Prélude - 1.5
Les éclairs ne se calmèrent pas après ce premier événement regrettable. En observant le navire chuter, Ilias vit que les éclairs venaient non pas des nuages, mais bien du sol. L’un d’eux courait d’ailleurs droit vers lui. Les arcs frappèrent de plein fouet l’Aurora qui chavira à son tour dans d’audibles grincements mécaniques. Ilias, comme les autres membres de l'équipage, manqua de tomber sur le pont. Certains moins chanceux s’aplatirent de plein fouet contre les planches du sol. Des cris résonnaient. Il y avait un mélange de peur et d’ordre qui se mélangeaient en une cacophonie indescriptible dans le navire.
Pour ajouter toujours plus de chaos à la situation, Le gros-porteur fit sonner ses cornes de brume qui supplanta le moindre son aux alentours. En un instant, chaque navire brisa la formation. L’Aurora malgré son flanc abîmé n’avait pas perdu son agilité et le navire laissa son ancienne position en un instant. Un énième éclair venait de frapper juste à cet endroit sans trouver sa cible.
Ilias s’accrochait au moindre soutien qu’il pouvait trouver. Les marins autour du scorpion faisaient de même. Les navigateurs ne ménageaient ni le navire ni les hommes, ils étaient attaqués après tout. Il n’y avait pas de doute possible. Les prospecteurs n’étaient pas tous soldats et cela se voyait. Certains sur l’Aurora restaient calmes tandis que d’autres se voyaient transis de peur ou criaient à s’en déchirer les cordes vocales.
L’incompréhension tenaillait les marins, novices comme expérimentés.
Deux éclairs déchirèrent, cette fois, le ciel et les nuages. Le premier passa non loin dans l’air proche d’Ilias en chauffant la coque et la peau du marin. Le second, lui, frappa cette fois de plein fouet la partie bâbord arrière du bâtiment. Une traînée de flammes venait de naître et dévorait de l'intérieur le navire, bois comme acier.
— RESTEZ À COUVERT ! criait le quartier-maître aux membres du poste numéro deux.
Chacun autour du scorpion se recroquevillait tels des enfants un jour de tempête. L’une des petites grues à l'arrière du navire, juste à côté de la nouvelle plaie béante, céda. L’acier se contorsionna et la grue qui chutait dans les airs entraîna tous ses câbles qui claquèrent tels des fouets. Des marins trop proches furent soulevés par les cordes de chanvres comme s'ils n’étaient que des poupées de chiffons.
— BORDEL ! criait le marin à la droite d’Ilias. MAIS QU’EST-CE QUI SE PASSE !?
De manière naturelle, le corps de l’impérial avait réagi à la catastrophe qui l’entourait. Adossé contre la paroi du navire, il gardait un bras vers sa tête face à chaque nuage de feu qui prenait sur le navire. Les parties intérieures de l’Aurora étaient touchées. Il se mourrait de l’intérieur.
Comme le précédent intercepteur qui avait chaviré, l’Aurora se mit à plonger.
Des sifflements résonnaient depuis les entrailles du navire. Les moteurs et les ballons d’air mis à mal ne tenaient plus qu'à un fil. Les éclairs reprenaient, ils zébraient le ciel autour des navires qui tentaient de fuir cet endroit de mort. La corne de brume du gros-porteur résonnait avec force.
Ilias avait les yeux fermés, la chute était de plus en plus forte. L’Aurora tombait comme une pierre. D’un coup, le navire quitta les nuages du ciel et ce n’était pas le sol que vit Ilias. Entre deux clignements de ses yeux, il apercevait un nuage maladif vert. L’Aurora s'y dirigeait inexorablement à une allure effrayante.
La morte-terre ?
Le quartier-maître criait en empoignant le scorpion pour lutter contre la gravité qui ne demandait qu'à l'arracher au navire :
— ACCROCHEZ-VOUS À TOUT CE QUE VOUS TROUVEZ, ON VA SE S'ÉCRASER !
La peur envahit Ilias. La pression de la chute écrasait son corps, il se remit à fermer les yeux pour échapper à la réalité qui survint bien vite. Le nuage vert qui avait succédé aux nuages était épais. L'impérial qui y entrait se trouvait en apnée jusqu'à ce que l’Aurora rencontre, avec la plus grande des duretés, le sol de Céresse.
Le choc fit trembler chaque parcelle du corps d’Ilias, un acouphène tordit sa tête couplée à une vive douleur lancinante. Étalé de tout son long, l'impérial tenta de quitter le scorpion à tâtons comme un homme aveugle. Sa vision était trouble, mais il désirait quitter au plus vite le navire écrasé. Son instinct de survie prenait entière possession de lui à mesure que les douleurs qui torturaient son corps se faisaient de plus en plus présentes.
Où étaient-ils tombés !? La morte-terre ? Impossible…
Le gaz omniprésent était de couleur verte. Ilias tentait de retenir sa respiration, mais ses poumons douloureux le tenaillaient tout comme le reste de son corps. Chaque bouffée était comme un coup de poignard en son intérieur. Mais il devait continuer.
Ceux qui étaient encore conscients essayaient également de quitter le navire qui implosait de toute part. D'impressionnants nuages de feu naissaient sur le navire, la tranchée laissée par l’Aurora dans le sol était agrémentée de parties d’acier et de foyer de feu. Le gaz semblait attiser toujours plus les flammes.
Ilias, qui avait réussi à trouver son chemin hors du bâtiment écrasé, fut mis face à une dure réalité. Le nuage recouvrait tout ce qu’il pouvait observer. Ses forces le quittaient.
Des cris, puis des tirs furent alors audibles. Certains projectiles ricochaient sur la carcasse de l’Aurora.
L’incompréhension était totale. Ilias tentait d’observer la moindre chose.
Au-dessus d’eux, les “éclairs” s’envolaient encore dans le ciel.
Que se passait-il !?
Ilias était perdu, le navire s’était bien écrasé dans la morte terre, mais celle-ci semblait occupée. Il n’y avait pourtant pas de vie possible ici. Seulement la mort. Ilias observait pourtant des formes se rapprocher. Une fusillade opposait les survivants armés encore conscients aux arrivants.
La plupart des membres d'équipage se tordaient de douleur à cause du gaz, d’autres criaient fauchés par les balles qui claquaient tout autour d’eux.
Les formes se rapprochaient toujours plus. Ilias le sentait, la mort venait se saisir de lui. Il était écrasé au sol par la douleur. La morte terre portait bien son nom, elle commençait à prendre lentement la vie de l'impérial. Les formes humaines commencèrent bien vite à parcourir les rangs des prospecteurs mourants.
Ceux que le nuage toxique ne mettait pas plus bas que terre étaient abattus. Exécuté d’une balle dans la tête.
Ilias observait malgré la douleur les arrivants. Certains portaient des masques tandis que d'autres encore semblaient acclimater à l’air caustique. Leurs visages scarifiés ne semblaient même plus vraiment humains. Outre les fusils, des lances inhabituelles étaient utilisées par certains. Leur pointe était substituée par des embouts ronds ou des arcs électriques dansaient. Les lances étaient reliées à d'étranges objets lourds accrochés aux dos via différents câbles, de grosses bobines y prenaient place et se voyaient illuminées de ces arcs de couleur bleue.
La conscience d’Ilias vacillait, mais il entendait des voix.
— Un sacré gâchis, ils devraient savoir que la frontière leur est fatale. Personne ne rentre ou ne sort…
— Ils n’ont pas dû voir qu’ils s'enfonçaient dans la morte terre, les fous.
— Les colonies que l’on a dû absorber leur ont peut-être fait plus de mal que prévu.
— Non, je ne pense pas. La cité nation n’a que faire de la mort de quelques rats aux confins de son territoire. Quoi qu’il en soit, pas de survivants. Débarrassons-nous d’eux, on ne peut risquer d’avoir le moindre survivant. Ordre du Phénicien.
À ces derniers mots, les armes des étrangers tonnèrent à nouveau pour finir la vie des marins sans défense.
La morte terre venait de prendre de nouvelles vies à l’Empire d’Aldius.
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