Dis moi, quel est mon prénom ?
" Sur le coup, je n'ai pas su quoi lui répondre. Je ne la connaissais absolument pas. Je lui ai proposé de la raccompagner jusqu'au centre ville. Elle devait à peine avoir cinq ans, je ne pouvais la laisser ainsi au bord de la route.
Je me suis retournée juste un instant, croyant entendre une voiture arriver, quelques secondes et la petite fille n'était plus là.
Surprise, je me suis avancée vers le bois mais aucune trace d'elle et cette étrange requête...
Préférant oublier, je me suis retrouvée devant la maison de mon enfance. Je ne me rappelais plus qu'elle paraissait aussi vieille et délabrée. Un brin de remord me saisit, que je reléguais au plus profond de mon esprit. La vie en avait décidé ainsi, je n'y pouvais rien. Mais était-ce bien vrai ?
La deuxième fois que je revis la petite fille, c'était près du parc où j'aimais tant aller jouer enfant avec Tommy... Ce prénom, non, je devais l'oublier, ne pas y penser ou mon cœur allait de nouveau recommencer à battre et il ne fallait pas, non, il ne fallait pas.
J'avais enfermé mon cœur dans une petite boite d'où il ne devait pas sortir.
Une petite brise s'était levée, faisant valser la balançoire. C'est alors que je la vis à nouveau, toujours aussi jolie, toujours dans sa petite robe bleue pâle.
Elle me regarda droit dans les yeux et me redemanda :
"Quel est mon prénom ?"
Puis elle disparut, aussi vite et mystérieusement qu'elle était apparue. Cela faisait beaucoup, je pris peur et décidai d'expédier vite toutes les affaires pour partir d'ici.
La troisième fois fut la dernière mais ma vie en fut à jamais changée.
J'étais en train de finir de vider la cave. Je trouva un coffre que j'ouvris précieusement, le cœur battant à tout rompre pour une raison que j'ignorais. Une boîte s'en échappa, une petite boîte à musique, celle que j'avais acheté pour...
Je la lâcha, stupéfaite que ma grand-mère l'ait gardé pendant toutes ces années sans me le dire. Je croyais même l'avoir détruite dans un des mes accès de rage et de colère. La musique alors se mit à jouer, la ballerine danser.
Et elle vint à moi. Elle toucha mon visage et me montra du doigt une photo au fond du coffre. C'était une photo de moi enfant d'après la note écrite par ma grand-mère. C'était la petite fille.
Quelque chose se brisa en moi, ouvrant les portes de ma mémoire, ouvrant les portes de mon cœur brisé.
"Maman, quel est mon prénom ? "
Alors, je compris.
J'avais perdu il y a cinq ans ma petite fille, à six mois de grossesse. Je n'avais pas eu le courage de la voir, pas eu le courage de l'habiller pour l'enterrer et surtout...
Je n'avais pas eu le courage de lui trouver un nom.
J'avais quitté mon mari qui pourtant m'aimait profondément et avait tout tenté pour me sauver, ma grand-mère bien-aimée, mes amies. Je m'étais enfouie loin de ce drame pour oublier.
Je fis face à cette enfant que j'aurai tant voulu avoir et répondit à sa demande.
"Tu t'appelles Emily Jane."
La petite fille alors lui sourit, enfin apaisée et heureuse et se volatilisa comme elle était venue, en silence."
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C'est alors que je me suis réveillée, les larmes aux yeux et mon cœur à nouveau en état de marche. L'orage était terminé et avait fait place à un merveilleux clair de lune.
Le lendemain, je crus avoir rêvé, pensant que ma venue tant chargée de souvenirs m'avait perturbée.
Pourtant, j'eus une visite inattendue. Mon mari, dont je n'avais jamais divorcé, mon meilleur ami d'enfance, mon âme sœur, Tommy, était devant ma porte avec un magnifique bouquet de roses rouges.
Pour la première fois en cinq ans, je l'ai laissé entrer dans la maison et à nouveau dans mon cœur. Comment avais-je pu le laisser ? L'abandonner ? Lui qui m'aimait tant...
Nous avons beaucoup parlé ce jour là et les jours suivants, et les mois...
Nous avons pris une grande décision, outre le fait d'essayer d'oublier et de recommencer.
Nous sommes allés sur la tombe de notre fille et lui avons rendu son prénom. Il m'a semblé alors l'apercevoir au loin, tenant la main de ma grand-mère, un grand sourire aux lèvres. Puis elles disparurent, m'adressant un dernier geste de la main.
Je ne suis plus jamais repartie. Nous avons eu d'autres enfants mais jamais nous ne pourrons oublier notre première petite fille, notre Emily Jane.
Avais-je vraiment rêvé cette fameuse nuit ?
Et si tout était vrai ?
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