Prélude - 1.2
Le second maître du navire devançait le capitaine. Il se saisit de l’une des tiges blanches qui agrémentaient son torse. Ainsi muni de l’un de ces longs sifflets de marine taillés dans un os de Tärätosc, il annonça d’un son perçant la prise de parole du maître du navire.
— Capitaine sur le pont !
L’homme qui se présenta aux marins était grand, habillé avec une longue tenue de militaire délavé aux touches dorées pour le moins ternes. Ses traits se trouvaient tirés, mais quelque chose de noble émanait de son visage malgré les favorits anarchiques sur ses joues.
— Messieurs, le banc de Tärätosc est en vue !
Les matelots crièrent en levant le poing, jusqu’au signe de main du capitaine.
— Le loup des nues va sonner la chasse à la tête de la meute d'intercepteurs. Préparez-vous à la plongée !
La vague de joie reprit de manière audible au son des pieds ou des poings frappant les planches et rambardes du pont. Sous ces nombreux signes de joie, le capitaine se mit à descendre les escaliers menant à ses hommes. Ils n’eurent pas le temps d'exprimer plus leur plaisir que le second de l'Aurora criait déjà ses ordres dans le sillage de son maître :
— En avant les gars, hardis. Les Tärätosc ne vont pas se jeter pas dans nos filets d'eux-même. Tous à vos postes. Parés à la plongée ! Monsieur Barbier alimentez les ballons, Monsieur Domont surveillez la pression des cheminées et Monsieur Drouin préparez-vous à barrer sud-sud-est dès le largage des intercepteurs.
Chacun des sous-officiers en question saluait le bras droit du capitaine avant de courir se mettre à l'œuvre. Des mousses portant de petits barils traversaient également les rangs de marins. Toutes sortes d’armes et de munitions en sortaient. Les membres de l’Aurora s’équipaient de pistolets, de mousquetons de marine ainsi que de sabres. Quand Ilias posa la main sur la crosse d’un revolver, un de ses camarades qui passait se fendit d’un :
— Tu n'auras pas besoin de ça…
Acquiesçant, l’impérial se saisit alors d’un sabre, l’ancien qui passait à son tour pour s'équiper lui glissa en souriant un :
— Tu auras définitivement besoin de ça.
Ilias attacha avec fierté le fourreau et l’arme à son ceinturon.
L’Aurora n’était pas le seul navire à être pris d’une folle activité dans la soute du gros-porteur. Les cloches et les sifflets résonnaient dans chacun des intercepteurs aux alentours. Les voix s’élevaient à l'approche de la chasse en une cacophonie bien audible malgré la tempête. Chaque navire et chaque équipage ne voulaient pas être en retard.
Une fois équipés, Ilias et ses camarades du second scorpion prêtèrent main-forte aux hommes qui finissaient de fixer les différentes caisses au centre du pont.
Les migrations précoces avaient poussé le capitaine de l’Aurora à enrôler la moindre âme du port de Moraduhn pour remplir son navire et mener la traque. Être marin dans un intercepteur avait toujours façonné l’imaginaire d’Ilias, depuis ses premières chasses et jamais il n’avait cessé d'être impressionné. Ces petits navires lancés contre les mastodontes des cieux. Un spectacle exceptionnel. Mais le plus spectaculaire était à venir. Une excitation mêlée d’une peur le prenait, c’était l’heure de la plongée…
Il vivait pleinement cet instant comme la première fois.
Ce fut d’abord le bâtiment dans lequel les intercepteurs reposaient qui fit du bruit. D'énormes rouages se mirent en branle, un moment de battement prenait le navire. Tous dans l’Aurora semblaient retenir leur souffle, la soute du gros-porteur dans lequel le navire d’Ilias reposait se mit à s'ouvrir. Les entrailles d’acier de ce béhémoth du ciel se fendaient en laissant la froide et sombre lumière de la tempête extérieure éclairer sa large soute.
Ilias, sans s’en rendre compte au début, avait le souffle coupé en observant les larges nuages qui apparaissait sous lui.
Le gros-porteur largua ses intercepteurs. Le titanesque navire vomissait ses bâtiments de chasse qui chutait un à un dans les airs de Céresse. Ilias observait les masses d’acier vrombir non loin de lui avant de disparaître dans les nimbus du ciel. Les chaînes qui retenaient encore l’Aurora se désolidarisèrent. Ilias sentait le pont bouger, c’était leur tour. Le second maître hurlait à nouveau ses ordres :
— ACCROCHEZ VOS HARNAIS SI VOUS TENEZ À LA VIE !
Son cœur s'arrêta, Ilias trop impressionner par le moment avait oublié l'essentiel. Sa propre sécurité…
Les mains d’Ilias tâtonnèrent son ceinturon de manière pressé. Il se pressait à mesure que sa respiration se saccadait, que les battements de son cœur se faisaient de manière anarchique. De ses gants, il sentit enfin la forme d’acier de son mousqueton et l'attacha aussi rapidement que possible à la rambarde du scorpion. Juste au bon moment. Les dernières chaînes retenant le navire se désengagèrent.
— C'EST PARTI ! s'exclamèrent certains de ses camarades.
D’autres criaient de joie ou de peur.
L’Aurora chutait à son tour dans les cieux de Céresse.
Ilias fut alors soulevé dans les airs, sa respiration coupée. Face à ses yeux défila l’intérieur du navire, les sas ventraux du gros-porteur, puis le ciel.
Tous se tenaient au moindre objet pouvant les aider à rester debout. Il y avait comme une force invisible mais pourtant implacable qui tentait de l'arracher au pont. Ilias luttait de toutes ses forces.
La vue de l’impérial était agressée par le brusque passage des tréfonds du navire principal à la tempête qui régnait à l'extérieur.
Ses pieds sentaient le navire freiner sa chute.
Les moteurs rugissants résonnaient dans le bâtiment. La mécanique luttait pour maintenir en l’air le navire. Les ballons intérieurs se gonflaient et les cheminées crachaient leurs volutes de fumée noire. L’Aurora se stabilisait en un grondement mécanique perdu dans la tempête des cieux.
Les nuages, le vent, la pluie agressaient les navires et leurs équipages. Le Maelström qui régnait au-dessus de Céresse se trouvait être des plus impressionnants. Ilias dut même protéger ses yeux qui se fermaient de sa main. Le vent rugissait et sifflait. C’était un véritable bruit infernal et agressif. La pluie, elle, s’abattait en un torrent de fine lame glaciale qui harcelait le visage de l’impérial. Ilias serrait les dents. Tout comme ses camarades, il dut se presser de mettre ses grosses lunettes de protection qui avaient jusque-là reposé autour de son cou.
Les visages des hommes du poste numéro deux composaient une myriade de grimaces. Ils se blottissaient tous dans leurs épais manteaux. Les lunettes dissimulaient les yeux de chacun, mais la bouche, les joues, ne cessaient de bouger pour singer la gêne de chacun. La fourrure des vestes de cuir volait autour des têtes sans s'arrêter.
Ilias, adossé contre la rambarde du bâtiment, observait les nuages d’un air ahuri. Les formes grises ou noires qui l'entouraient de toute part le dominaient de leurs impressionnantes grandeurs. Pour le commun des mortels, la tempête qui régnait aurait forcé le moindre marin à s'amarrer au port le plus proche et à prier pour une éclaircie. Les chasseurs de Tärätosc étaient faits d’un tout autre bois. Leurs proies les y forçaient bien, il fallait dire.
Les cétacés de Céresse étaient le gibier le plus dangereux existant, ne se déplacent qu’en banc. Une folie de les chasser. Seules les conditions dantesques d’un maelström permettaient aux chasseurs de s'approcher des bêtes pour briser leur formation et acculer les plus jeunes.
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