Mémoires monstrueuses (4)
Lecteur, lectrice, afin de profiter pleinement de ce chapitre, je vous invite à vous remémorer les motivations de Jahan dans le chapitre : "Jouons ensemble" du troisième voyage.
Si votre mémoire vous fait défaut, il suffit simplement de relire le dialogue entre la peluche et l'Evolution au sein du chapitre cité au-dessus.
Bonne lecture !
Frann'
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19 octobre, an X732 ?
Mihan, terre des monstres ?
Gaston
Je prends de nouveau conscience dans cette série de rêves étranges. Cette fois-ci, je flotte dans le vide spatial que je découvrais avant chaque réveil. Je vois la beauté de ce gigantesque lieu clairsemé d’étoiles, de comètes et d’astéroïdes. Dans un coin, j’aperçois un long chemin de glace. Par curiosité, je me pose dessus, faisant mine de le suivre, malgré l’absence de gravité. À chaque avancée maladroite, je m’approche un peu plus de l’extrémité, me dévoilant petit à petit les formes de ce qui semble être un temple. L’entièreté du bâtiment est faite de pierre, ne présentant aucune fissure. Cet édifice est en parfait état, comme si l’espace et le temps n'exerçaient aucune influence.
J'atterris sur le sol du temple, la gravité revient subitement, me faisant perdre l’équilibre. Comme c’est étrange, ce bâtiment flottant présente les mêmes particularités que certaines planètes, comme s’il était un monde à part entière. Le couloir, dans lequel j’ai posé pied, s’enfonce en plusieurs branches, de quoi mettre en doute le moindre sens de l’orientation. Et pourtant, une partie de moi connaît le chemin. Ce savoir est aussi intuitif qu’un réflexe, comme si cette route était gravée en moi. Sans attendre, je marche en longeant le couloir, rencontrant de multiples statues portant chacune des torches enflammées. Cette simple luminosité suffit en tant que repère, me laissant voir le trajet à suivre dans ce dédale flottant.
Après cette longue série de pas, je me retrouve devant un gigantesque mur orné d’une fresque. Une impasse ? Non, je suis certain que le chemin était le bon. Ce que je cherche se trouve ici. Je pose ma main sur la pierre froide, caressant des doigts la peinture. Cette dernière représente une personne bien familière : une jeune femme aux cheveux blancs, les yeux clos et le corps couvert de vêtements exotiques. Sur cette représentation, deux autres détails attirent mon attention : un gigantesque sablier tenu entre ses mains et surtout, cette paire d’ailes grises naissant dans son dos. Cette teinte est d’une couleur identique à la plume que j’ai reçue, à tel point que s’en est troublant.
Une femme que j’observais en rêve, une plume qui est la source de mes voyages, et enfin, le symbole du temps. Il n’est plus question de hasard à ce niveau-là, cette silhouette aux cheveux blancs est intimement liée à l’objet responsable de mes traversées. Seulement, quelque chose me paraît perturbant lorsque je regarde cette fresque. Le visage de cette fille me semble triste, malgré l’absence de ses iris. Ce chagrin me déplaît, j’aurais presque envie de détruire ce mur de mes mains ! Pourquoi ? Je n’en ai aucune idée. C’est comme si ce sentiment ne m’appartenait pas, et pourtant, il fait partie de moi.
- Cette peinture te plaît ? demande une voix dans mon dos..
Je me retourne brusquement, surpris par cette apparition. Mon regard se pose sur une personne entièrement vêtue de noir, dont le visage est dissimulé par une capuche. Aucun de ses membres ne ressort, que ce soit ses mains, couvertes de gants, ou ses pieds, sous de solides souliers. Son corps ne me donne aucune information sur son sexe ou son âge. Il est d’une taille normale, sans forme particulière, comme le serait l’ombre d’une personne lambda.
- Tu ne peux pas parler ? continue l’inconnu.
Comment une telle chose peut-elle être possible ? Jusqu’à présent, je n’étais pas impliqué physiquement dans mes voyages, seul mon esprit traversait le temps. Personne ne faisait attention à moi, et maintenant… on me parle, comme si de rien n’était.
- Oh, toutes mes excuses, j’ai dû te surprendre ! Ne t’en fais pas, je ne te veux aucun mal, ce n’est pas mon genre de faire ça.
Sa voix est d’un timbre incroyablement neutre et ne laisse fuiter aucune information sur son identité. Qui est cette personne exactement ?
- Qui êtes-vous ?
- Un visiteur, tout comme toi. En revanche, ma présence est autorisée en ces lieux ; ce n’est pas ton cas.
- Depuis quand faut-il un droit pour être dans des rêves ?
Un petit silence prend place avant que l’inconnu ne le brise :
- Tu te crois toujours dans un rêve ? Comme c’est adorable !
- Il y a un problème avec ça ?
- Non, non, chacun sa façon de penser, répond-il en se rapprochant de moi. Sinon, comment trouves-tu ma fresque ? Elle est belle, hein ?
Je m’éloigne de quelques pas par prudence.
- Potable, j’aurais été capable de faire mieux.
- Quoi ?! Tu n’es pas sérieux ! J’ai mis des lustres à la faire ! Tu n’imagines pas les années d'entraînement que j’ai dû passer !
Tiens donc, je ne m’attendais pas à un tel caractère.
- Le visage ne me donne aucune envie de l’admirer. Tant qu’à faire, vous auriez pu lui offrir plus de joie.
- Je ne pouvais pas, ça n’aurait pas été fidèle au personnage.
Cette réponse, elle me rappelle quelque chose. J’ai l’impression de retrouver mes pensées sur le champ de bataille, lorsque je me tenais devant le cadavre du général humain.
- Je comprends. Dans ce cas, vous avez bien fait.
Assez étrange comme rêve, je parle avec une personne inconnue au creux de mon sommeil. Qui plus est, notre sujet de conversation est tout aussi étonnant, jamais je ne me serais attendu à parler d’une peinture au sein d’un édifice flottant dans l’espace.
- Dis-moi, pourquoi caressais-tu tendrement ce mur tout à l’heure ?
Je sursaute de gêne en écoutant sa réponse.
- Vous étiez obligé de le dire de cette façon ?!
- Eh bien, c’est la vérité. Mais il ne faut pas être gêné, tu sais. En revanche, tu as de la chance que ce soit moi qui t’ai vu, tu aurais été dans de beaux draps sinon.
- Que voulez-vous dire ?
- Au risque de me répéter, ta présence n’est pas autorisée. Surtout si l’on te voit toucher cet obstacle, on pourrait se méprendre.
Se méprendre sur quoi ? Ce n’est qu’un mur.
- Je ne vous comprends pas, de quoi pourrait-on se méprendre exactement ? Je n’ai fait que toucher cette fresque.
- C’est vrai, tu ne peux pas savoir. Dans ce cas, si je te disais que ce mur enfermait quelqu’un de très dangereux, deux personnes même, et que sa destruction mettrait fin à toute forme de vie dans l’Univers, voudrais-tu toujours le toucher ?
Je recule de quelques pas, surpris par ses paroles.
- C’est une plaisanterie ?
- Vois la situation comme tu veux, que ce soit un rêve ou une blague, c’est à toi de décider. Dans cet espace infini, la vérité peut prendre plusieurs formes, que ce soit au sein des autres ou de nous-même. Si tu te sens soulagé en essayant de te convaincre que ce lieu, ma présence ou mes dires ne sont que le fruit de ton imagination, je t’en prie, ne te gêne pas.
Quel étrange personnage.
- Et cela ne vous dérange pas ? Je pourrais remettre en cause votre existence.
- Effectivement, mais ce ne serait que ton point de vue. Je sais que j’existe et que je suis ici, c’est suffisant.
- Vous êtes une personne bien singulière.
Un petit rire s’échappe de son visage camouflé.
- Ha ha, tu parles comme mes sœurs, mais je prends ça comme un compliment.
Ses sœurs ? Il serait de la fratrie de celle aux cheveux blancs ?
- Cette fille que vous avez peinte, c’est votre sœur ?
- Elle ? Non, nous n’avons jamais été de la même famille. Il serait plus sage de dire que nous sommes des étrangers.
- Alors pourquoi avoir représenté une étrangère ?
Un silence s’installe après avoir dicté cette dernière phrase. L’inconnu s’éloigne doucement de la fresque, relevant sa tête encapuchonnée, puis contemple l’ensemble de son œuvre.
- Par hommage, j’imagine. Je voulais que l’Univers garde une trace d’elle, je voulais sublimer sa personne.
- Et pourtant, vous ne l’avez pas fait.
- C’est vrai, à vrai dire, j’ai passé un bon moment sur cette peinture. Je me demandais si je devais la rendre magnifique pour les potentiels visiteurs. Mais de toute évidence, personne, excepté des cas exceptionnels comme le tien, ne met les pieds ici. Et comme je ne voulais pas ternir sa mémoire, je l’ai faite ainsi, munie d’un visage triste.
- Qui était cette femme ?
- Une humaine, une simple humaine.
Permettez-moi d’en douter.
- En quoi une “simple humaine” aurait-elle des ailes dans le dos ?
- Tu m’as demandé ce qu’elle “était”, pas ce qu’elle est aujourd’hui.
Je lâche un soupir.
- Je l’admets, je me suis trompé. Qui est cette femme ?
- Les réponses sont diverses, car tout le monde n’a pas la même interprétation. D’ailleurs, son nom n’est prononcé par personne, il a été effacé, comme la couleur de ses yeux, l’éclat de son sourire ou encore, la passion qui l’animait. Pour certains, elle est l’espoir de cet Univers, pour d’autres, un être abject. Mais pour moi, c’est une héroïne, l’incarnation du temps.
L’incarnation ? Comme le seraient les Sources ?
- Comment se fait-il qu’une simple humaine soit devenue l’avatar du temps ?
- C’est une histoire compliquée, que tout le monde semble avoir oublié. Je suis le seul qui s’en rappelle, car j’ai refusé de rejeter sa mémoire. Quand bien même, je n’ai pas le droit de t’en parler, je préfère te le dire : les Sources l’ont utilisé.
- Pardon ?!
L’inconnu se rapproche du mur et le caresse d’un geste tendre. Visiblement, ce contact ne semble pas le déranger.
- Il y a bien longtemps, un monstre à la puissance titanesque perdit la raison. Sa force risquait de détruire l’Univers, et la vie elle-même ne pouvait rien contre lui. Seule une personne pouvait le calmer par sa présence, cette femme. Nous l’avons convaincu de venir raisonner sa sœur, que son action permettrait de sauver tout le monde.
Ses doigts se crispent, griffant le mur avec raideur.
- Mais la vérité était toute autre, la tête pensante du projet lui tendait un piège. Cette fille était dotée d’un pouvoir terrifiant pour les Sources, celui de résister à leur magie la plus puissante : l’ordre.
- L’ordre ?
- Certain l’appelle aussi : le pouvoir des mots. Disons qu’une incarnation de la vie possède le droit d’ordonner ce qu’elle veut à n’importe quel être vivant. Si elle te dit de mourir, tu le fais. En revanche, cette personne y était immunisée, sans que l’on sache pourquoi.
Je commence à comprendre la raison derrière ce piège.
- Juste parce qu’elle était gênante ? demandé-je avec mépris. Les Sources auraient pu la dominer d’une toute autre manière, non ?
- C’est ce que je pense aussi, mais la différence fait peur ; même à ceux qui s’autoproclament “Dieu”. La tête pensante du projet avait prévu de s’en débarrasser avec sa sœur. Comme elle était une simple humaine, rester dans cet endroit aurait provoqué sa mort. Un moyen simple de jeter un outil qui ne sert plus.
Mais c’est ignoble !
- Et ensuite ?!
- Ha ha, cette histoire a attisé ta curiosité à ce que je vois. Ensuite, nous avons érigé un sceau capable de contenir le monstre et cette humaine. Mais sans que l’on comprenne pourquoi, la tête pensante du projet avait été attirée dans la zone qui allait être condamnée. Et au moment où celle-ci se refermait, je l’ai vu. Cette fille avait volé le pouvoir de notre chef, devenant quelque chose de bien plus puissant. Elle avait pris possession du temps.
- Juste comme ça ? Mais ce n’est pas possible ! Qui était votre leader ?!
- Une Source, tu t’attendais à autre chose ?
- Mais il n’y en a que trois ! Cela voudrait dire que seulement deux sont présentes aujourd’hui ?
Non, ça n’aurait pas de sens ! Si cette histoire a été oubliée, alors le nombre de ces divinités aurait été modifié.
- Il est vrai que seules trois Sources sont actives aujourd’hui, ce n’était pas le cas avant. Elles étaient bien plus nombreuses, d’un effectif qui demeura inconnu, je suppose. Leur nombre a diminué pour plusieurs raisons, cette histoire est l’une d’entre elles.
- Donc vous êtes en train de dire qu’une humaine est devenue Source au dernier moment ?!
- C’est ce que je pense, en effet. Malheureusement, je n’étais pas au courant de tout. Je me tenais à l’écart du sceau, observant le destin de ses futures prisonnières. Je voyais cette ancienne humaine se débattre, cherchant à fuir le piège qu'on lui avait tendu. Bien sûr, c’était impossible. Elle était destinée à vivre dans cette cage, ayant pour seule compagnie cet horrible monstre.
Sa main, posée sur le mur, se met à trembler.
- Je les ai entendues, reprend l’inconnu d’une voix chevrotante, ses cris, ses supplications. Elle hurlait de tout son cœur, nous disant qu’elle ne voulait pas devenir un dieu, qu’elle voulait vivre comme tout le monde. Et moi, je n’ai rien fait. Je suis resté là, à l’observer se débattre, tandis qu’une plume grise se décrochait de ses ailes. Le sceau s’est refermé et ses dernières paroles ont continué à raisonner dans mon esprit, même après le silence imposé par sa cage.
- Qu’avait-elle dit ?
J’entends la personne déglutir.
- “Soyez maudits”, juste ces deux mots qui contenaient à eux seuls, toute la haine qu’elle ressentait envers nous. Ce n’était que de simples syllabes, mais elles m’ont touché en plein cœur. Elles ont donné naissance à un sentiment qui ne m’avait jamais habité : de la culpabilité. Je me suis mis à pleurer, sans comprendre pourquoi. Les événements tournaient en boucle dans ma mémoire, je me suis revu dans un Univers alternatif, saisissant la main qu’elle nous tendait. Je m’imaginais en train de la sauver, la libérant à jamais de son sort.
L’étonnement arrondit mes traits en écoutant les mots de cet inconnu.
- Cependant, cette réalité ne prend place que dans mon imagination. Je ne peux pas remonter le temps, et quand bien même, je le pouvais, cela ne changerait rien. Après tout, le destin ne peut être changé, il restera fidèle à lui-même. Peu importe notre nature, humain, Source ou Dieu, nul ne peut s’y opposer. C’est pourquoi je reste ici, je la peins, je lui parle. Mais malgré mes paroles, seul le silence m’est donné en guise de réponse. Logique, n’est-ce pas ? Et pourtant, j’attends. Je patiente jusqu’au jour où ce sceau se brisera, je voudrais être le premier à l’accueillir et m’excuser de n’avoir rien fait.
Je comprends ce sentiment, ce regret et cette culpabilité. Nous avons les mêmes, lui, moi et cette femme. C’est fou, jamais je n’aurais cru qu’autant de personnes puissent partager mon ressenti. Nous avons les mêmes envies, les mêmes peines, et nous savons pertinemment que la réalité est notre plus grand obstacle. Cependant, est-ce là la bonne solution ? Attendre l’impossible pour pouvoir tout reprendre de zéro, cela me semble bien trop incertain.
- Est-ce vraiment la bonne solution ?
- Pardon ?
- À quoi bon attendre si même un monstre ne peut ouvrir la cage de l’intérieur ? Comptes-tu réellement sacrifier ta vie pour quelque chose d’aussi peu probable ?
Tiens, j’ai encore abandonné mes formules de politesse. Il faut croire que je me sens bien plus proche de cette personne à présent.
- C’est la moindre des choses à faire, c’est le seul moyen capable de me soulager.
- C’est faux. Tu ne fais que fuir, c’est tout.
Et moi aussi, je cherche à le faire, lâche comme je suis.
- Tu penses que le privilège que t’offre ton existence aujourd’hui, c’est de vivre pour d’autres en sacrifiant la moindre parcelle de ton être, continué-je. Mais ce n’est pas la bonne solution.
- Qu’en sais-tu ?
- Beaucoup de choses, car je partage ton ressenti. J’ai détruit la vie de personnes innocentes, et je pense aujourd’hui, ne pas avoir le droit au bonheur; que ce privilège ne me sera permis que lorsque j’aurais réparé toutes mes fautes.
- Oui, c’est ça !
- Mais ce n’est pas la bonne méthode, je m’en rends compte seulement maintenant. Après tout, nous ne connaissons pas les pensées d’autrui. Qui sait ce qu’auraient dit mes victimes, si elles me voyaient aujourd’hui ? Seraient-elles heureuses ? Dans ce cas, j’aurais eu une bonne raison de les avoir tués. Si, au contraire, elles seraient déçues, alors mieux vaut leur faire honneur en vivant pleinement sa vie. D’autres le font très bien sans culpabilité, et quand bien même, je considère ces gens comme étant des ordures, j’oublie que j’en suis une également. Et tout comme eux, je suis en vie et je possède des désirs. Et toi, penses-tu vraiment que cette femme accorde de l’importance à ton sacrifice ? Tu te souviens d’elle, alors pourquoi ne pas honorer sa mémoire différemment ? Dans un lieu où des gens sauront l’admirer. Ne te cache pas derrière tes regrets, utilise-les comme une arme pour affronter le monde, que dis-je, l’Univers ! Cesse donc d’attendre l’impossible, qu’attends-tu pour le réaliser ?!
C’est, en tout cas, ce que je compte faire. Je construirai cette machine et je remonterai le temps ! Peut-être finirai-je par rencontrer cette femme, qui sait ? Nul ne sait de quoi l’avenir est fait. J’en ai assez de rester sur la touche et de ne rien pouvoir faire ! Je suis talentueux, et j’en ai pleinement conscience ! Je ne suis pas le meilleur, non, et je ne le serais sans doute jamais. Mais cela ne doit pas pour autant fixer mes limites, je suis celui qui les pose !
C’est ça, la réponse qui me convient le mieux. C’est cette vie que je veux mener ! J’ai fait des erreurs, et j’en ferais de nouvelles. Quand bien même, cela ne change rien. Je veux me sauver et je veux honorer la mémoire de plein d’autres ! Merci, Lazuli, et vous qui m’êtes inconnu. Vous m’avez donné votre confiance et votre pouvoir; je les utiliserai à bon escient.
- Et toi ? demandé-je à l’inconnu qui semble abasourdi. Qu’as-tu envie de faire ?
- Ce que j’ai envie… Je voudrais… aimer. Non pas une seule personne, mais toutes dans cet Univers. Que ce soit cette femme, la plus petite plantule ou alors les Sources, je veux les aimer et je veux prendre soin d’eux.
- C’est un très beau désir.
- Vraiment ? Mes sœurs me trouvent un peu trop sensible, j’ai bien peur de leur faire honte. Mais bien sûr, cette vie m’appartient, et je dois m’imposer comme elles le feraient.
Je suis content d’avoir pu le toucher par la force de mes paroles, c’est comme si j’avais pu nous sauver, tous les deux.
- Et toi… euh, je ne connais même pas ton nom d’ailleurs.
- Gaston, et je souhaite créer une machine capable de remonter le temps. Je veux offrir un meilleur avenir au monde dans lequel je vis.
- Ha ha, on peut dire que tu es ambitieux.
- Réaliste. Et toi, quel est ton nom ?
- Sans trop de modestie, qui plus est ! s’exclame-t-il sous sa capuche. Tu me plais bien, mais je vais devoir garder mon identité pour plus tard.
- Pourquoi ?
Il ne pourrait pas me le dire maintenant ?
- Ton temps s'est écoulé, et je compte aussi quitter cet endroit. Je te dirais mon nom au moment où je t’arrêterai.
- Mon temps s'est écoulé ? Mais je suis toujours là ! Et pourquoi m’arrêter ?
- Je le ressens dans les signaux qu’envoient ta présence. Pour ce qui est de ton arrestation, disons que le voyage dans le temps est un crime puni par les Sources et je travaille pour elles.
- Encore les Sources ?!
- Ha ha, et oui, elles sont influentes partout. Ah, tiens, ton corps devient tout transparent, tu vas devoir partir.
Je pose mon regard sur mes pieds, il a raison, mes orteils ont déjà disparu !
- Que… Comment ? La plume ne m’avait jamais fait ça !
- Ah, donc c’est sa plume qui te permet de venir ici.
- Oui, mais d’habitude les choses ne se déroulent pas de cette manière !
- Je vois, c’est peut-être la dernière fois que tu te retrouveras ici alors.
Si les choses se réalisent comme il le dit, ce serait une bonne nouvelle. Cependant, j’ai un problème plus urgent actuellement :
- Formidable, mais là, je suis en train de disparaître ! Je n’ai aucune envie de mourir !
- Relax, tu ne vas pas mourir, tu vas juste te réveiller. Oh et j’espère pour toi que tu as fermé ta bouche.
- Quoi ? finis-je par dire en ouvrant les yeux.
Je cligne des yeux en observant les alentours, je suis chez moi. Qu’est-ce que c’était que ça ? C’est le réveil le plus soudain que j’ai eu. Je suis sur mon bureau, ma tête reposait sur les plans de la machine. J’ai dû m’endormir pendant le travail.
- Gaston ? Tu es là ?
Cette voix, c’est Lazuli.
- Oui, entre et ne fais pas de bruit.
La porte de mon atelier s’ouvre, me laissant voir la Selkie avec une mine rayonnante. Visiblement, il y en a un de nous qui a passé une bonne nuit.
- Oh, s’écrie-t-il en fermant le battant derrière lui, je te dérange pendant ton travail ?
- Non, je viens de me réveiller.
- Je vois, ça explique le filet de bave.
- Quel filet de bave ?
Lazuli touche le coin de sa lèvre gauche. Je finis par faire de même et tombe sur ma propre salive. Minute ! Mon regard se pose brusquement sur mes feuilles… tachées. Un rictus de colère prend place sur mon visage. Je comprends mieux pourquoi cet inconnu voulait que j’aie la bouche fermée ! Mais comment a-t-il su ? Cette personne disait travailler pour les Sources, mais qui est-elle exactement ?
- Oh, tu es sur la machine ! reprend le jeune monstre en regardant mes croquis.
- Oui, dis-je en cachant la tache humide.
- Je suis content que tu t’y mettes, ça me fait vraiment plaisir.
- Oui, moi aussi.
- Pardon ? Tu n’étais pas contre le projet ?
Je regarde Lazuli avec un petit sourire.
- J’ai changé d’avis, faisons-la cette machine.
Le visage de la fée s’illumine de joie en entendant mes paroles.
- Vraiment ?
- Oui.
- Vraiment, vraiment, vraiment ?
Le sourire sur mon visage s’efface pour laisser place à une expression neutre.
- Tu aurais pu me répondre, réplique-t-il légèrement vexé.
- Je l’ai déjà fait. Bon, on s’y met ? dis-je en lui tendant le poing.
Finalement, ce “rêve” m’aura permis de prendre un nouveau départ et de vivre comme étant une toute autre personne. Autant commencer par faire des efforts et me rapprocher de cette Selkie.
- Faisons-le, déclare-t-il en cognant sa main contre la mienne.
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