Chapitre 30
Faire du foot n’était pas seulement un moyen pour Alec de passer pour le parfait petit hétéro, c’était aussi une vraie passion pour lui, et un moyen de décompresser. Il se sentait à l’aise sur un terrain, c’était un des rares endroits où il avait le sentiment d’être à sa place.
Il faisait chaud pour un jour de novembre, le soleil tapait sur la tête d’Alec. Il était assis sur le gazon synthétique, les jambes repliées vers lui, les genoux collés contre sa poitrine. Son regard s’était perdu dans le vide, son esprit était ailleurs, ses pensées exploraient son passé...
Jordan...
Il aurait bien voulu l’oublier, celui-là. Il aurait souhaité que ses souvenirs s’effacent. Mais ça faisait à présent partie de lui, ces moments avaient laissé leur empreinte indélébile, comme des griffes plantées dans son coeur.
Il vivait à présent sous une constante menace. Il s’apprêtait à affronter son regard chaque jour, puisqu’ils avaient le malheur d’être dans la même classe. Il le voyait déjà, avec son petit sourire en coin, l’observer du coin des yeux.
Il aurait aussi voulu oublier ce qui s’était passé à la fin du voyage, à ces moments où il avait dû être froid avec Marion, voire même s’éloigner d’elle pour la protéger et pour que Jordan ne se mette pas à croire qu’elle était au courant, à s’isoler la plupart du temps, pour montrer à Jordan qu’il ne dirait rien à personne...
Et puis devoir subir ces insultes de sa part, qui pouvaient être des chuchotements glissés dans son oreille lorsqu’ils se retrouvaient à côté, ou bien même des mots écrits sur des morceaux de papiers, qu’il laissait traîner dans ses affaires, et puis il y avait aussi la fois où Alec avait retrouvé sa valise retournée, les affaires éparpillées autour.
— Alec ? Tu fous quoi ?
Il secoua la tête et revint dans le monde réel.
« Ah oui, c’est vrai, le foot... » se dit-il intérieurement.
— T’as vu le match face à Zagreb ? On les a défoncés !
Leur enthousiasme redonna un peu le sourire à Alec.
— Ouais, et puis Hoarau a marqué !
— Tu nous soûles avec ton Hoarau, y a des tas de joueurs bien meilleurs que lui, mais toi tu préfères l’ancien !
— Il est pas venu pour l’argent, au moins...
— Aaaah j’te reconnais bien là ! C’est un vrai gars, Alec, il aime les guerriers, ceux qui se battent avec le coeur. C’est pas une tapette, lui !
Alec grinça des dents sans rien dire, tandis que celui qui venait de dire ça lui donnait une tape virile sur l’épaule, comme un père fier de son fils. Pour garder sa couverture et ne pas avoir à risquer que tout le lycée apprenne qu’il est gay, il fallait bien accepter quelques sacrifices. Et de toute façon, s’il voulait trouver du monde pour jouer au foot, il fallait malheureusement côtoyer des homophobes...
Alors qu’ils étaient en train de discuter des autres actualités du monde du foot, il reçut un message de Ruben.
« Hey :) Tu vas bien ? »
C’était tout simple, mais ça suffisait à lui faire un peu d’effet…
« Super et toi ? »
« J’ai la tête dans le cul, j’viens de me réveiller :( »
Alec regarda à nouveau l’heure et fronça les sourcils.
« A cette heure-ci ? » répondit-il, amusé.
« Bah ouais j’profite de mes derniers jours de vacances :o »
« Et moi aussi »
« Tu fais quoi ? » lança Ruben.
« J’vais jouer au foot avec des potes »
« Tu vas où ? »
« À Balard, y a plein de terrains, c’est super »
« Et tu vas y rester toute la journée ? »
Alec avait l’impression de subir un interrogatoire, mais il se dit que Ruben faisait ça juste parce qu’il voulait s’intéresser à lui.
« Bah pas toute la journée, mais une bonne partie ;) On va aussi aller au Mcdo et traîner un peu »
« Ah ok :D »
Ruben était un peu étrange ce matin. Alec avait l’impression qu’il y avait un truc derrière tout ça, mais il ne savait pas quoi.
— Bon, Alec, lâche ton tel, on va jouer !
Ils se levèrent tous et certains commencèrent à taper dans la balle comme des attardés, tandis qu’Alec était en train de mettre ses crampons. Ça lui faisait du bien de les retrouver, il commença à raconter un peu son voyage à deux ou trois d’entre eux qui étaient restés là. Il le faisait sans grande passion, il avait surtout hâte de passer à autre chose et de recommencer à jouer au foot. Ça lui avait vraiment manqué pendant le voyage.
Il enfila son maillot du PSG, déjà vieux de quelques années, un peu amoché, mais il en était fier et il le mettait tout le temps quand il jouait au foot.
— Tu veux pas en acheter un nouveau ? lança l’un d’eux en se moquant de lui et en le pointant du doigt.
— Nan, j’ai pas trop envie de donner de l’argent au Qatar, répliqua-t-il avec fierté.
Et dès qu’il eut fini ses lacets, il s’empressa de courir sur le terrain et d’essayer de réunir tout le monde pour essayer de faire des équipes, au lieu que chacun ne joue de son côté.
Il ne savait pas pourquoi, mais quand il était sur un terrain, il n’était plus le garçon timide et plein de défauts, il devenait un leader, quelqu’un qui entreprenait des choses. Il avait l’air plus souriant, et bien dans sa peau. La magie du sport, sans doute…
Et il se défonça pendant quelques heures, faisant des allers-retours sans arrêt, toujours infatigable, encourageant ses potes qui étaient déjà en train de cracher leurs poumons. Il avait bien besoin de se défouler, après tout ce qui s’était pendant le voyage, et il mettait toute son énergie et sa… rage.
Dans chaque geste.
Et quand tout le monde fut trop crevé pour aligner trois pas sans s’écrouler par terre, ils s’assirent sur le côté, en sueur. Alec était essoufflé, un grand sourire sur les lèvres, parce qu’il avait (encore) gagné.
Voyant qu’ils étaient tous sur leur portable, sûrement en train de regarder les dernières actualités du monde du foot, Alec décida de les imiter et de voir un peu ce qui s’y passait.
Il vit que Ruben lui avait envoyé un message, quelques minutes plus tôt :
« On peut s’appeler ? C’est urgent »
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