Chapitre 33

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Une lueur passa dans ses yeux. Parce que cette fois, il avait enfin vaincu sa timidité, et c’était passé presque naturellement. Il n’avait hésité que deux petites secondes.

— Anw, c’est chou… Moi aussi, j’me sens bien avec toi !

Les yeux de Ruben pétillaient, et ses lèvres remontèrent pour lui offrir un grand sourire.

Mais, pour interrompre ce moment de bonheur, le portable d’Alec vibra : il le sortit et vit qu’il avait reçu un message de sa mère : « Tu rentres bientôt ??? »

Il se mit à grimacer.

— Tu dois y aller ? lança Ruben en regardant au-dessus de son épaule.

— Ouais… J’suis dégoûté, j’aurais tellement voulu…

— C’est pas grave, coupa Ruben en posant son doigt contre les lèvres d’Alec. J’te raccompagne chez toi.

Son sang ne fit qu’un tour. Il se tendit d’un seul coup et ferma la bouche. Tout son corps se tendit d'un coup au contact de sa peau.

— Merci… bredouilla-t-il, troublé par ce geste.

Alec restait pensif, et toujours assis, alors que Ruben était déjà prêt à partir.

— Il faut que t'y ailles, nan ?

— J’aurais bien voulu rester un peu…

— Moi aussi, mais on aura qu’à se voir plus souvent ! T’as qu’à me passer ton emploi du temps et on verra si j’peux passer te voir à ton lycée, à la sortie des cours !

— Tu ferais ça pour moi ? s’écria Alec, tout content.

— Ben oui, c’est normal ! Vous faites pas ça entre vous, les bourges ?

— Je. Suis. Pas. Bourge.

Ruben se contenta d’un rire franc et aigu. Et Alec ne pouvait pas lui en vouloir, parce qu’il savait bien que Ruben ne le pensait pas vraiment, et qu’il disait ça pour le taquiner. Et aussi parce que son rire était vraiment drôle.

Alors ils marchèrent ensemble jusqu’à la gare, Alec hésitait à lui prendre la main. Mais il y avait encore du monde dehors, et il repensait à ce couple dans l’aéroport, à la fois où Ruben lui avait dit qu’il ne pouvait pas se montrer. Alors il garda sa main pour lui et la rangea dans la poche de sa veste, ou plutôt celle que Ruben lui avait prêtée.

Le RER n’avait pas de retard, pour une fois. Et c’était au moment où Alec aurait bien voulu qu’il y ait une énorme panne doublée d’une grève massive pour avoir une bonne excuse pour rester quelques heures supplémentaires avec Ruben.

Ils montèrent tous les deux dedans. Il y avait un peu d’espace, mais pas de place assise. Alec s’adossa au fond, comme il en avait pris l’habitude, et Ruben se tenait à la barre.

— Il va falloir que j’te rende ta veste avant de rentrer, dit Alec.

— Tu peux la garder, t’inquiète pas.

— Hors de question, tu vas attraper froid, il va sûrement faire nuit quand tu vas rentrer chez toi. D’ailleurs, c’était pas trop long le trajet ?

— Nan, ça allait, fit Ruben en haussant les épaules.

— T’as mis combien de temps à venir ?

Ruben hésita, il leva les yeux en avançant la lèvre inférieure.

— Je dirais… 1 heure à peu près. Depuis chez moi.

Une heure, c’était assez énorme... Sans oublier qu’il fallait en rajouter autant pour le trajet retour. Ça voulait dire que Ruben avait perdu deux heures de sa journée à attendre dans le train juste pour venir le voir. Il commença à culpabiliser d'avoir reçu déjà autant sans rien avoir à offrir en retour.

— Mais comment tu savais que j’étais à Balard ?

— Bah je te l’ai demandé ce matin, par messages. Tu t’en souviens pas ?

— Ah… Donc t’avais prévu de venir me voir aujourd’hui ?

— Ouais !

Et Ruben lui fit un petit clin d’oeil. Il était vraiment trop mignon, et ça changeait tellement du Ruben bipolaire et un peu chiant qu’il avait connu par messages.

En général, les gens essayent de montrer leurs bons côtés lors des rencontres, ils mettent en avant leurs qualités pour plaire. Et puis ensuite, quand on apprend à vraiment les connaître, on découvre leurs défauts, leurs faiblesses et leurs vices.

Ruben faisait ça à l’envers : il avait été désagréable au début, puis il était devenu de moins en moins chiant. Et là, il était juste parfait, et déjà tellement attentionné…!

« Bagneux » dit soudain la voix du RER.

Alec releva la tête et poussa un long soupir : c’était le moment de descendre… Il n’avait pas envie de le quitter, c’était trop court. Il voulait encore profiter de ce moment, il avait peur de le perdre, peur que tout disparaisse d’un coup, de ne jamais le retrouver après...

Il se redressa et fit signe à Ruben qu’il étaient arrivés. Le train s’arrêta complètement et les portes s’ouvrirent lorsqu’il pressa le gros bouton gris. La marche était haute, il fit un grand pas pour atteindre le quai. Ruben le suivit, sans rien dire.

Et ils marchèrent tous les deux, un peu lentement, le long du quai. Aucun d’entre eux ne voulait que ce moment s’arrête, Alec voulait rester avec Ruben, dans le froid de la nuit.

Il ralentissait un tout petit peu plus à chaque pas qui le rapprochait du moment de se dire adieu. Et Ruben suivait son rythme, comme s’il l’avait compris.

— C’est ton quartier ? fit-il en regardant partout autour de lui.

— Ouais, j’habite là-haut.

Alec pointa du doigt une butte qui devait se situer à une centaine de mètres d’eux. La pente était assez raide, à chaque fois qu’un passant s’y attaquait en vélo, il renonçait au bout de dix mètres de montée et finissait à pied. Et c’était assez drôle à voir, parce qu’ils faisaient les malins avant de commencer, et qu’ils finissaient essoufflés en cinq secondes, puis regardaient dans tous les sens pour voir si personne ne les avait vu échouer lamentablement.

Il y avait un passage piétons juste avant la butte. Le feu était vert, Alec ralentit pour qu’il devienne rouge pile au moment où ils arrivèrent, histoire de gagner encore quelques précieuses secondes.

Ils recommencèrent à discuter, Ruben lui parla du dernier iPhone, qu’il rêvait d’acheter mais qui était trop cher. Il avait les yeux qui pétillaient et sa voix était à nouveau rieuse. Bizarrement, ça ne gâchait pas du tout la magie du moment. Alec se sentait bien avec lui, il aimait le regarder parler, voir ses lèvres bouger et s’entrouvrir pour le laisser ses dents blanches.

Mais après quelques minutes, ils étaient enfin arrivés…

Alec s’arrêta au coin de la rue, et s’assit sur un muret, à un endroit où il ne pouvait pas être aperçu depuis chez lui.

— C’est laquelle, ta maison ? demanda Ruben en regardant devant lui.

— Celle avec le toit rouge.

Ruben se dressa et leva la tête pour essayer de l’apercevoir, et il eut un air de satisfaction quand il la trouva. Alec, lui, continuait de l'observer avec un sourire heureux, mais le regard triste.

— Pourquoi tu fais cette tête ? lança le Portugais. On va s’revoir bientôt, tu sais ?

— Ouais, j’suis un peu con, désolé…

— C’est moi qui suis con.

Alec leva les yeux vers lui en fronçant les sourcils.

— Pourquoi tu dis ça ?

— Parce qu’on me le dit tout le temps.

Ruben haussa les épaules. Il avait l’air de n’en avoir rien à foutre, il l’avait dit comme ça, comme si c’était normal. Et Alec se demanda comment il faisait pour rester insensible malgré tout ce qu’il avait à encaisser. Peut-être qu’à force de prendre des coups, on ne les sent plus. Ou bien qu’on fait semblant de ne plus les sentir…

— On peut s’embrasser ?

Les yeux de Ruben devinrent ronds comme des billes, son visage s’éclaira d’un seul coup et un immense sourire s’y dessina.

Alec lui-même était surpris d’avoir dit ça. Il l’avait pensé tout haut, ça s’était échappé. Mais il ne regrettait pas du tout, parce que Ruben avait l’air ravi, et qu’il commençait déjà à s’approcher.

Et leurs lèvres entrèrent en contact, ce fut un tout premier baiser, qui avait duré le temps d’un clin d’oeil. Il avait été sans bruit, en toute discrétion. Alec regarda dans tous les sens autour de lui : personne ne les avait vus.

Par réflexe, il mit sa main devant sa bouche pour cacher son grand sourire. Il se sentait comme un enfant qui goûtait pour la première fois à un bonbon. Il ne savait pas s’il rougissait de plaisir ou de honte. Ruben avait l’air d’être pareil, il se mit à souffler du nez doucement en se mordillant la lèvre inférieure et en regardant vers le bas.

— C’est la première fois que j’embrasse un mec… lâcha le Portugais.

— Et c’était comment ?

Ruben releva les yeux et plongea son regard dans celui d’Alec.

— Trop bien et trop court à la fois.

— T’en veux un deuxième…? demanda-t-il, tout timidement.

Et le visage de Ruben s’approcha à nouveau. Cette fois, le baiser dura bien plus longtemps : au moins le temps de faire trois clins d’oeil ! Il put sentir les lèvres pulpeuses du Portugais se presser contre les siennes, épouser la forme de sa bouche, caresser son sourire…

— C’était mieux, souffla Ruben.

— Oui…

Alec croisa les pieds et serra les jambes. Sa tête se tourna machinalement vers sa maison, il commençait à faire sérieusement sombre, et beaucoup trop froid. La veste de Ruben ne suffisait même plus, il tremblait à nouveau. Mais peut-être que ce n’était pas à cause du froid.

D’ailleurs, en parlant de sa veste…

— Il faut que j’te rende ça, fit Alec en se déshabillant.

— T’es sûr que tu veux pas la garder ?

— Mes parents risquent de me poser des tas de questions, dit-il en tendant le bras pour enlever la dernière manche.

Il eut l’impression de prendre une claque sur tout le corps quand il quitta la chaleur du tissu. Il sentit les poils de sa peau se hérisser sous ses vêtements.

— Bon, ben, j’y vais… lança Ruben.

— Oui… Moi aussi.

Il n’aimait pas les au revoir, alors il essaya de faire ça un peu vite, pour que ça ne lui crève pas trop le coeur. Il se leva et lui fit un bref signe de la main, puis Ruben partit de son côté, et Alec du sien.

Il traversa la rue et marcha jusqu’à sa maison en regardant ses pieds, la tête déjà plein de souvenirs, en se demandant comment il avait pu en arriver là si rapidement. Tout s’était enchaîné tellement vite et tellement naturellement à la fois, il avait l’impression de vivre un rêve !

Il poussa un long soupir, et sentit une petite pression sur son coeur. Ses lèvres restaient bêtement entrouvertes et se faisaient agresser par le froid, de la vapeur d’eau sortait doucement de sa bouche quand il expirait.

Et il posa la main sur la poignée de la porte de son jardin. Il hésita.

Sa tête se tourna alors vers le coin de rue qu’il venait de quitter, vers ce muret où il l’avait embrassé pour la première fois, et il vit Ruben, qui était toujours là, debout à le regarder rentrer chez lui. Alec pouvait le voir sourire d’ici, et il pouvait aussi voir que c’était un grand sourire. Alors il essaya de le lui rendre, d’en faire un presque aussi joli que celui du Portugais, de SON Portugais.

Alors il tourna la poignée de la porte, se sentant un peu plus léger, sans doute porté par l’armée de papillons qui avait peuplé son ventre.

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