Chapitre 48

5 minutes de lecture

— Tu m’aimes ?

Ruben se retourna vers lui et le dévisagea. Alec savait très bien ce qu'il pensait : que sa question était bizarre, que c'était le genre de questions que seuls les mecs un peu naïfs et cuculs posaient.

— Bah ouais, pourquoi ?

Le ton du portugais était assez agressif, presque méprisant. Alec grimaça.

— J’m’attendais à autre chose, comme réponse…

— Tu croyais qu’j’allais dire non ?

— Je pensais que t’allais dire autre chose que « Bah ouais ». C’est quand même une question importante, hein…

— Bah ouais, je sais.

Alec poussa un soupir. Ce mec était vraiment indomptable, c’était incroyable. Impossible d’avoir un dialogue constructif avec lui, il avait l’air toujours sur la défensive, comme s’il se faisait provoquer à chaque parole.

— T’es pas un romantique, toi.

— C’est seulement maintenant que tu l’remarques ?

Alec souffla doucement du nez en fermant les yeux, l’air amusé.

— Nan, t’inquiète pas. Je l’ai su la première fois où on s’est parlé, par messages.

Mais Ruben avait changé d’attitude, il était encore différent. Il n’était pas blasé cette fois, il n’était pas non plus content, ni même énervé. Alec se mit à observer son expression, à la recherche d'indices : il était quoi, alors ?

Le regard du Portugais se perdait un peu dans le vide, il avait l’air d’être en train de réfléchir à quelque chose. Il était crispé, ses mâchoires étaient serrées et tout son corps semblait tendu.

— Ça va…? murmura Alec.

Ses mots sortirent Ruben de ses pensées. Leurs regards se croisèrent, il crut détecter une once de lumière dans ces yeux noirs, même si son visage restait sombre.

— J’sens que j’vais faire une connerie.

Alec fronça les sourcils et le regarda de travers. C’est comme si Ruben venait de dire tout haut sa pensée, et cette phrase lui fit froid dans le dos : comment ça, une connerie ?

Alors il le vit fouiller dans sa poche et sortir son portable. Il plissa les yeux et commença à faire jouer ses doigts sur l’écran. Il avait l’air concentré et ne disait pas un mot. Son regard était noir, il semblait être autre part, loin d'ici, ses pensées s'étaient évadées.

Alec, lui, restait planté là et le regardait faire en se posant des tas de questions. Il ne l’avait encore jamais vu comme ça, et c’était certainement la facette qui l’effrayait le plus...

— Tu fais quoi, là ?

Ruben ne lui répondit pas et restait penché sur son téléphone. Puis une lueur passa enfin dans ses yeux, il tapota une dernière fois sur son écran et colla son portable contre son oreille.

— Allô Maman.

Il l’avait dit avec une telle gravité qu’Alec en eut des sueurs froides… Il n’avait jamais vu Ruben être aussi sérieux.

— J’ai un truc à te dire, poursuivit-il. Ça va pas te plaire.

Alec restait debout, les bras ballants. Il regardait Ruben hocher la tête de temps en temps et dire deux ou trois fois « Ouais », mais pas grand chose de plus. Il essayait d’entendre ce que disait sa mère à l’autre bout du fil, mais il n’arrivait pas à distinguer le moindre mot, juste une voix floue.

Et soudain, Ruben décolla son portable de son oreille et boucha le micro avec sa main. Il fixa Alec pendant une seconde, puis s’approcha de lui et lui susurra à l’oreille :

— Ça te dérange si j’m’éloigne cinq minutes ?

— Euh… nan nan, pas du tout. Vas-y…

Ruben avança un peu et se mit à l’autre bout de la ruelle. Alec se bouffait les ongles en essayant de ne pas trop le regarder, il n’avait aucune idée du temps que ça allait prendre, mais il trouvait déjà que c’était trop long. À côté, Ruben tournait en rond en faisant des grand gestes et en parlant doucement.

Et il commença à s’énerver, il redevint le Ruben violent. Alec entendit quelques insultes partir, probablement destinées à sa mère. Rapidement, il n’essayait même plus d’être discret et se mettait à hurler sur son téléphone, les passants de la rue d’à côté se retournaient et le dévisageaient.

Quelques minutes plus tard, Ruben balança un dernier « Va t’faire foutre ! » avant de raccrocher brutalement. Il revint vers Alec.

— C’est bon. Ta mère était au courant, maintenant la mienne l’est aussi. On est quitte.

Alec ne sut pas quoi dire. Il resta paralysé, à le fixer la bouche ouverte. Il n'arrivait pas à le croire, il ne parvenait même pas à se rendre compte de ce que Ruben venait de faire, spontanément, sans que personne ne lui demande.

— Elle l’a mal pris…?

Il souffla du nez et se mit à sourire tristement.

— Elle a pleuré, et elle a dit qu’elle avait perdu un fils.

Alec avait mal pour lui. Il ne savait même pas pourquoi il avait fait ça, il ne lui avait pourtant rien demandé… Il se sentait gêné, il se sentait coupable même s’il savait très bien que c’était pas de sa faute.

— Donc toi aussi, tes parents t’acceptent pas…

— Mes parents m’ont jamais accepté. Donc ça change rien pour moi. C’est pas la première qu’elle m’dit que j’suis pas son fils.

— Oh, d’accord…

Ruben serrait toujours les poings, il devait sûrement essayer de cacher sa colère. D’habitude, il la laissait toujours éclater, mais il se retenait cette fois-ci. Ça se voyait qu’il aimait quand même ses parents, même derrière toutes ces insultes et cette violence. Et ça se voyait qu’il avait mal, ses yeux s’embuaient, et ses poings se contractèrent encore un peu plus fort.

— Ça nous fait au moins un point commun… lâcha Alec.

— Comment ça ?

— Bah… J’t’avais dit que j’avais eu des soucis avec mes parents. Même si contrairement à toi, ça se passait beaucoup mieux avant.

— Oui, mais tu m’as jamais raconté ce qui s’est passé.

— Tu veux ?

Il le regarda. Il était beau, quand il était triste, son Portugais… Peut-être encore plus que d’habitude. C’était un peu comme ces délires qu’avaient certains artistes, à balancer de la peinture sur leur toile, à la jeter n’importe comment avec leur pinceau ou même un seau, à créer un énorme bordel sans nom, jusqu’à ce qu’une dernière touche change tout, donne vie au tableau, et qu’on finisse par se dire « Waouh, c’est beau ».

— J’te force pas à le dire, ça a l’air de te faire du mal d’y penser…

Il se força à sourire, pour ne pas paraître ridicule.

— Nan, t’inquiète pas, j’peux en parler maintenant.

Alec prit une grande inspiration et s’assit sur le trottoir. Tant pis si c’était sale, plein de chewing-gums séchés et de pisse ; il avait vraiment besoin de poser son cul à un endroit, ses jambes tremblaient trop et n’arrivaient plus à soutenir son poids.

Ruben le suivit, presque timidement, et se posa juste à côté de lui.

— Bon… Par où commencer…

Il leva les yeux au ciel. Sa gorge était déjà nouée, et il pouvait déjà sentir les premières larmes monter. Il sentait le regard de son Portugais sur lui, il ne savait pas trop si ça le rassurait ou si ça le faisait stresser encore plus. Ses lèvres étaient sèches et tremblaient, il n’était pas dans son état normal, il avait la tête qui tournait.

— C’était en juillet…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Rowani ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0