Chapitre 28
— Bref, changeons de sujet. T’as déjà eu un mec ?
Alec sourit légèrement : ce genre de question ne venait jamais par hasard. C’était bon signe pour la suite !
— Ouais, deux. Mais c’était pas génial, y avait toujours une certaine gêne entre nous… Enfin tu vois, pas vraiment de complicité, on faisait rien ensemble et j’osais pas parler de tout.
Cette gêne qu’il décrivait, il avait l’impression de ne l’avoir jamais ressentie avec Ruben. Ce mec avait beau être bipolaire et désagréable de temps en temps, ça ne le dérangeait pas tellement, au fond. Et puis il savait que ce n’était pas de sa faute, que c’était comme ça qu’il était. Ça le rendait unique en son genre, et même plutôt attachant.
— Et t’as fait des choses avec eux ? ajouta Ruben.
— Comment ça ?
— Fais pas genre, t’as très bien compris ma question.
Alec rougit instantanément. Ce mec était beaucoup trop direct, mais c’était même pas étonnant, déjà qu’il insultait sa mère.
— Le dernier mec que j’ai eu… J’ai juste mis la main dans son short mais rien de plus. J’ai même pas pu voir sa...
— Ok, lâcha-t-il d’un ton glacial.
Alec avait un peu honte de lui. Pourtant, il n’avait rien fait de mal… Il n’avait rien fait tout court, d’ailleurs, alors pourquoi il devait se sentir coupable d’avoir touché un autre mec ? Vu le ton avec lequel Ruben lui avait répondu, il avait l’impression désagréable de l’avoir trompé. Mais c’était stupide de penser ça. il le savait très bien.
— Et toi ?
— Deux aussi, mais que des meufs. Avec la première, on arrêtait pas de s’engueuler. Et avec l’autre, on s’est rendu compte qu’on était plutôt faits pour être amis, et c’est une de mes meilleures potes aujourd’hui !
Ruben avait retrouvé sa voix rieuse et sa bonne humeur, d’un seul coup, comme s’il avait déjà oublié ce qui venait de se passer. « Tant mieux », pensa Alec en haussant les épaules, ça faisait plaisir à entendre et il le préférait largement comme ça.
— Et c’est elle qui était avec toi, tout à l’heure ?
— Nan, c’était une autre. Pourquoi, t’as un souci ?
— On t’a dit que t’avais un don pour devenir froid en deux secondes ? répliqua-t-il en souriant.
— Ça t’pose un problème ? continua-t-il, toujours sur le même ton.
— Nan, au contraire, ça m’amuse !
Ruben ne répondit pas. Alec affichait un grand sourire de satisfaction, et il aurait aimé être en face de lui pour le lui montrer. Il se sentait bien avec lui, il avait l’impression d’être à sa place, de le comprendre, même si ce gars était impossible à cerner. Et il se rendait compte que ses pensées n’avaient aucun sens.
— Attends… bafouilla Ruben, visiblement troublé. T’es en train de te foutre de ma gueule, là ?
— Bah nan, pourquoi ? fit-il sincèrement. Moi j’aime bien, j’trouve que ça te rend attachant.
— Ah ouais ? T’as des goûts bizarres alors.
Alec souffla du nez, ses yeux pétillaient et il ne pouvait plus cacher sa bonne humeur. Il avait compris que Ruben ne s’aimait pas lui-même, et qu’il ne comprenait pas que quelqu’un s’intéresse autant à lui.
— Sûrement, mais je m’en fous.
— Ouais, souffla Ruben.
Il avait essayé de rester froid, mais Alec avait deviné dans sa voix qu’il était assez surpris. Son ton était différent, et Ruben ne semblait pas indifférent. Même s’ils n’étaient pas là, ensemble, tous les deux, il avait l’impression que quelque chose était en train de naître. Peut-être qu’il était naïf, que c’était parce qu’ils se découvraient, que tout semblait beau… Mais il avait envie d’y croire, il voulait essayer, et même être naïf le temps d’une histoire.
— Tes parents arrivent dans combien de temps ? lança Ruben.
— Attends, je leur demande.
Alec décolla alors son portable de son oreille pour envoyer un message à ses parents. Au passage, il vit qu’il avait reçu un tas d’autres messages de ses potes, qui lui demandaient comment s’était passé le voyage. Il se dit qu’il y répondrait après, en écrivant un long message et en faisant un copié-collé de celui-ci, qu’il enverrait à tout le monde. Ça lui éviterait de se faire chier et de se répéter.
Et sa mère répondit en quelques secondes, comme d’habitude.
« 30 min »
Alec crut rêver. Il se frotta les yeux pour bien relire le message, puis il regarda l’heure.
« Mais tu m’avais dit 1h30 il y a 15 minutes » répondit-il.
« Je ne fais que lire ce qui est sur le GPS »
Alec soupira. Elle était encore en train de galérer et de faire n’importe quoi. Il ne pouvait pas lui faire confiance…
« 1h45 » renvoya-t-elle quelques secondes plus tard. « Il y a des bouchons »
« Bon tu m’appelleras quand tu seras arrivée, ça sera plus simple »
Et il reprit son appel avec Ruben. Sa mère l’avait soûlé, il ne ferait plus attention à ses messages et attendrait simplement son appel.
— Ça te dirait qu’on se voit, un jour ?
Alec manqua un battement de coeur, son souffle fut coupé brusquement.
— Hein ? bredouilla-t-il, un peu surpris.
— Bah c’est bien de se téléphoner, mais se voir en vrai, ça serait encore…
Il y eut un silence de quelques secondes, Ruben ne termina pas sa phrase, Alec était encore en train d’essayer de réaliser ce que ça voulait dire. Il essayait de s’imaginer la scène : eux deux, face à face, en train de se sourire comme des cons, ne sachant pas quoi dire…
— Ouais, ça serait super ! Mais j’avoue que ça va me faire un peu bizarre…
— Pourquoi ?
— Bah… je sais pas trop comment dire, mais comme on s’est jamais vus, j’pense que je renvoie sûrement une meilleure image de moi que celui que je suis vraiment.
— J’ai rien compris, lâcha Ruben.
Alec avait les lèvres sèches et la tête qui brûlait. Il respira un bon coup et ferma les yeux deux secondes.
— En gros, par messages ou même au tél’, j’suis pas le même que dans la vraie vie. Tu comprends ?
— C’est pour ça que j’veux te voir, gros con.
Tout le monde avait décidé de l’insulter, en ce moment, c’était pas croyable. Il essaya de ne pas y faire attention et de se reconcentrer.
— Ouais, mais j’ai peur que tu sois déçu, tu vois ?
— Ah mais j’m’en fous. J’compte pas rester loin de toi et attendre toute ma vie. À un moment il faudra que t’arrêtes de te cacher, mon coco. T’as des couilles, nan ?
Alec baissa le regard et le dirigea vers son entrejambe.
— Euh, ouais je crois…
— Bah porte-les ! Vous, les p’tits bourges, vous êtes tous fragiles !
Il essaya d’ignorer sa remarque sur les bourges, il savait très bien que Ruben était en train d’essayer de le provoquer, et il n’allait pas tomber dans son jeu, cette fois-ci.
— C’est pas ça, le problème. J’arrive pas à l’expliquer. La distance, ça fait une barrière entre nous. Et j’ai envie de la briser, mais en même temps je me sens bien, comme ça, et j’ai peur de tout perdre en dépassant cette barrière…
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