Malden - 2.2

10 minutes de lecture

La masse désordonnée du groupe de patrouille se mit à grimper le dénivelé qui le séparait de leurs défenses en un claquement de doigts. Les fuyards firent irruption dans les tranchées comme une horde de misérables. La surprise et le choc prirent les occupants du lieu qui les observèrent avec un savant mélange de curiosité et de peur. Ces sauvages surgis de nulle part n’avaient pas fière allure.

Les arrivants chutaient au sol, s’appuyèrent sur les rondins des tranchées en soufflant après leur débauche d'énergie. Certains toussaient, d’autres essayaient simplement de reprendre leur souffle. Les morts étaient jetés au sol.

Outre les regards médusés des nombreux fantassins présents, les réactions des quelques hussards à pied avaient de quoi étonner. De leurs nobles uniformes, ils observèrent les soldats dans un triste état après leur combat et fuite dans la forêt.

Malden entouré par les hommes de la patrouille entendait leur réaction. Il y avait qui remerciait Sol de les avoir protégés, d’autres qui priait Ashai de veiller sur les morts étendus là, sur le sol froid de Céresse.

À droite de Malden, l’un des impériaux tenaillés par des quintes de toux incontrôlées arrivait à exprimer ses pensées.

— Ces salopards… sont des sournois…

— Ils ont eu cinq de nos hommes les salauds, reprit un soldat qui s’approchait du capitaine Devràn.

Malden qui se redressait enfin, son point de côté disparu, vit Colm accourir avec divers autres membres de la compagnie. Deux lieutenants étaient avec lui et l’un d’eux osa formuler la question que chacun des défenseurs se posait.

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

— La patrouille… est entrée en contact avec les premières unités de l’union. Nous nous sommes jetées en plein dans une embuscade.

La nouvelle tomba comme une masse sur les occupants des tranchées. Leur longue attente prenait fin. La mort arrivait.

— Tenez, buvez.

Colm qui percevait la voix rauque de son supérieur avait saisi la gourde qui pendait à sa ceinture pour la tendre à Malden. Avec sa gorge sèche et douloureuse, le capitaine Devràn se rua dessus sans plus réfléchir. L’eau aussi fraîche que froide apaisait sa souffrance.

Les hussards présents continuaient de dévisager d’un air étonné les fantassins.

— Alors ils sont là, dit simplement leur responsable.

Malden acquissa à Coigné.

Le soldat aux épaulettes dorées donna sans attendre ses ordres à l'un de ses subalternes qui partirent dès lors en courant. Le reste de l’escadron qui patientait non loin des positions défensives se devait d'être alerté.

Le calme était revenu le long des lignes impériales, Malden avait le souffle apaisé, ainsi que ses idées plus claires.

— Lieutenant Coigné, demeurez avec moi au parapet central. Nos adversaires ne vont pas tarder à retrouver notre trace.

Le noble guerrier n’arriva pas à réprimer le sourire qui naissait sur son visage.

— Accueillons-les comme il se doit le temps que le reste de mes hommes couvrent notre retraite.

Sans exprimer ses ordres, les quelques autres sous-officiers de Malden commencèrent à hurler leurs commandements de leur propre chef. Une vague d'énergie prit les combattants.

Le capitaine Devràn les regardait à pied d'œuvre sur toute la colline. Chacun prenait place, la bousculade était générale. Plusieurs parapets ponctuaient la butte. Des rondins fixaient les positions en de sommaire tranchées, quelques trous de souris agrémentaient également l’endroit. Les têtes se levaient de ces protections en observant la ligne d’arbre.

Les armes étaient chargées, quelques sacs de terre jetée à la hâte pour parfaire les défenses. Bien vite chaque soldat de la compagnie avait rejoint son assignation, equipé et paré face à la tempête qui s'annonçait.

Malden quant à lui avait avancé contre le mur de sa position. Le hussard toujours à ses cotes donnait quelques invectives aux hommes du poste. Sur la colline, toutes les armes à feu étaient pointées en direction de la sombre forêt d'où avait surgi la patrouille.

— Vous pensez que ce sont des unités isolées ou l'avant-garde de leur formation ?

Malden, à vrai dire, ne savait pas trop. Après tout, il n’avait même pas vu le moindre adversaire dans le bois. Uniquement les tirs ou les flashs des fusils. Comment pouvait- il juger à quoi ils allaient se frotter ?

— Lieutenant Coigné, je prie pour que ce ne soit qu’un groupe esseulé. Nous ne pouvons contenir un assaut d’une de leur brigade.

Le hussard s’amusa du malaise du capitaine Devràn.

— Dans tous les cas, nous ne pourrons faire que notre devoir.

— Certes…

Coigné fixait Malden.

— Vous savez, mon père aussi siège à l'assemblée. Il fait partie des soutiens du Baron Kardoff.

La chose ne surprenait pas Malden, il savourait toutefois l’ironie qui unissait à présent les deux lignées.

— Alors, il ne tient qu'à nous de leur faire honneur lieutenant. J’ose espérer que la politique n'interfère pas avec notre devoir.

— Jamais, je peux vous le jurer. Il en va de ma fierté de hussard.

Coigné sortait son revolver en vérifiant les munitions dans le barillet de son arme.

— Battons-nous ensemble, capitaine Devràn. Ici et maintenant.

Malden laissa échapper un rire nerveux.

— Dans tous les cas, je doute que l'ennemi nous demande notre avis.

Malden de sa position voyait de part et d’autre les parapets et trous de souris de ses hommes. Il y en avait plus que de raison. Les soldats ne cessaient de bouger en leur sein. Le capitaine Devràn jugea le moment opportun pour encourager une dernière fois toutes ses personnes qui lui obéissaient.

— L'ennemi arrive, messieurs, préparez vous à les recevoir !

Un silence s'ensuivit. Malden ne fut pas troublé, il n'avait besoin d’aucune réponse, chacun se concentrait pleinement. Le temps se trouvait suspendu autour des hommes de l’Empire, les respirations audibles entouraient le capitaine Devràn. Lui-même tentait de réguler les réactions de son propre corps.

Le bruit du vent et des arbres qui craquaient composa le monde de Malden jusqu'à ce que des sifflements au début imperceptible s’élevèrent dans les airs. Dans les parapets, tous levaient la tête, Mladen comprit ce qui se jouait au même titre que ses lieutenants.

Quand le son devint puissant et agressif, les sous-officiers de Malden crièrent face au danger.

— À couvert, hurlèrent certains. Mortier ! reprirent d’autres.

Comme Malden, le moindre soldat se jetait au sol. Se carapataient contre les défenses. Lorsqu’il se colla aux rondins, Malden entendit Coigné rugir de plaisir.

— Ça commence enfin !

Pour ne pas le faire mentir, les projectiles de l’Union s’abattirent telle une pluie d’aciers sur la foret avoisinante, puis enfin autour des tranchées. Les obus de mortier labouraient la terre en de nombreuses explosions qui se succédaient les unes aux autres sans interruption. Le sol tremblait sous les pieds de Malden, les rondins contre son corps bougeaient.

Les tirs étaient imprécis et Malden ne pouvait qu’en remercier les dieux.

Bien vite, des cris s’élevèrent. Les projectiles commencent à percer aussi bien la terre que la chaire. La position de Malden fut elle-même secouée lorsque l’un d'eux qui fit céder une portion de la défense. Un nuage enveloppa les occupants du parapet en brouillant les sens du capitaine Devràn.

Coigné qui avait été projeté contre lui se redressait en toussotant.

Le bombardement continuait, mais il perdait en densité. Petit à petit la pluie cessa pour laisser à nouveau le silence s'abattre sur la zone. Malden se relevait comme Coignée et le reste de ses hommes.

Les têtes réapparurent sur les positions éprouvées de la compagnie. Aucune défense n’avait été épargnée. Malden le voyait bien. Le sol était retourné et les flancs de la colline se constellaient de petits cratères. Certains corps avaient été projetés.

Malden, le visage maculé de terre, pensait à observer clairement ce qui se passait. Il agit machinalement comme on le lui avait appris. De sa voix forte, il cria pour se faire entendre.

— Troisième section ?

— Présente, beugla son lieutenant.

— Sixième, Vingt-deuxième ?

— Présente ! firent en cœur leurs officiers.

— On dirait que tous sont prêts pour le feu d'artifice.

Malden percevait les attentions du hussard qui tentait de remonter le moral de son supérieur. Les mortiers adverses n’avaient pas calmer sa flamme guerrière, loin de là.

— Accueillons les unionistes à présent.

Coigné salua les mots à Malden en actionnant la détente de son arme. Malden fit de même en se posant contre le parapet.

Comme lors de la patrouille, la végétation se mit d'abord à bouger, puis des tirs commencèrent à voler autour des défenses des impériaux. Sans perdre un instant, un déluge s'abattit du bas de la colline. Puis des cris de guerre.

Les premiers soldats adverses qui sortaient du bois furent cloués sur place. Une intense fusillade s'emparait l’endroit, aux coup de feu de la forêt répondaient les armes et mitrailleuses de la compagnie. L'écorce volait en éclat, mais les unionistes continuaient leurs assauts.

Les balles claquaient tout autour d'eux, il en jaillissait toujours plus de la végétation. Malden visait, il prenait son temps. Un œil fermé, il actionne la détente du revolver qu’il avait lui-même dégainé. Il entendait le lieutenant Coigné faire rugir son pistolet de concert.

Malgré le nombre grandissant de corps qui tapissait l’orée du bois, les défenseurs versaient leur part de sang. Rien que dans la tranchée de Malden déjà quatre personnes étaient tombées. Leur effort ne pouvait être interrompu, car un flot continu d'unionistes se déversait face à eux.

Certains combattants carapatés derrière les arbres ou les souches répondaient comme il pouvait face aux hommes d'Aldius. Les troupes de Malden avaient une position dominante. La lutte était inégale. Une tempête de feu illuminait les défenses.

— Ils sont fous, cria l’un des soldats aux côtés de Malden en ne s'arettant pas de tirer.

Le capitaine Devràn ne pouvait le contredire. Pour un ennemi abattu, trois autres déboulaient pour prendre sa place. Les douilles tapissèrent bien vite le sol autour des pieds de Malden.

Le revolver de Malden engloutissait toujours plus de balles, le canon fumant crachait son plomb sans discontinuer. Malden ne pouvait se plaindre. Son gant le protégeait de la poudre chaude ou de l'acier supplicié. Les mitrailleuses, elles, rougissaient et leur servant ne cessait de changer les bacs d’eau branchés aux engins.

Les troupes de Malden tenaient en respect la horde du nord, mais pour combien de temps encore ? Les unionistes avançaient de plus en plus en témoignaient les corps toujours plus proches des positions de la compagnie. Les grenades se voyaient lancées avec force et pour l’instant leurs explosions épargnent l'intérieur des parapets.

Maintenant, pensa Malden.

— Maintenant, cria-t-il de toutes ses forces dans ce véritable chaos.

L’un de ses hommes courut à l'extrémité de leur défense en beuglant :

— Rouge ! Rouge !

Le moment d'utiliser leur maigre stock de grenades était venu. Les rationnements avaient été la norme depuis le repli. Malden ne pouvait faire autrement. C’était son seul atout. Le moment était venu de l'utiliser.

Autour du capitaine, les soldats se ruaient sur les caisses amenées pour se saisir de leur contenant. Les quelques explosifs de la compagnie s’abattirent bien vite sur les attaquants. Leurs corps d’aciers volaient, roulaient en dégringolant la colline et toutes détonèrent vers des troupes unionistes.

Le spectacle était affreux. Un monceau de cadavres parsemait maintenant le bois. Mais ils n’abdiquaient pas face à la tempête, ils se jetaient avec toujours plus de force. Avec toujours plus de frénésie, mené par l'énergie du désespoir, ou de la haine, Malden ne savait le dire.

Il observait depuis sa position un officier adverse, il se cachait derrière un arbre fendu, il donnait ses ordres avec de grands gestes. Un revolver à la main. Il n’en fallut pas plus au capitaine Devràn qui le prit pour cible. Pour ses hommes déjà tombés, il allait abattre son homologue en leur mémoire.

Malden atteignit l’unioniste à l’épaule.

Il pestait et le temps qu’il arme la détente de son pistolet, les soldats de son rival accouraient à son aide. Le second tir se logea dans l'arbre vers lequel l’officier s’était tenu.

Un mélange de colère et de haine prenait Malden. Il fut uniquement sorti de cet état animal par les sifflets adverses qui résonnaient à travers la forêt. Les unionistes se repliaient. Pour quelle raison ? Il avait perdu beaucoup d'hommes, mais leur nombre avait semblé bien suffisant pour leur assaut.

— Vous pensez qu’ils en ont eu assez `?

Malden n’eut pas le temps de répondre à Coigné que les sifflements d’obus se firent à nouveau entendre. Les canons au loin tonnèrent pareil à l'orage. Cette fois chacun trouva refuge avant l’impact du plomb unioniste.

Le capitaine Devràn observait Coigné, tous deux comprirent trop tard ce qui se jouait. Les projectiles explosèrent dans le ciel, au-dessus des défenses en des grappes de fumées blanches qui se déversèrent. De multiples points lumineux orangés fondaient sur les soldats et ce fut les cris de souffrance qui suivirent.

Le pire venait d'arriver, le phosphore pleuvait sur les positions sans discontinuer. La chaleur devenait insoutenable. En un instant l’air avait changé. Certaines tranchées disparaissaient dans des nuages opaques.

Les cris, les cris résonnaient toujours plus nombreux.

Des formes s’extirpèrent des nappes blanches qui engloutissaient les défenses de la compagnie. Malden voyait ses hommes fuir à toutes jambes. D’autres marchaient, claudiquant en révélant leur triste sort.

Une personne, le torse complètement noirci, avançait. Sa peau ne faisait plus qu’un avec son uniforme qui brûlait. Le phosphore fermement accroché fondait sur son corps en luisant. Il continua d’approcher comme un ancien ayant éprouvé trop d’hivers avant de s’écrouler.

— Par les Dieux…

— Du phosphore ! hurlait-on à travers les défenses. Du phosphore !

Malgré les atrocités qu’avait vécues Malden ces derniers mois, l’actuelle vision le figeait sur place. Il était en un sens heureux d'être épargné par cet horrible spectacle qui torturait ses hommes. Heureux et misérable de l'être à la fois. La peur le tenaillait en le transformant en un simple observateur. Ce fut Coigné qui le rappela à l’ordre d’un coup de coude.

Tous deux eurent juste le temps de voir un nuage engloutir le côté gauche de leur parapet, les individus qui s’y étaient tenus venaient de disparaître. À jamais.

Coigné parlait, mais Malden n'entendit pas de suite ses mots.

— Il faut partir ! rugissait-il.

Comme pour lui prêter plus de crédit, une clameur sauvage résonnait dans la forêt. Les troupes de l’Union fondaient telles des montres du bois. Puis ils lancèrent leurs cris de défi en chargeant à nouveau les défenses déjà bien éprouvées.

— Ils vont nous balayer !

Malden tremblait. Il ne put que murmurer au début.

Il faut se replier.

— Quoi ? braillait Coigné.

— Il faut partir !

Coigné pesta, mais les survivants des positions impériales ne pouvait espérer retenir la vague humaine qui commença à grimper la colline.

— On doit rallier les dernières lignes avant Breddas, la troisième section nous y attend,

— Et mes hussards, renchérit Coigné tout sourire.

— Et vos hussards…

— Allez! Replis général !

Les sifflets des lieutenants de la compagnie résonnaient à leur tour.

REPLI !

Annotations

Vous aimez lire Kost . ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0