Alec n’arrivait pas à se concentrer sur ce que disait la guide du musée. Il faisait de son mieux, mais il n’arrivait pas à détacher son regard de Jordan, qui était encore une fois sur le côté, sur son téléphone. Il avait l’air assez agacé, et Alec brûlait de savoir ce qui le préoccupait.

Il avait besoin de savoir, après tout ce qui s’était passé. Jordan cachait des choses, il en était certain, ça faisait déjà cinq bonnes minutes qu’il avait les yeux rivés sur son portable.

Il fallait trouver un moyen pour l’espionner tout en restant discret…

— Allez tout le monde ! lança la prof à tout le groupe. On remonte dans le car et on se rend au célèbre mausolée de Mao !

Pendant que tout le groupe sortait du musée, Alec donna un coup de poing sur l’épaule de Marion.

— Aïe ! Tu m’as fait mal ! protesta-t-elle.

— Désolé, c’était le but. Ça te dérange si on s’assied pas à côté dans le car, exceptionnellement ?

— Euh, non, mais pourquoi…?

— Je t’expliquerai après. T’es la meilleure !

— Tu veux draguer le mec de Terminale ? lança-t-elle un peu trop fort au goût d’Alec, qui s’agaça et mit son doigt devant sa bouche pour lui faire signe de la fermer.

Alec tenta de se rapprocher discrètement de Jordan, tout en gardant ses distances, pour ne pas paraître suspect. Tout le monde monta dans le car, et il fit exprès d’arriver juste après lui, et il s’assit à côté de lui.

Son coeur battait la chamade, ses mains et ses lèvres tremblaient, ses jambes étaient molles... Il n’était plus de tout sûr de lui, désormais. Peut-être qu’il était plus prudent de ne rien faire, de laisser tomber ses plans.

Jordan se retourna brusquement vers lui, l’air méfiant.

— Tu veux quoi ?

***

Il faisait nuit noire, dehors. L’air était frais, et venait caresser les joues d’Alec. Ça lui faisait du bien, il en avait besoin...

La journée avait été rude, le trajet en car aux côtés de Jordan aussi. Il sortit son téléphone, et ouvrit l’applications « Photos ». Puis il fixa les deux dernières de sa galerie qui dataient de quelques heures à peine, de ce moment avec Jordan, dans le car. Il les avait prises à son insu, pendant que celui-ci était concentré à fond sur son portable, la tête baissée.

C'étaient deux photos du téléphone de Jordan : une conversation par messages. Sur une barre en haut de l’écran, s’affichait le nom de l’interlocuteur : « Papa ».

« Je te paye ce resto avec grand plaisir… Mais tu aurais pu prévenir ! » avait envoyé son père.

« J’m’en fous ;) Et d’ailleurs j’en ferai payer d’autres à ton nom »

« Merci de m’avoir averti, cette fois-ci…

Ta mère m’a dit que tu étais à Pékin, tu passeras me voir à l’ambassade ? »

« Non »

« Je peux réussir à dégager un créneau, dis-moi maintenant pour que je m’organise »

« Je veux pas te voir »

Et comme sa curiosité était trop grande, il n’avait pas résisté à prendre une seconde photo dans la foulée.

« Écoute, je sais que c’est compliqué, mais ta mère m’a accepté comme je suis, il ne manque plus que toi et on pourra à nouveau être une famille ! »

« Maman est toujours amoureuse de toi, si t'avais été un tueur en série, elle t’aurait accepté aussi

Je la comprends pas »

« Être homo et être tueur en série, ce n’est pas la même chose… »

« Arrête avec ce mot »

« J’y suis pour rien, tu sais ? »

« Casse-toi »

« D’accord... »

Alec ne savait pas trop quoi en faire, de ces photos.

Ça expliquait des choses : le resto, la salle VIP, la nuit avec Alice, son comportement… Sur le moment, quand il l’avait découvert, il avait tout simplement paniqué. Et même là, quelques heures après, en relisant cette conversation, il en avait encore des sueurs froides.

Puis il pensa à Jordan. À présent, il avait l’air encore moins sympa que d’habitude, mais en même temps, Alec ressentait presque de la compassion pour lui… Il comprenait pourquoi il avait agi comme ça depuis le début, même si ça ne l’excusait pas. Mais au moins, il savait qu’il avait accepté de payer le resto juste pour faire chier son père, et pas tellement pour faire plaisir aux autres. Et ça ne le décevait même pas de lui.

Il prit une grande inspiration, puis recula de quelques pas. Son regard se posa durant une seconde sur le lit de Thibaut, vide. Il devait sûrement être à la soirée organisée dans la chambre d’Alice.

Il ferma alors la fenêtre, enfila ses chaussures, puis sortit de la chambre pour marcher jusqu’à celle d’Alice. Un peu de bruit provenait de derrière la porte, ce qui lui confirma que c’était bien là que tout le monde était.

Il frappa trois coups à la porte, et ce fut Alice elle-même qui lui ouvrit :

— Ah super ! On attendait plus que toi !

— Oui, désolé, répondit Alec, un peu gêné. J’avais juste un truc à régler…

— Tu t’appelles comment déjà ? lui lança Alice, un peu gênée.

— Alec, soupira-t-il avec un goût de déjà-vu.

— Ah oui merde, j’y arriverai un jour ! fit-elle en rigolant.

Elle se glissa sur le côté pour laisser Alec entrer dans la chambre, où se trouvaient déjà tous les autres, en train de s’engueuler et de gesticuler dans tous les sens.

Et là, il croisa son regard...

Jordan était assis en tailleur dans un coin de la chambre, son portable dans les mains, la tête relevée en sa direction, son regard planté dans le sien... Un frisson parcourut tout le corps d’Alec, il retint son souffle...

Dans les yeux de Jordan, c’était juste de la haine... Son sourire en coin avait disparu, les traits de son visage étaient fermés. C’était comme s’il avait deviné pour les photos, c’était comme s’il savait tout...

« C’est pas possible, tu dois être parano. » pensa-t-il alors, pour tenter de se rassurer.

— On va faire un loup garou, souffla Alice à son oreille. Tu connais les règles ?

Alec reprit ses esprits.

— Euh, ouais...