Ma maison de mots se cache comme ces clairières secrètes où poussent les fraises des bois : je suis la seule à en connaître le chemin. J’en récite les pièges et les raccourcis, les tanières et les cabanes, les codes et les secrets, les aveux et les révoltes en cachette. Elle se bâtit dans un coin de mon cerveau, à force de langage. Les mots remuent dans mon cœur et pulsent dans mes veines en formant une bouillie brillante et douce qui frémit. Ils affluent. Leur lueur s’échappe parfois au-dehors et je me promène alors avec mon bouclier magique pour fendre le gris. Comme l’escargot, j’emporte ma maison avec moi. C’est un parapluie lourd mais invisible, que personne ne sait voir. Je ne l’oublie jamais, si bien que le chemin qui y mène louvoie de pays en pays, de porte en porte, de tristesse en émerveillement.

  Parfois, j’oublie la voie. Ce n’est pas toujours facile de se rappeler, à force d’habitude, le poids de l’outil dans sa main, de se souvenir du pouvoir qu’on tient au creux du ventre, d’y retourner. J’oublie parce que je cours dans le brouillard ou parce que les arbres me tendent mon reflet terrifié au lieu de murmurer la direction. Ces jours de désolation, je me recroqueville à l’intérieur et j’écoute les remous, en espérant y entendre un appel. Je cherche le chemin. Je rêve de lampadaire au milieu de la forêt, de phare sur la mer et de messagers ailés pour me guider jusqu’à la maison. Je rêve de me recroqueviller entre deux racines, sur un lit de feuilles mortes. Toujours, quand je n’y crois plus, j’entends quelque chose. Ça résonne. Elle est là ; et je ne suis plus égarée.

  S’il m’arrive de me perdre, elle, je l’ai toujours retrouvée. Ma petite maison de mots. Au bout du long chemin, je sais que je l’apercevrai, que j’ouvrirai, et qu’elle m’enveloppera. Pas de doute, c’est par ici chez moi.