu’elle se brûla les lèvres, et elle ne put s’empêcher de recracher la boisson dans son bol tout en s’éclaboussant violemment. Sa mère regarda l’étendue des dégâts avant de lancer d’une voix blasée :
- Tu disais ?
Si Lisa passait en général beaucoup de temps dans la salle de bains – à se laver, à se sécher, à se coiffer, à se maquiller, à s’habiller… –, ce matin, elle battit allègrement son record. Le café qu’elle s’était forcée à avaler au petit déjeuner n’avait visiblement pas suffi à la réveiller, et elle peinait encore à retrouver le contrôle de ses gestes. Elle rata son maquillage deux fois de suite – tantôt en faisant déraper son crayon khôl et en se le plantant dans l’œil, tantôt en faisant déborder son mascara sur ses paupières – et elle passa plus de cinq minutes à essayer de refermer l’attache de son collier.
- Lisa, tu vas être en retard pour ton bus ! s’exclama Amanda depuis la cuisine. Il part dans cinq minutes !
Paniquée, Lisa sortit en trombes de la salle de bains, se précipita dans sa chambre pour y récupérer son sac et descendit à toutes vitesses les marches de l’escalier – en tâchant cette fois de ne pas se casser la figure.
- N’oublie pas ta lunch box ! lui dit sa mère en lui tendant la boîte qui contenait son repas du midi.
D’habitude, c’était Lisa qui préparait elle-même ses sandwichs après le petit déjeuner, mais voyant qu’elle était sortie de table pour monter directement se doucher, Amanda avait sans doute jugé préférable de s’en occuper.
- Tu as tout ce qu’il te faut ? demanda-t-elle à sa fille pendant que celle-ci enfilait son blouson noir. Tes bouquins de cours ? Ton porte-monnaie ? Tes moufles ?
- Oui, oui, oui…, répondit Lisa d’une voix agacée – cette manie qu’avait sa mère d’établir une check-list à chaque fois qu’elle s’apprêtait à sortir avait tendance à lui taper sur les nerfs.
- Ton double de clé de maison ? Ta carte de bus ? Ton téléphone portable ?
- Oui, oui, o… Non ! s’écria alors Lisa en écarquillant les yeux de stupeur. Mon téléphone ! Je l’ai laissé dans ma chambre !
La jeune fille se rua à nouveau dans les escaliers, manqua de trébucher sur une marche – certainement la même que celle qui avait eu raison d’elle sept heures plus tôt –, se rattrapa de justesse à la rambarde, puis déboula dans sa chambre et se jeta sur son téléphone, qu’elle avait laissé à charger sur sa table de chevet. En débranchant l’appareil, elle vit l’écran s’allumer et lui indiquer qu’elle venait de recevoir un MMS de la part d’Astrid. Malgré le peu de temps qu’elle avait devant elle, elle ne put résister à la curiosité, et ouvrit le message de son amie pour en visualiser le contenu.
Elle eut alors la surprise de voir apparaître la photo d’un garçon entièrement nu, vu de dos, qui se tenait derrière les stores ouverts d’une fenêtre, sans manifestement se douter qu’il était espionné. Astrid avait accompagné l’image de ces quelques mots : « Devine qui c’est ! ».
« Quoi ? » s’exclama Lisa en fronçant les sourcils. « Qu’est-ce que c’est que cette blague ? »
Frustrée de s’être laissée retarder pour une telle bêtise, Lisa rangea son téléphone dans son sac et redescendit les escaliers à toutes jambes. Le quartier résonna bientôt de ses pas précipités, alors qu’elle courait comme une dératée dans la rue pour rejoindre l’arrêt de bus situé à trois cents mètres. Certains voisins, qui étaient déjà dehors et s’apprêtaient à monter dans leur voiture pour se rendre au boulot, tournèrent la tête dans sa direction et l’observèrent d’un air étonné : ce n’était pas tous les jours qu’ils voyaient Lisa Thompson sortir en retard de chez elle.
Il était huit heures pile, l’heure à laquelle passait son bus, et celui-ci avait toujours été ponctuel. La preuve : lorsqu’elle déboula dans la rue où se situait l’abribus, elle aperçut l’arrière du car jaune qui stationnait à une centaine de mètres devant elle, avec ses feux rouges clignotants et son signal d’arrêt sorti sur le côté gauche. Elle se mit aussitôt à piquer un sprint, mais vit avec horreur le véhicule éteindre ses voyants et rétracter son panneau stop, avant de reprendre la route.
- Attendez-moi ! s’écria Lisa en agitant les bras comme une hystérique. Attendez-moi !
Des élèves assis au fond du bus finirent par remarquer qu’ils étaient poursuivis, mais plutôt que d’alerter le chauffeur et de lui dire de s’arrêter, ils ne trouvèrent pas de meilleure idée que de coller leur visage contre les vitres de derrière pour mieux suivre la course désespérée de leur camarade. Celle-ci ne cessait de crier et de faire de grands gestes dans l’espoir d’attirer l’attention du conducteur – à quoi cela lui servait-il d’avoir des rétroviseurs, bon sang ? – et enrageait de voir ces crétins à l’arrière se bidonner et lui faire des grimaces à travers les carreaux. Si jamais elle parvenait à rattraper le bus, elle leur ferait passer un sale quart d’heure !
Comme si ses menaces avaient été entendues, Lisa vit le car s’arrêter sur le bord de la route et remettre ses clignotants. Elle crut d’abord à un mirage, puis réalisa qu’il s’agissait en fait d’un miracle, et accéléra l’allure pour ne pas se faire trop attendre.
- Merci ! parvint-elle à articuler, malgré le peu de souffle qui lui restait, en se hissant à bord du bus et en saluant le conducteur.
- Panne de réveil ? demanda celui-ci.
- Pas tout à fait…
Lisa n’avait clairement pas la force d’entrer dans les détails. Exténuée, elle se laissa tomber sur le premier siège qu’elle vit, appuya sa tête contre le dossier et ferma les yeux. Le plus dur était maintenant de réussir à ne pas s’endormir...
Si Lisa parvint à garder les yeux ouverts durant ses deux premiers cours de la matinée – physique et initiation aux sciences de l’ingénieur –, elle eut en revanche beaucoup plus de mal à ne pas somnoler pendant les deux cours qui suivirent : géographie et espagnol. Elle s’était toujours sentie un peu moins captivée par les matières littéraires que par les sciences, mais ce jour-là, son manque de concentration fut flagrant. En arrivant dans la classe d’espagnol, Astrid retrouva son amie avachie sur sa table, la joue gauche écrasée contre son cahier d’exercices et les bras étalés devant elle. Un petit malin avait visiblement profité de son sommeil pour s’approcher d’elle avec un marqueur rouge et dessiner un cœur sur le dos de sa main droite. Astrid crut bon de la secouer par l’épaule pour la réveiller et lui éviter de se faire abuser par d’autres élèves mal intentionnés.
- Hey, Lisa ! Réveille-toi ! Réveille-toi ! Tu as vu la photo que je t’ai envoyée ?
- Hein ? Quoi ? Que… Quelle photo ? bégaya Lisa en sortant des bras de Morphée.
Elle se redressa péniblement sur sa chaise et se massa la nuque en faisant une grimace de douleur. Depuis qu’elle s’était levée ce matin, ses vertèbres cervicales la faisaient souffrir atrocement. Elle avait longtemps cherché l’origine de ce mal, puis avait fini par comprendre que cela ne pouvait venir que de ses excès de headbanging.
- Tu n’as pas reconnu qui c’était ? lança Astrid en lui collant son téléphone portable sous le nez pour mieux lui montrer la photo qu’elle lui avait transférée trois heures plus tôt.
- Non, et je m’en fiche royalement ! rétorqua Lisa en repoussant le smartphone de son amie avec sa main droite.
Ce fut à cet instant qu’elle remarqua le cœur rouge tatoué sur sa peau.
- C’est toi qui as fait ça ? s’exclama-t-elle en se tournant vers Astrid d’un air furibond.
- Bien sûr que non, voyons ! s’offusqua la blonde. Les cœurs que je dessine sont beaucoup plus jolis que celui-là !
Lisa mouilla son index gauche de salive et le frotta furieusement contre le dos de sa main droite pour essayer de faire partir le gribouillis, mais il ne semblait pas prêt de vouloir s’effacer. A tous les coups, il avait été tracé au marqueur indélébile…
- Je t’avoue que moi aussi j’ai eu du mal à le reconnaître, au début..., reprit Astrid, qui ne paraissait pas se préoccuper le moins du monde des problèmes de tatouage de son amie. Il faut dire évidemment que je n’ai jamais eu l’occasion de le voir en vrai avec les fesses à l’air... Encore heureux !
A cet instant, Mme Ramirez fit son entrée dans la salle, ce qui obligea Astrid à baisser d’un ton pour pouvoir poursuivre la conversation.
- Je vais te donner un indice, murmura-t-elle en se penchant vers l’oreille de Lisa. Son prénom commence par un N et tu le croises chaque semaine au club de photo du lycée…
Intriguée, Lisa ne put s’empêcher de chercher à résoudre cette énigme et passa en revue les prénoms de tous les élèves qui comme elle fréquentaient l’atelier photographie du vendredi après-midi… Elle n’en trouva qu’un seul dont le prénom commençait par un N...
- Nils Brown ? chuchota-t-elle en ouvrant des yeux ronds comme des billes.
Astrid hocha vigoureusement la tête pour lui confirmer qu’elle avait deviné juste.
- Apparemment, tout le lycée a reçu cette photo, précisa-t-elle à voix basse. Il paraît même qu’à l’origine, c’est Charlie Henson qui l’a envoyée avec le hashtag « trick-or-treat »...
- Pfff… Il n’avait vraiment rien d’autre à faire le soir d’Halloween que d’aller photographier les fesses de Nils ?
- C’est vrai qu’il devait sacrément s’ennuyer pour en arriver là… Toi, par contre, tu as l’air de t’être bien amusée ! fit remarquer Astrid en voyant son amie bailler aux corneilles.
S’il y avait bien un cours durant lequel Lisa ne voulait pas montrer le moindre signe de fatigue, c’était le cours de maths de M. Bates. En ce lendemain d’Halloween, l’enseignant avait décidé de s’habiller dans le thème et de mettre un nœud papillon orange qui contrastait franchement avec sa veste noire et son gilet gris foncé. Ses élèves, pourtant habitués à son style vestimentaire extravagant, ne purent se retenir de rire en le voyant, et Scott Davis osa même lui lancer d’un air moqueur :
- Vous avez une journée de retard, monsieur ! C’était hier, le concours de costumes d’Halloween !
M. Bates, qui avait lui-même un certain penchant pour la taquinerie et savait apprécier les traits d’humour bien placés, ne se formalisa pas de la hardiesse de son élève. A la place, il se contenta de sourire et, se tournant vers la classe, déclara d’une voix imperturbable :
- Vous aviez deux exercices à faire pour aujourd’hui. Qui est volontaire pour aller corriger le premier ?
Lisa baissa la tête sur son bouquin de maths et essaya de se faire toute petite. Même si d’habitude elle ne rechignait pas à passer au tableau quand son prof le lui demandait, aujourd’hui, elle ne tenait pour rien au monde à ce qu’il la sollicite. Non pas qu’elle avait oublié de faire ses exercices, au contraire : elle se félicitait d’avoir préféré passer son mardi après-midi à la bibliothèque pour s’avancer dans ses devoirs, plutôt que d’aller au gymnase assister à la remise des prix du concours de costumes d’Halloween. Ce choix lui avait permis de résoudre d’une traite ses deux problèmes de mathématiques, chose qu’elle n’aurait jamais pu faire si elle avait attendu d’être rentrée de concert pour s’atteler à la tâche.
Non, si la perspective de passer au tableau rebutait autant Lisa, c’était tout simplement parce qu’elle ne se sentait pas au meilleur de sa forme, et qu’elle craignait que M. Bates ne s’en aperçoive. Son regard vif et pénétrant lui donnait souvent l’impression qu’il lisait en elle comme dans un livre ouvert, et elle était convaincue que si elle attirait trop son attention sur elle, il ne tarderait pas à découvrir dans les traits tirés de son visage tous les symptômes de sa cuite de la veille.
Hélas, il semblait aujourd’hui que personne d’autre qu’elle dans la classe n’avait fait ses exercices de maths. En circulant dans les rangs pour jeter un œil au travail de ses élèves, M. Bates ne put que constater avec dépit que ce travail était inexistant. A chaque table devant laquelle il s’arrêtait, il entendait la même excuse : Halloween. A croire que tout le monde avait passé son mardi après-midi au gymnase pour la remise des prix du concours de costumes, avant d’être invité à une soirée déguisée et d’y faire la fête jusqu’à pas d’heure. Même Arthur Macmillan ne dérogeait pas à la règle : Lisa n’en crut pas ses oreilles lorsqu’elle l’entendit se justifier en prétextant qu’il n’avait même pas pu trouver le temps d’ouvrir son manuel de mathématiques pour prendre connaissance des exercices qui étaient à faire, et que, de toute façon, donner des devoirs le jour d’Halloween n’était pas une très bonne idée. Décidément, ce garçon ne manquait pas de culot !
- Et toi, Lisa ? Toi aussi tu as fait la fête toute la nuit ? demanda M. Bates en s’approchant de la table de la jeune fille.
« Oh mon Dieu, si vous saviez… » pensa Lisa, qui devint aussitôt rouge de honte.
M. Bates se pencha sur son cahier et eut le plaisir de pouvoir y lire la solution à chacun des deux problèmes qui étaient à résoudre.
- Pourquoi est-ce qu’il n’y a que Lisa qui a réussi à trouver le temps de faire ses exercices de maths ? interrogea M. Bates en se tournant vers la classe.
Puis, reportant son regard sur Lisa, il ajouta :
- Tu veux bien aller nous les corriger ?
« Pas vraiment, non… Mais qu’est-ce que je ne ferais pas pour vous ! » se dit Lisa en se levant malgré elle de sa chaise et en prenant son cahier d’exercices.
Pourquoi diable fallait-il que cela tombe sur elle aujourd’hui ? Comme par hasard le lendemain de sa première cuite, et le jour où un abruti s’amusait à griffonner un cœur rouge sur sa main… Si seulement elle avait été gauchère comme M. Bates, elle n’aurait pas eu à lui montrer ce dessin ridicule… Un dessin qui traduisait d’ailleurs à la perfection les sentiments qu’elle éprouvait pour lui… Mais même si Lisa avait fait exprès de tracer ce symbole sur sa main pour essayer de faire comprendre à son prof qu’elle l’aimait, celui-ci – en dépit de ses incroyables facultés mentales – n’aurait sans doute jamais réussi à deviner le sens de ce message pourtant explicite.
- Joli tatouage, commenta M. Bates dès qu’il vit Lisa lever sa main en l’air pour écrire au tableau.
La jeune fille sentit ses joues s’enflammer et essaya de cacher son trouble en laissant quelques mèches de cheveux retomber de part et d’autre de son visage cramoisi. Et si jamais M. Bates venait à croire que celui qui avait dessiné ce cœur sur sa main n’était autre que son petit ami ? Horrifiée, Lisa se dit qu’il fallait à tout prix qu’elle chasse cette idée de la tête de son prof – si du moins elle y était vraiment entrée –, quitte à devoir pour cela lui fournir une explication qui la ferait passer pour une folle.
- Merci, dit-elle en réponse au compliment de l’enseignant. C’est moi qui l’ai fait…
- Vraiment ? s’étonna M. Bates en fronçant ses épais sourcils noirs d’un air dubitatif. Je ne savais pas que tu t’amusais à te dessiner dessus…
Lisa entendit aussitôt des gloussements de rire derrière son dos, mais elle tâcha de ne pas y prêter attention et continua de dérouler ses équations au tableau.
- Ça m’arrive de temps en temps, quand je m’ennuie…, expliqua-t-elle sans cesser d’écrire.
- Dans ce cas, j’espère que ce dessin ne date pas du début de mon cours…, s’inquiéta l’enseignant. C’est vrai que j’ai perdu du temps à passer entre les rangs, mais les choses auraient été beaucoup plus rapides si tes camarades avaient fait leurs devoirs !
A ces mots, Lisa s’arrêta de calculer sa dérivée, se tourna vers son prof pour le regarder droit dans les yeux, et lui déclara alors d’une voix pleine de sincérité :
- Rassurez-vous. Jamais je ne m’ennuie pendant vos cours !
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