Chapitre 17
— Je suis pas un bourge… répéta Alec.
— Ouais, si tu veux.
Alec soupira. Il commençait déjà à connaître un peu Ruben, et il savait qu’il était un peu chiant sur ce point-là, et qu’il ne voudrait rien savoir. À part ça, il avait l’air quand même assez sympa, même s’il était un peu con sur les bords, et qu’il rangeait les gens assez vite dans des catégories…
Et puis, le traiter de bourge serait carrément abusé. Il n’était pas riche, loin de là, mais il n’était pas vraiment pauvre non plus. Ses parents s’étaient battus, ils avaient connu une période difficile, qui était derrière eux désormais. Cependant, sa situation contrastait quand même beaucoup avec les petits aristos de son lycée, surtout Jordan…
— Sinon, ils vont bien les p’tits Chinois ?
Il souffla bruyamment, histoire de bien lui faire comprendre qu’il le soûlait profondément, peut-être même plus que l’alcool qu’il venait d’avaler.
— T’es pas content ? C’est pas mon problème, tu peux raccrocher, hein.
Mais qu’est-ce qu’il lui prenait ? C’est pas comme ça qu’on fait les choses, comment il pouvait espérer draguer un garçon en le traitant comme ça ?
Et pourtant, Alec n’avait pas envie de raccrocher, il essayait de réfléchir, mais il avait trop mal à la tête. Il laissait son instinct décider pour lui.
— Nan, je reste… De toute façon, j’ai rien de mieux à faire.
Il avait tenté d’être le plus froid possible en disant ça.
— Ça tombe bien, moi non plus.
Il se demandait pourquoi il revenait tout le temps vers lui, alors qu’il le trouvait un peu plus repoussant à chaque fois. Au moins, il avait le mérite d’être franc et de ne pas lui donner de faux espoirs.
Et il essaya de trouver un sujet pour la conversation.
— Tu m’as dit que t’étais Portugais ?
— Ouais, et ?
— Du coup tu dois être vachement poilu, nan ?
Juste après avoir dit ça, il se mit à regretter. Ruben pourrait très bien le prendre mal, vu comme il était capable de se mettre en colère pour rien. Avec sa bipolarité, ça faisait une chance sur deux qu’il réagisse bien.
— Ouiiii, fit-il de sa voix aiguë en rigolant. Et toi, comme t’es chinois, t’en as pas beaucoup, nan ?
Alec fut surpris de ce changement soudain d’humeur. Ruben était en train de lui faire la gueule cinq minutes plus tôt, et là il se mettait de nouveau à rire.
— Bah, normal… fit-il. Mais genre t’as vraiment beaucoup de poils ?
— J’avais déjà presque une barbe à la fin du collège. Mon corps est trop bizarre, de toute façon.
— Ah ouais ? Y a d’autres choses ?
— Mon cul est énorme, fit Ruben en riant tout seul comme un con. Les gens me demandent tout le temps si je fais des squats ! Et puis y a des gens qui me sifflent dans la rue, en croyant que j’suis une meuf…
— Ah ça doit être chiant, nan ?
— J’m’en fous de leur avis, et du tien aussi.
— Wow, j’ai rien dit. Au contraire, ça doit être sympa à regarder…
Ruben éclata à nouveau de rire. Il était quand même bon public, parce que les « blagues » d’Alec étaient nulles à chier.
Ils continuèrent de parler pendant longtemps, les heures passaient, et Alec dut brancher son portable qui commençait à ne plus avoir de batterie. C’était compliqué, le fil était trop court, il devait resté penché pour pouvoir continuer à téléphoner tout en rechargeant.
Ils parlèrent de tout et de n’importe quoi, Ruben évoqua ses potes, quelques délires et moments qu’ils avaient vécu ensemble. Il n’en avait pas beaucoup, mais il passait tout son temps avec elles (puisque ce n’étaient que des filles).
Au contraire, Alec avait beaucoup de potes garçons. Peut-être parce qu’il était le portrait du parfait petit hétéro, qui jouait au foot et qui était loin d’être efféminé. Et puis ça lui allait bien, ça le protégeait contre toutes les rumeurs. Il valait mieux que personne ne sache, dans ce lycée d’aristos.
C’était déjà arrivé dans sa famille, et ça s’était plutôt mal passé…
— Ton père t’a vraiment frappé ? s’écria Ruben.
— Ouais… C’était y a quelques mois.
Alec ne l’avait dit à personne, sauf à Matthieu. Peut-être parce qu’il n’avait eu personne à qui le dire. Mais il s’en était relevé, et ça ne le dérangeait pas tant que ça d’en parler, il était passé à autre chose.
— C’est chaud, moi je pense que mon père réagirait pareil. C’est un chrétien hyper pratiquant.
Ruben n’avait pas l’air d’être très choqué par ce qu’Alec venait de dire. Alec s’était attendu à quelque chose du genre « Je te plains » ou « Mon pauvre ». Mais là, il le prenait comme s’il avait appris un truc banal. Il parlait toujours aussi tranquillement.
— Le mien aussi, répondit Alec avec un brin de tristesse.
— Et ta mère ?
— Elle dit rien, j’ai l’impression qu’elle essaye de me comprendre, mais elle se range du côté de mon père. Et ta mère à toi ? Pourquoi tu la traites de pute ?
— Parce que c’est une pute. Elle fait exprès de me faire chier et de m’énerver, et je m’embrouille souvent avec elle. Et à la fin, c’est toujours moi qui passe pour le connard dans l’histoire. D’ailleurs, je mange même plus avec ma famille.
— C’est triste… soupira Alec.
— Bah non, pourquoi ça serait triste ? C’est la vie, hein.
Même s’il n’avait pas l’air super sympa au premier abord, ce Ruben avait quand même une histoire derrière lui. Et puis il était plutôt sympa, Alec se sentait à l’aise en sa présence, alors qu’avec Jordan il y avait toujours eu une certaine gêne…
Ils parlèrent toute la nuit, Alec lutta difficilement contre le sommeil, Jordan n’était même pas revenu dans la chambre pour se coucher, mais ça ne lui faisait ni chaud ni froid.
Il put admirer le lever du soleil, alors qu’il faisait presque nuit noire en France. Il allait être complètement crevé durant toute la journée, après cette soirée catastrophique et cette nuit blanche passée à parler avec Ruben.
Mais bon, ça valait le coup, au moins.
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