Neavia - 1.3

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Druïg fut le premier à enlever son masque, Neavia et les autres firent de même. Malgré la distance qu’ils avaient mise entre eux et les affres du passé, la mangrove semblait encore plongée dans un silence des plus éprouvant.

Heureusement, un coassement se fit entendre non loin des cinq chasseurs.

L’animal n’était alors que le précurseur des nombreux autres habitants du marais qui refirent lentement leur apparition et tout sembla rentrer dans l’ordre. Mais les corps, la peur ressentie était encore bien présente dans l’esprit de Neavia.

La chasseresse parcourait les ruines de l’Ancien Monde depuis toute jeune, elle avait vu les affres du temps et les maladies léguées par les armes du passé. Malgré cela, elle ne pouvait effacer de son esprit la peur face à une telle puissance, une telle aura de mort.

Les armes du passé continuaient de ronger Céresse comme un cancer incurable.

Le froid qui se posait à nouveau sur le visage découvert de Neavia lui fit l’effet d’une gifle glacée. Ses lèvres douloureuses se voyaient à présent gercées. Elle les mordillait d'instinct comme pour essayer de réduire sa douleur, en vain. Elle ne fit que le contraire.

Certains chasseurs commençaient à échanger des chuchotements à peine perceptibles. Le périple dans la mangrove devenait d’une longueur pénible. Une colère sourde prenait la chasseresse. Mais ce sentiment n’était rien encore, car à nouveau le marais leur réservait une épreuve.

Les cinq chasseurs pénétrèrent dans un amoncellement de végétaux épais et inextricable. Les lianes et racines noueuses semblaient vouloir les ralentir, les saisir pour ne plus les lâcher et la lutte contre l’obstacle de végétation fut importante. Mère nature voulait les protéger, les retenir. Leur avancée les mena jusqu’à l’orée de cette véritable muraille d’un vert sombre. Le couvert donnait sur une trouée dans le marais et l’endroit ne se voyait d’ailleurs pas inoccupé.

Un imposant dirigeable avait atterri dans cet espace dégagé. Les membres d’équipages de ce navire avaient commencé à décharger leur matériel. Des fûts avaient également été renversés, créant des braseros de fortune dans le sol avec le pétrole qui brûlait.

Les prospecteurs avaient choisi ce lieu pour coordonner leur recherche, mais leur nombre n’était pas si élevé. La plupart des combattants devaient sillonner le marais à la recherche des chasseurs du clan Ehnşceïd.

Ce fut Natho qui remarqua en premier un important groupe d’impériaux proche de la coque du navire. Neavia dut se concentrer et elle vit à son tour la cause de tout cet intérêt. Plusieurs membres du clan se voyaient roués de coups au sol. Les rires gutturaux et les invectives accompagnaient cette bastonnade.

Une rage prenait le cœur de Neavia, elle ne devait pas être la seule, car Druïg eut juste à hocher de la tête pour que la décision soit prise. Avec assurance les cinq chasseurs se dispersèrent en avançant. Natho, le plus doué au tir, grimpait à un arbre avec une agilité toute féline.

Aïyanna et le dénommé Kassïan se placèrent à l’orée de la végétation dans des postes de tir à la vision dégagée. Neavia, elle, avança alors avec Druïg pour se porter à la rencontre des quelques prospecteurs en patrouille.

Le « spectacle » qui occupait le dirigeable captait l’attention générale, les impériaux. Ils se voyaient comme des enfants entièrement pris par cette triste distraction, assouvissant leurs bas instincts. Mais certains prospecteurs restaient à leurs postes, quelques hommes en patrouille vaquaient à leur tâche avec plus ou moins de sérieux. Le regard fixé sur la pénombre qui encerclait leur lieu de civilisation, une oreille évidemment tendue pour suivre le déroulé des événements qu’ils manquaient.

Les deux ombres qu’étaient Neavia et Druïg progressaient dans le camp avec agilité. Ils restaient dans le couvert de la protectrice pénombre, en prenant soin d’éviter les grandes sources de lumière qui parsemaient ce camp de fortune. Les feux étaient impressionnants et cela jouait ironiquement en leur faveur. La vision des prospecteurs s’adaptait mal à l’obscurité du marais.

Les pas de Neavia montraient toute son agilité, elle progressait avec autant d’aisance sur la terre que sur les flaques d’eau présentes. Elle ne laissait aucun bruit trahir sa présence, ses chaussures évitaient les brindilles et arbustes sur son chemin.

Bien vite, les deux chasseurs atteignirent les premiers patrouilleurs. S’aidant des caisses, ils s’approchèrent de leurs cibles avec tout la célérité d’un prédateur.

Druïg agit en premier, du coin de l’œil, Neavia l’observa faire.

L’impérial qu’il ciblait progressait sur son chemin de patrouille en sifflotant. Ses bras se voyaient croisés, il tenait contre lui son fusil. En un instant, tout bascula, le prospecteur qui n’était pas assez alerte ne put se rendre compte de l’ombre qui vint porter la mort. Druïg saisit d’une main la bouche de l’homme pour l’empêcher de crier. De l’autre il lui trancha de manière nette le cou. La lame coupa sans difficulté la chair de l’homme. Il s’écroula à terre telle une masse inerte. Druïg l’accompagna tandis qu’un geyser de sang abreuva aussi bien le sol que le semblant d'uniforme de l’impérial.

Bien vite, Neavia dut elle aussi agir. Alors qu’elle progressait dans le camp, elle tomba également sur un prospecteur. Les flammes du brasier proche crépitaient, l’homme qui tournait le dos à la chasseresse rajoutait du bois fraîchement coupé pour alimenter le vorace feu.

Au fil des dernières semaines, Neavia avait bien changé. Elle n’était plus la jeune chasseresse qui devenait effrayée à la vision du moindre impériale. Elle avait vu le summum de leur cruauté, elle n’avait plus rien à découvrir ou craindre d’eux.

Sa respiration avait adopté un rythme calme à mesure qu’elle se rapprochait de sa cible. Elle devenait une tout autre personne, un prédateur concentré. Elle était en chasse et son corps réagissait en conséquence.

Il ne restait plus que quelques pas à Neavia avant d’être sur le prospecteur.

Elle n’avait plus son tcepeş, dérobé par les impériaux du port. Mais la lame qu’elle avait décrochée de son fusil valait bien son tranchant. Elle allait tester cet acier froid dans la chair de sa proie. Elle ne le voyait pas différemment. Ils n’étaient plus des hommes à ses yeux, le bruit de ses camarades rudoyés non loin n’allait pas lui faire dire le contraire.

Trois pas, puis deux et enfin…

Neavia se tenait derrière l’impérial. Le feu l’aveuglait presque, mais elle n’avait plus vraiment besoin de regarder. Elle avait une entière confiance en son corps. Se relevant juste derrière la cible, la chasseresse l’agrippa sans perdre de temps. La surprise permit à Neavia de planter sa lame dans le dos de l’homme sans problème. Son geste aussi rapide que soudain laissa l’impérial réagir par un hoquet aussi soudain que maladif. L’air quittait d’un seul coup le corps du malheureux et Neavia le fit basculer au sol avant de le larder de coups.

La froide lame rassasiée par le sang de ce corps chaud n’était qu’à ses débuts. Son baptême ne faisait que commencer. La chasseresse se voyait réduite à l'état de bête avide de sang et de carnage. Qu'aurait dit son père Dalbör...Qu'aurait-il pensé d'elle à cet instant précis.

Elle chassa ces idées d'un simple grincement de dents.

Accroupi au sol, Neavia essuya le sang qui avait perlé sur son visage de sa main en reniflant. Elle observa les alentours, personne ne l’avait vu. L’œuvre des deux chasseurs se poursuit à travers les brasiers et caisses de matériels. D’autres impériaux moururent sous les lames des chasseurs, jusqu’à ce que ceux-ci se soient assez rapprochés du navire.

Neavia rejoignit Druïg et depuis le couvert des caisses ou ils étaient, les deux observèrent les prospecteurs non loin de la coque du navire. La petite foule riait en encerclant plusieurs personnes au sol. Des impériaux aux commandes observaient les spectateurs, ils riaient en cherchant leur approbation à chaque coup qu’ils donnaient à leurs prisonniers.

C’en était trop pour Neavia, les événements du port avaient été une limite déjà dangereusement dépassée. Neavia entendit Druïg charger son arme. Elle fit de même. À deux leur couteau ne pouvait venir à bout de tant d’ennemis. Les fusils, eux, c'était une tout autre histoire. D’un geste rapide de la main, elle fit alors également coulisser le verrou de son arme et engagea une cartouche.

Les deux chasseurs se tenaient maintenant à genoux derrière la caisse.

Druïg leva la main gauche, puis la rabaissa en scellant le destin des impériaux faces à eux.

Les rires des prospecteurs cessèrent d’un coup lorsqu’un tir résonna dans la nuit. Tel un coup de tonnerre, le bruit avait brisé le triste jeu des prospecteurs. L’un des hommes qui molestaient les prisonniers s’écrasa au sol, raide mort, en s’enfonçant dans la boue.

Ses camarades l’air ahuri ne réagirent pas de suite, deux autres tirs eurent le temps de faucher d’autres prospecteurs et alors la masse d’impérial se brisa en une cohue inimaginable. Les fusils qui avaient reposé les uns contre les autres en faisceau, chutèrent au sol. Les prospecteurs, autant choqués qu’apeurés, tentaient de trouver la position des tireurs, les plus fous qui se tenaient immobiles et a découvert furent les prochains à connaître la mort sous les balles des chasseurs. Les autres se pressaient de rejoindre des caisses ou tonneaux pour se protéger. La mort s’abattait depuis toutes les directions, la peur avait changé de camp, les cris apeurés qui résonnaient aux oreilles de Neavia la laissèrent se délecter de l’ironie de la chose.

Bientôt les impériaux se mirent à cribler de balles au hasard la végétation. Leur attention était toute tournée vers le lointain et ils ne virent pas le danger qui résidait dans leur propre camp. Leur confiance en la sûreté des abords du navire vola en éclat lorsque Neavia et Druïg émergèrent de leur couvert.

Chacun épaula son fusil et plaqué contre la caisse, ils ouvrirent le feu sur les prospecteurs. Druïg fut le premier à emporter une vie. Neavia qui rechargeait énergiquement son arme en pestant dû attendre son second tir pour faire de même. L’impérial qu’elle ciblait fut atteint aux côtes et tomba au sol en criant de douleur. Neavia le vit gigoter pitoyablement, il criait de sa voix fluette et enfantine en appelant sa génitrice à l’aide. Neavia passa quant à elle à une autre cible.

Druïg ne fit pas seulement usage de son fusil, il dégoupilla un chapelet de grenade qu’il lança de toutes ses forces. L’impressionnante explosion qui survint alors enveloppa un groupe de prospecteurs dans un nuage de poussière et de bois. Ils criaient en se roulant dans tous les sens, le corps sanguinolent couvert d’échardes de toutes tailles.

Le chaos qui naquit de cette fusillade était total. Le camp de base autour du navire devenait un champ de bataille à part entière. De plus en plus de morts éclaircissaient les rangs des défenseurs, mais ils n’étaient pas seuls.

Sur le dirigeable plusieurs autres impériaux attirés par le bruit tonitruant des affrontements firent leurs apparitions. Ils vinrent ajouter leurs armes à la lutte inégale. L’un d’eux se saisit d’une des mitrailleuses qui garnissaient le pont du navire et se mit à arroser la position de Druïg et Neavia.

L’espace d’un instant, le temps s’arrêta autour de Neavia, son cœur cessa de battre jusqu’au début du déluge.

Les caisses autour de Neavia se vaporisaient sous le barrage de projectiles qui fendaient l’air tout autour d’elle. Plusieurs échardes vinrent se figer cette fois dans son épaule et son coup en lui imposant une sensation de brûlure. Elle partageait l’expérience des victimes impériales. Malgré tout, elle n’avait pas perdu un seul instant et se tenait maintenant au sol rouler en boule face à la tempête en priant pour sa survie.

Le plomb ne semblait pas cesser de pleuvoir, Neavia sentait la caisse contre son dos être coupée par les tirs qui cherchaient à cribler son propre corps. La jeune chasseresse serrait les dents et fermait les yeux, elle ne pouvait rien faire.

Ce fut l’un des tirs de ses camarades qui vint mettre fin à son calvaire. La mitrailleuse se tut d’un seul coup et bientôt le reste du champ de bataille fit de même. Neavia qui se remettait debout observa deux impériaux encore en vie qui jetaient au sol leurs fusils en criaient à qui voulaient l’entendre qu’ils se rendaient.

Druïg qui s’était rapproché en premier d’un pas énergique avait dégainé le pistolet accroché à sa ceinture depuis le port. Quand il se tint juste en face d’eux, il tendit son bras armé et les abattit de sang-froid. Le premier ne put réagir, mais le second eut juste le temps de se lever à moitié qu’une balle vint se ficher dans son crâne en repeignant le sol de rouge.

Neavia n’éprouva nul plaisir ou indignation face à ces exécutions sommaires. Pour dire vrai, elle ne sentait tout simplement rien. Elle passa à côté des deux corps lentement et se mit à rejoindre Druïg déjà aux côtés des prisonniers ou plutôt ce qu’il en restait.

Il ne restait que deux vivants au sol. Ils étaient en mauvais état, les visages tuméfiés et le regard empli d’un mélange insidieux de douleur et de haine.

Au loin Natho, Aïyanna et Kassïan se mettaient à rejoindre leur camarade en courant. Neavia reconnaissait certains des chasseurs qui gisaient au sol mort. Il y avait des amis d’enfance à elle, de courageuses et nobles personnes comme Laïthos ou Khyscène qu’elle n’avait plus revue depuis leur fuite. La chasseresse dut se faire violence pour ne pas laisser des larmes s’écouler sur son visage marqué par les épreuves.

Druïg s’agenouillait vers ses frères de chasse en tendant la main. D’un timbre de voix réconfortant, presque paternel, il s’adressa à eux :

— Un Ehnşceïd n’abandonne jamais l’un de ses membres, aller, venez.

Son action tout emplie de bonté fut toutefois coupée par un nouveau bruit qui résonna dans la nuit.

La sonorité aiguë d’un clairon retentissait dans les marais, trouvant bientôt un écho avec ses confrères qui s’éveillèrent en entourant les chasseurs.

— Vite, il faut partir ! s’écria Druïg en relevant de force les chasseurs, en oubliant presque leurs blessures.

Le groupe de survivants ne perdit pas un instant pour quitter le camp. La chasseresse se permit un dernier regard en arrière dans sa course avant de s’enfoncer à nouveau dans la mangrove.

Désolé…

Neavia se maudissait de ne pouvoir offrir de sépulture à ses frères et sœurs morts qui gisaient sur le glacial sol du marais. Leurs esprits allaient errer Céresse et cette idée la dévora de l’intérieur. Il n’y allait avoir nulle Keşic pour les aider à rejoindre leurs ancêtres. Mais, elle ne pouvait faire autrement, il fallait courir.

Il lui fallait fuir et vivre pour eux…

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