Chapitre 34
Note de l'auteur : chères lectrices, chers lecteurs, avec ce trente-quatrième chapitre s'achèvent (ou presque) les aventures de Lisa. "Déjà ?" me direz-vous. Eh oui, toutes les bonnes choses ont une fin... Mais rassurez-vous, ce chapitre sera suivi d'un épilogue qui conclura ce second et dernier tome de "In Love". Merci encore à toutes celles et tous ceux qui ont suivi mon histoire jusqu'au bout. Merci en particulier à iphigenia, Divgau et Pom&pomme pour votre soutien et vos commentaires qui m'ont fait grand plaisir. J'espère que cette fin ne vous chagrinera pas trop (préparez quand même vos mouchoirs...) et je vous souhaite à toutes et à tous une bonne lecture !
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Maintenant que les cours étaient finis, il était plus pénible encore pour Lisa d’attendre la réponse de M. Bates en restant chez elle à ne rien faire. Elle essayait de s’occuper l’esprit par la lecture ou la musique, mais ses pensées finissaient toujours par revenir à M. Bates et la plonger dans un état de torpeur proche de la dépression. Elle avait renoué avec ses vieux démons et s’était remise à boire en cachette pendant que sa mère était au boulot. Grâce à Mike, elle avait pu récupérer une bouteille de Jack Daniel’s encore bien pleine à la fin de la soirée qu’ils avaient passée sur la plage, et avait pris soin de la planquer tout au fond du tiroir à roulettes sous son lit. Buvant à même le goulot, elle ne faisait plus vraiment attention aux quantités qu’elle ingurgitait, mais tâchait tout de même de ne pas se mettre dans un état trop lamentable, pour éviter de s’attirer les foudres de sa mère lorsque celle-ci rentrait du travail.
Il arriva pourtant un soir où, à force d’avoir trop pleuré durant la journée, Lisa se présenta à table pour le dîner avec des yeux bouffis et des joues sillonnées de traces de mascara. Ces preuves évidentes de son désespoir n’échappèrent pas à sa mère, qui lui demanda avec inquiétude :
- Qu’est-ce qui t’arrive ? Quelque chose ne va pas ?
Incapable de trouver la force de lui répondre, Lisa observa sa mère sans dire un mot, comme si ce seul regard pouvait suffire à lui faire comprendre la raison de son chagrin. Amanda finit sans doute par la deviner, car elle poussa un profond soupir de lassitude, avant de déclarer d’une voix navrée :
- C’est bête, Lisa… C’est vraiment bête… Tu vas être diplômée dans quatre jours et tu trouves quand même le moyen de déprimer ? Il faut que tu arrêtes de t’entêter avec ton prof et que tu te changes les idées. Profite de tes vacances, bon sang ! Sors avec tes amis !
Lisa serra les dents et fronça les sourcils. La veille encore, elle avait décliné l’invitation de Joey à aller voir avec lui la trilogie Retour vers le futur au Fremont. A force de n’essuyer que des refus, le pauvre garçon allait finir par ne plus rien lui proposer du tout… Lisa ne pouvait s’en vouloir qu’à elle-même si elle se retrouvait délaissée par ses camarades... Elle s’enfermait peu à peu dans la solitude, et rien ni personne ne parvenait à lui donner l’envie d’en sortir.
- Il ne te reste plus que cet été pour passer du temps avec tes amis avant de devoir les quitter pour aller au MIT, et toi, tout ce que tu préfères, c’est rester pleurer dans ta chambre… Franchement, je ne te comprends pas !
- Il n’y a pas que mes amis que je vais devoir quitter pour aller au MIT...
- Je sais bien, lança Amanda avec un petit sourire taquin. Moi aussi, tu vas devoir me quitter !
Lisa ne put s’empêcher de lever les yeux au ciel. Evidemment, ce n’était pas à sa mère qu’elle avait voulu faire référence.
- Ecoute, reprit Amanda, je me doute de qui tu veux parler, mais arrête un peu de te prendre la tête avec lui. Crois-moi, il n’en vaut pas la peine.
- Qu’est-ce que tu en sais ? répliqua Lisa. Tu ne le connais même pas !
- Et toi, alors ? Tu crois que tu le connais, peut-être ?
- Plus que tu ne l’imagines...
- Vraiment ? Eh bien, vas-y ! Dis-moi ce que tu sais de lui ! s’exclama Amanda sur un ton de défi.
- Je sais qu’il est célibataire et qu’il n’a pas d’enfants…
- Ah oui ? Tout ça parce qu’il ne porte pas d’alliance et qu’il n’a jamais parlé de ses enfants en cours ? lança Amanda d’une voix moqueuse.
- Non, tout ça parce que c’est lui qui me l’a dit.
- C’est lui qui… quoi ?
- C’est ce qu’il m’a répondu quand je lui ai posé la question.
- Tu lui as demandé s’il était célibataire et s’il avait des enfants ? répéta la mère de Lisa, abasourdie.
- Oui, quand je suis allée chez lui pour lui avouer mes sentiments.
Cette fois, Amanda resta bouche bée. La réponse de sa fille l’assomma à tel point que tout ce qu’elle trouva à lui dire fut :
- Tu… tu sais où il habite ?
- Ça fait un moment que je sais où il habite… Je sais même à quoi ressemblent son jardin et l’intérieur de sa maison. Tu vois que je le connais finalement mieux que tu ne le crois !
- Fais attention, Lisa ! Fais attention ! la prévint Amanda. Tu risques d’avoir des problèmes…
- Pourquoi ? Je suis majeure, maintenant !
- Peut-être, mais je doute que ton prof voie les choses du même œil…
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
- Ce que je veux dire, c’est qu’il n’a sûrement pas envie de s’attirer des ennuis avec une gamine qui a l’âge d’être sa fille !
- C’est pourtant lui qui m’a proposé de me raccompagner en voiture, l’été dernier, quand il m’a croisée à l’arrêt de bus du lycée !
- Et tu penses que ça signifie qu’il s’intéresse à toi ? se moqua Amanda. Ma pauvre ! Tu te berces d’illusions ! Moi, je crois plutôt qu’il se fiche pas mal de toi !
De toute évidence, Amanda cherchait à provoquer sa fille pour essayer de la dégoûter de M. Bates. C’était hélas sans compter l’aveuglement de Lisa, qui refusait obstinément de voir chez celui qu’elle aimait le moindre sujet de reproche.
- S’il se fiche pas mal de moi, alors pourquoi est-ce qu’il m’a invitée chez lui à deux reprises ? rétorqua la jeune fille en finissant par perdre son calme.
Elle était tellement furieuse qu’elle n’hésitait plus à tout déballer. Au point où elle en était, elle estimait qu’elle n’avait plus rien à cacher à sa mère.
- Tu es allée chez lui à deux reprises ? s’offusqua celle-ci.
- La première fois, pour lui offrir un cadeau de Thanksgiving. La deuxième fois, pour lui faire ma déclaration d’amour, expliqua Lisa sans broncher.
- Et comment est-ce qu’il a réagi ?
- Je pense que mon cadeau lui a plu…
- Et ta déclaration ?
- Je ne sais pas… Il ne m’a pas encore répondu.
- Tu m’étonnes ! ironisa Amanda.
- Il m’a pourtant assuré qu’il y réfléchirait…
- Sans blague ! Ça devait être le seul moyen pour lui de se débarrasser de toi ! lança Amanda avec sarcasme. Depuis combien de temps est-ce que tu attends sa réponse ?
- Quinze jours, avoua Lisa d’une voix étranglée.
Les paroles blessantes de sa mère commençaient à avoir raison d’elle. Elle sentait les larmes lui monter aux yeux et tâchait de détourner le regard pour ne pas montrer qu’elle était sur le point de craquer.
- Quinze jours ! répéta Amanda en feignant la surprise. Ça fait long, quand même ! Je me demande ce qui peut lui prendre autant de temps… Il ne t’a vraiment donné aucune nouvelle ?
Lisa se contenta de secouer négativement la tête, incapable de prononcer le moindre mot. Pourquoi sa mère prenait-elle autant de plaisir à remuer le couteau dans la plaie ?
- C’est bizarre, ça… Il lui est peut-être arrivé quelque chose ? fit semblant de s’inquiéter Amanda, avant de s’exclamer en riant : Qui sait ? Peut-être qu’il est mort !
Lisa jeta à sa mère un regard furibond. De quel droit se permettait-elle de plaisanter avec ce genre de choses ? Elle savait très bien que Lisa ne supporterait pas de savoir qu’il était arrivé un malheur à M. Bates. Cette fois, elle avait vraiment dépassé les bornes !
- Ça alors ! Tu en fais, une tête ! s’exclama Amanda. Pas la peine de le prendre aussi mal ! Je plaisantais, bien sûr ! A l’heure qu’il est, ton prof doit déjà être parti en vacances ! Comme tous les autres, d’ailleurs. En général, ils ne perdent pas de temps : dès qu’ils ont fini les cours, ils plient les gaules et vont se faire dorer la pilule au soleil !
Et si jamais sa mère disait vrai ? Les craintes de Lisa refirent surface quand elle repensa aux volets fermés de la maison de M. Bates et à sa Mini Cooper introuvable… Combien de temps devrait-elle encore attendre avant qu’il ne rentre de congés et ne prenne connaissance du courrier qu’elle avait laissé dans sa boîte aux lettres ? Un mois ? Deux mois ? Aurait-elle au moins une chance de le revoir avant de partir au MIT ? Le regard embué, Lisa n’arrivait même plus à distinguer les contours de son assiette… Elle sentit bientôt une larme glisser le long de sa joue, et finit par laisser couler les autres en fermant douloureusement les yeux. C’était la première fois qu’elle pleurait à table devant sa mère. Celle-ci ne parut pourtant pas s’en émouvoir outre mesure, car elle lui déclara sans ménagement :
- Ça ne sert à rien de pleurnicher, ça ne le fera pas revenir !
Lisa serra les poings de rage sous la table. Malgré sa vue troublée par les larmes, elle regarda fixement le couteau posé à côté de son plat, luttant contre la terrible envie de s’en emparer pour se faire du mal.
- Maintenant, je comprends mieux pourquoi Ashley Westbrook a fini par passer à l’acte…, murmura-t-elle en réprimant un sanglot. Elle aussi était à bout…
- Qu’est-ce que tu racontes, encore ? Ne me dis pas que toi aussi tu veux te suicider ! lança Amanda en s’esclaffant de rire.
Profondément vexée par cette remarque qui prouvait à quel point sa mère ne la prenait pas au sérieux, Lisa se leva de table sans prévenir.
- Tu t’en vas déjà ? s’étonna Amanda. Mais je n’ai même pas eu le temps de servir le dîner !
- Je n’ai plus faim. Tu m’as coupé l’appétit, lui répondit Lisa avant de lui tourner le dos.
- Ah, bien sûr ! C’est de ma faute, maintenant ! Tu remontes pleurer dans ta chambre, c’est ça ? Surtout, n’oublie pas de laisser ta porte aux trois quarts ouverte, que je puisse surveiller si tu n’essayes pas de te pendre !
Lisa quitta la salle à manger d’un pas furieux, s’efforçant d’ignorer les railleries de sa mère. Celle-ci regretterait sans doute ses paroles, le jour où elle réaliserait que sa fille ne jouait pas la comédie.
Comment Lisa avait-elle pu être aussi naïve pour croire en ses chances de sortir avec M. Bates ? Comment avait-elle pu penser un seul instant que tout était possible ? Ce n’était pourtant pas entièrement de sa faute si elle s’était fait autant d’illusions... M. Bates avait lui aussi sa part de responsabilité dans son aveuglement. Pourquoi diable l’avait-il invitée chez lui deux fois de suite ? Pourquoi l’avait-il fait monter dans sa voiture pour la raccompagner chez elle l’été dernier ? Des questions dont elle s’était servie de façon rhétorique pour prouver à sa mère la sympathie de M. Bates à son égard, mais dont elle doutait maintenant de la réponse… Pourquoi avait-il agi ainsi, si elle le laissait en réalité totalement indifférent ? Pourquoi lui avait-il donné de faux espoirs ? S’était-il joué d’elle ? L’avait-il menée en bateau depuis le début ?
Consciente que son amour avait fini par la rendre parano, Lisa enfouit sa tête dans son oreiller pour étouffer ses sanglots. Et dire que M. Bates était loin d’imaginer dans quel état elle se trouvait en ce moment… Comment un homme au cœur aussi bon pouvait-il pousser une jeune fille au suicide ? C’était précisément la question que Lisa s’était posée après la mort d’Ashley Westbrook, en se demandant un bref instant si son prof de maths se sentait coupable de lui avoir mis autant de mauvaises notes. Aujourd’hui, cette question trouvait enfin sa réponse : M. Bates avait beau être d’une gentillesse infinie, il ne se rendait pas compte des souffrances qu’il infligeait à Lisa… Sa douleur était si grande qu’elle envisageait désormais la mort comme une délivrance. Tout serait tellement plus facile si elle pouvait disparaître rien qu’en claquant des doigts...
Choisirait-elle de laisser une note pour expliquer son suicide ? S’inspirerait-elle d’Ashley pour détailler les raisons de son geste ? L’idée d’enregistrer un message explicatif ne l’attirait pas particulièrement, mais celle d’écrire une lettre d’adieu lui plaisait beaucoup plus. A la différence d’Ashley, cependant, elle n’aurait pas dix raisons à fournir pour justifier son passage à l’acte. Une seule suffirait : son amour impossible pour M. Bates. Il n’y avait que lui qu’elle pouvait accuser de l’avoir rendue si malheureuse. Lui qui en ce moment même était certainement en train de profiter de ses vacances et de prendre du bon temps... Il fallait qu’il connaisse le chagrin dans lequel il avait plongé Lisa. Elle devait lui écrire pour qu’il sache à quel point il avait bouleversé sa vie.
Une fois de plus, Lisa se mit à écrire à M. Bates pour lui confier ses tourments. Ce qui à l’origine ne devait être qu’une lettre d’adieu se transforma peu à peu en roman. Elle avait tellement de choses à lui dire qu’elle ne savait par où commencer, et elle choisit finalement le romanesque à l’épistolaire pour décrire dans les moindres détails la façon dont elle était tombée amoureuse de lui. Même si cela l’obligeait à parler d’elle à la troisième personne, elle voyait dans ce récit le meilleur moyen de capter l’attention de son prof et de lui faire lire son histoire jusqu’au bout.
C’était aussi une manière pour elle de prendre du recul sur ses deux dernières années au lycée. Plus elle écrivait, plus elle se disait que les choses ne pouvaient pas en rester là. Pas sur un lamentable constat d’échec. Depuis le début, elle avait vu dans sa rencontre avec M. Bates un signe de la Providence. Elle avait toujours eu l’intime conviction que cet homme était fait pour elle. Pourquoi renoncer à lui alors qu’il n’avait même pas clairement repoussé ses avances ? Pourquoi abandonner la partie alors qu’elle n’en connaissait pas vraiment l’issue ? Elle ne devait pas baisser les bras. Elle devait donner à la vie une seconde chance. Tout comme l’avait fait Ashley Westbrook en allant demander de l’aide à M. Carver quelques heures avant sa mort. Lisa, elle, irait chercher de l’aide auprès de M. Bates. Même s’il était la raison précise de son désespoir… Même si elle devait forcer le destin pour le revoir.
Ding dong !
Lisa n’arrivait pas à croire qu’elle se tenait à nouveau là, sur le seuil de la porte d’entrée de M. Bates, dans l’espoir qu’il vienne lui ouvrir. La dernière fois qu’elle avait monté les marches de son perron remontait à moins d’un mois, mais cela lui semblait faire une éternité. Le temps qu’elle avait passé à attendre de ses nouvelles lui avait paru si long... Aujourd’hui, elle avait décidé de mettre fin à ce suspense insoutenable. Si M. Bates ne voulait pas lui apporter sa réponse, alors elle irait la chercher elle-même. Quitte à se montrer insistante.
Ding dong !
Pourquoi mettait-il autant de temps à rappliquer ? Elle était quasiment sûre qu’il se trouvait chez lui. Ses volets étaient ouverts et sa Mini Cooper était garée dans la rue à côté de sa boîte aux lettres. Il était près de deux heures de l’après-midi et il devait avoir fini de déjeuner depuis longtemps… L’avait-il vue s’approcher de sa maison et avait-il décidé de faire le mort ? Qu’à cela ne tienne ! Lisa était prête à l’attendre jusqu’au soir, s’il le fallait. Elle était même prête à passer la nuit sur le seuil de sa porte. Du moment qu’elle arrivait à l’heure au lycée pour la cérémonie de remise des diplômes du lendemain matin…
Ce fut à cet instant précis qu’elle entendit la porte d’entrée s’ouvrir et qu’elle vit M. Bates apparaître dans l’encadrement. L’expression de contrariété qu’elle lut sur son visage lui indiqua tout de suite qu’elle était allée trop loin.
- Lisa ? Qu’est-ce que tu veux, encore ? demanda sèchement l’enseignant en fronçant les sourcils.
Cet accueil glacial fit perdre à Lisa tous ses moyens. Elle qui avait pensé pouvoir discuter au calme du choix de M. Bates de continuer à la voir ou non après le lycée... Elle comprit que les choses ne se passeraient pas aussi sereinement qu’elle l’avait espéré. A en juger par la dureté de son regard, l’enseignant ne lui ferait même pas franchir le seuil de sa porte.
- Vous… Vous avez reçu ma lettre ? bégaya la jeune fille.
- Oui, je l’ai reçue. Et alors ? répliqua M. Bates avec impatience.
- Vous l’avez lue ?
- A l’évidence.
- Pourquoi est-ce que vous ne m’avez toujours pas répondu, dans ce cas ? s’exclama Lisa avec une pointe de colère dans la voix.
La froideur de M. Bates faisait ressurgir toute la rancœur qu’elle avait accumulée depuis ces trois dernières semaines passées à attendre sa réponse. S’il était clair que l’enseignant était furieux de la voir débarquer chez lui à l’improviste pour la énième fois, Lisa aussi estimait qu’elle avait le droit de montrer des signes d’agacement : ne l’avait-il pas poussée à bout, à force de la faire poireauter ?
- Ecoute, je ne sais pas comment te l’expliquer autrement, mais quand quelqu’un ne donne pas de réponse, c’est tout simplement parce qu’il ne veut pas répondre. Ce n’est pas compliqué à comprendre !
Soufflée par la brutalité de ces mots, Lisa entrouvrit la bouche d’effarement. C’était donc ça ? Depuis le début, M. Bates lui faisait croire qu’il réfléchissait à sa proposition, alors qu’en vérité il n’avait jamais eu l’intention de lui répondre ?
- C’est pour cette raison que vous avez cherché à m’éviter au lycée ? lança la jeune fille. C’est pour cette raison que vous ne veniez plus à la bibliothèque ni au café Gourmet’s aux heures auxquelles j’avais l’habitude de vous y trouver ?
- Ne me dis pas que tu faisais exprès d’y aller pour me voir ! s’offusqua M. Bates. C’est du harcèlement !
D’abord choquée par ce qu’elle venait d’entendre, Lisa se rendit bientôt compte que l’accusation de son prof n’était pas sans fondement. Combien de fois avait-elle cherché à croiser son chemin au lycée ? Combien de fois était-elle venue tourner autour de sa maison ? Assez pour que M. Bates songe légitimement à aller porter plainte contre elle.
- Vous m’aviez pourtant dit que vous alliez considérer ma proposition…, reprit Lisa d’une voix penaude. Est-ce qu’au moins vous seriez d’accord pour venir avec moi au Green Jazz Festival ?
- Mais il n’a jamais été question qu’on y aille ensemble ! se récria l’enseignant. Comment est-ce que tu as pu croire une chose pareille ? C’est du délire !
Lisa resta bouche bée. A court de mots, elle fixa son prof d’un air sidéré. Malgré son polo bleu marine et son pantalon bordeaux impeccables, il ne lui paraissait plus aussi beau qu’avant… Sans doute était-ce l’effet de la colère qui altérait ses traits et qui lui faisait ainsi perdre de son charme… Jamais elle ne l’avait vu aussi fâché. Pas même en classe lors de la correction d’un devoir particulièrement raté. Il l’intimidait tellement qu’elle sentait ses mains et ses jambes trembler…
- Rentre chez toi, Lisa. C’est tout ce que je peux te conseiller. Rentre chez toi..., fit M. Bates d’un air las.
- Pas tant que vous ne m’aurez pas dit clairement si oui ou non vous acceptez qu’on sorte ensemble au moins une fois en tant qu’amis ! s’obstina la jeune fille. Je veux savoir une bonne fois pour toutes si je peux avoir des raisons d’espérer !
- Non ! s’emporta M. Bates. C’est clair, maintenant ? Il n’y a pas d’espoir ! C’est impossible !
Abasourdie, Lisa ne voulut pourtant pas en démordre.
- Pourquoi ? s’écria-t-elle avec rage. Parce que je suis trop jeune pour vous ? J’ai déjà vu plein de couples s’afficher en public malgré leur différence d’âges et ça n’a rien de choquant !
- Peut-être, mais la plupart du temps il ne s’agit que d’une toute petite différence d’âges ! Dans ton cas, l’écart est considérable !
- Vingt-deux ans, vous trouvez ça considérable ? Je suis sûre qu’il existe des couples avec encore plus d’années d’écart ! Regardez Michael Douglas et Catherine Zeta-Jones !
- C’est vrai, c’est vrai, mais ça reste des exceptions ! la raisonna M. Bates. Il faut que tu cherches un garçon de ton âge. Ce n’est pas ça qui manque, à l’université ! Tu es mignonne, tu finiras bien par trouver quelqu’un qui te plaît !
- C’est vous qui me plaisez, répondit Lisa, insensible au compliment que venait de lui faire son prof.
- Lisa, Lisa…, soupira M. Bates, excédé. Il faut que tu arrêtes avec ça… Sérieusement, ça devient ridicule !
- Je vous aime ! Vous pouvez le comprendre, non ? J’imagine que vous avez déjà été amoureux !
- Oui, mais je n’ai jamais été aussi chiant !
Ces mots firent à Lisa l’effet d’une gifle en pleine figure. Jamais elle ne se serait attendue à les entendre sortir de la bouche de son prof. Cela prouvait sans doute à quel point elle avait réussi à l’énerver.
- Crois-moi, Lisa, il faut que tu passes à autre chose..., reprit M. Bates, rappelant à la jeune fille le dernier conseil que M. Carver avait donné à Ashley avant qu’elle ne mette fin à ses jours – c’était dire à quel point ce conseil lui avait été utile. Fais-toi une raison !
Lisa baissa la tête pour ravaler les larmes qui lui montaient aux yeux et songea avec amertume :
« C’était vous ma raison… »
En perdant M. Bates, elle perdait non seulement la raison : elle perdait tout.
- Je suppose que c’est la dernière fois qu’on se voit…, soupira-t-elle d’un air résigné. J’aurais voulu vous dire adieu autrement, mais c’est trop tard, maintenant... Le mal est fait... Vous allez garder un mauvais souvenir de moi…
- Pas si tu finis par me laisser tranquille une bonne fois pour toutes, déclara M. Bates. Si par contre tu continues à venir me déranger, alors oui, c’est sûr que tu ne me laisseras pas une très bonne impression…
- Non, je vous jure que vous n’entendrez plus jamais parler de moi, certifia Lisa d’une voix solennelle. C’est vraiment la dernière fois que vous me voyez. C’est pour ça que je tiens à vous faire mes adieux proprement… Adieu et bonne continuation. Je vous souhaite sincèrement de trouver le bonheur…
- A toi aussi, Lisa, tu le mérites…
La jeune fille laissa échapper un sourire de scepticisme. Après tous les ennuis qu’elle avait causés à M. Bates, elle ne se sentait absolument pas digne d’être heureuse. Elle savait de toute façon qu’elle ne le serait jamais sans lui.
- Adieu, répéta-t-elle, avant de tourner le dos à l’homme qu’elle aimait et de quitter son jardin.
La mort dans l’âme, elle rentra chez elle avec la certitude que tout était fini.
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