Chapitre 56
— Donc on a les évènements A et B qui sont indépendants. Mais attention : si deux évènements sont indépendants, ça ne veut pas forcément dire qu’ils sont incompatibles !
Alec était en train de boire les paroles de son prof de Maths, les yeux rivés sur lui. Il essayait de noter tout ce qui lui semblait important. C’était le seul cours où il était concentré à 100%, avec le seul prof qui l’intéressait vraiment.
— Par exemple si je prends les deux évènements : « obtenir un carreau » et « obtenir un coeur » sont incompatibles, mais ils ne sont pas indépendants. Pour ceux qui aiment les belles histoires et les romances, vous comprendrez donc qu’il est possible de ne pas être faits l’un pour l’autre, mais que ça ne vous empêche pas de ne pas pouvoir vous passer l’un de l’autre !
Mais la sonnerie retentit, et le prof dut s’arrêter là parce que certains commençaient déjà à partir.
— J’espère que vous avez tous bien compris, n’hésitez pas à me poser des questions. Passez une bonne journée !
Mais la moitié de la classe ne l’écoutait déjà plus. Jordan sortir en premier en ouvrant violemment la porte. Une fois dans le couloir, il s’écria :
— Eh j’comprends rien aux Maths, là ! J’vais demander à passer en ES !
Le prof soupira en levant les yeux au ciel, le pauvre avait l'air d'être désespéré. Il rangea sa craie dans sa petite boîte et fit son sac. Alec lui fit un grand sourire, et le prof le lui rendit. Avec le conseil de classe qui approchait, c’était bien de se le mettre dans la poche.
Mais il reçut soudain un coup de poing à l’épaule.
— Putain ! Ça fait mal !
Il se retourna vers Matthieu, qui lui faisait son air de gamin débile, un sourire jusqu’aux oreilles et les cheveux en bataille.
— Le but, c’était pas de te caresser, hein. C’est pas à moi de te caresser…
Et il lui lança un regard pervers en mordillant sa lèvre inférieure.
— Alors, t’as baisé ?
Alec écarquilla les yeux et posa son doigt sur ses lèvres pour lui faire signe de se taire.
— Shhh ! Y a le prof juste à côté !
— T’as baisé ? reprit Matthieu sans baisser de ton.
— Ben non, c’est encore trop tôt. T’es malade, toi !
— Je sais pas, t’as l’air d’avoir chaud à chaque fois que t’es avec lui. Je sens qu’il y a une sorte de tension sexuelle…
Matt se prit un coup de poing dans l’épaule bien mérité. Il garda la bouche ouverte et les yeux ronds comme des billes pendant quelques secondes, fixant son meilleur pote en prenant un air choqué.
— J’ai mal... Mais pas à l’épaule, parce que t’as aucune force et que j’ai quasiment rien senti. J’ai mal dans mon coeur, parce que t’as essayé de me faire souffrir !
Et il pressa son doigt contre sa poitrine, au niveau au se trouvait son coeur. Il ferma les yeux en faisant semblant d’agoniser et se tordit de douleur.
Alec le regarda faire, amusé.
— Tu veux un Oscar ?
Matt se releva brusquement et reprit son air sérieux en une fraction de seconde.
— Bref ! La plaisanterie est terminée, on devait avoir une discussion sérieuse, tous les deux !
— J’attendais que ça, c'est toi qui fais le con !
— Alors, raconte-moi ce samedi.
— Bah… c’était génial ! Ça a plutôt mal commencé, parce que sa mère lui a dit qu’il aurait pas le droit de dormir à la maison, et qu’elle balancerait à son père qu’il était homo. Les parents qui rejettent, les problèmes de gays, tu peux pas comprendre…
Matt plissa les yeux en faisant semblant de réfléchir, un doigt posé sur son menton.
— Mh, je vois. Continue.
— Mais bizarrement, ça nous a pas dérangés. D’ailleurs, avec le recul, j’me dis qu’on aurait dû s’inquiéter un peu plus, parce que c’est chaud de pas savoir où on va dormir la nuit. Bref, après on est allé au Mcdo, on a bouffé comme des porcs, puis on est allé au ciné, et c’est là que j’lui ai fait ma demande…
Rien que le fait de prononcer ces derniers mot le fit frissonner de partout. Il avait terminé sa phrase tout doucement, avec une grande délicatesse, comme s’il avait peur de froisser son souvenir.
Et Matt sembla le remarquer, puisque son visage changea d’air. Il parut plus… apaisé.
— Il te rend heureux ? souffla-t-il.
— Oui, je crois… Enfin, j’en suis même sûr…
Matthieu posa sa main sur l’épaule d’Alec, son regard était bienveillant, il se pencha légèrement en avant.
— Alors je te soutiens et j’approuve ton choix. J’me suis peut-être trompé sur son compte, c’est sûrement quelqu’un de bien, tu le connais mieux que moi.
Matthieu faisait presque peur à voir, à être aussi sérieux. La sensation était bizarre, Alec en était presque gêné, mais en même temps super heureux de voir que son meilleur pote était de son côté. Il poussa un long soupir de soulagement, il avait le sentiment que la tempête était passée, que tous ses problèmes étaient désormais derrière lui, et qu’il allait pouvoir enfin profiter de sa nouvelle vie avec Ruben…
Ça devait être la première fois qu'il l'entendait s'excuser et admettre qu'il avait tort !
— Ah, au fait ! lança Matthieu.
— Oui ?
— Comment il a fait pour dormir, finalement ?
— Il a dormi chez une de ses potes.
— Et il a pu revenir chez lui, après ?
— Bah figure-toi que sa mère l’a harcelé d’appels toute la nuit et qu’elle était morte d’inquiétude parce qu’il était pas rentré à la maison, alors qu’elle lui avait dit de dégager le matin même ! Du coup, il a ignoré ses appels et il a quand même dormi chez sa pote. Et le lendemain, sa mère lui a dit qu’elle était pas sérieuse quand elle lui avait dit de jarter, et qu’elle avait rien balancé à son père. Mais il lui a dit d’aller se faire foutre.
Matt ouvrit la bouche et s’apprêta à dire quelque chose, mais il se ravisa au tout dernier moment. Il avait probablement été tenté de dire une connerie, mais s’était finalement retenu.
Alec le regarda en haussant un sourcil.
— Je sens que tu voulais faire une réflexion.
— Ah nan, pas du tout !
— Tu voulais dire quoi, alors ?
— Je me disais juste que ça serait marrant que tu rencontres sa mère, histoire d’assister à leurs embrouilles ! Mais laisse tomber, c’était débile.
Alec se mit à sourire doucement et souffla du nez.
— Bah… c’est pas tellement débile en fait. Parce que pour se faire pardonner, sa mère lui a proposé que je vienne chez lui…
Le visage de Matthieu s’éclaira immédiatement, il retrouva cet air de p’tit con et ce regard pervers.
— Du coup, tu vas pouvoir baiser ?
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