Chapitre 54
Samedi 10 novembre 2012...
Une date qui restera gravée dans la mémoire d’Alec à jamais.
Il savait que c’était stupide de faire ça, qu’en réalité ils étaient déjà ensemble, et que le fait de rendre tout ça « officiel » n’avait aucun sens, parce que quasiment personne n’était au courant pour eux.
Mais ils avaient besoin de cette date. Ils devaient s’accrocher à quelque chose, et même si tous les autres pensaient que c’était stupide de faire ce genre de choses, bah... Qu’ils aillent se faire foutre, comme aurait dit Ruben !
De toute façon, personne ne les avait acceptés, personne ne les avait encouragés à rester ensemble. La mère d’Alec avait frôlé le malaise, celle de Ruben s’était braquée, Matthieu pensait que ça ne durerait pas...
Ruben se posta donc à la sortie du lycée (ou plutôt dans la rue à côté), parce que Alec avait le malheur d’avoir des cours le samedi matin.
Il n’attendit pas ses potes à la sortie des cours et se précipita tout de suite en direction de la fameuse petite ruelle, qui était devenue leur point de rendez-vous, et peut-être même un peu plus. Il avait mis son polo préféré, et un jean qui mettait bien en valeur ses fesses, sans que ça fasse trop serré non plus.
Et quand il vit Ruben, un immense sourire éclaira tout son visage. Lui était habillé comme au premier jour : veste Nike, jogging Adidas et baskets grises. Ses cheveux n’étaient même pas coiffés et partaient un peu dans tous les sens, mais ça le rendait bizarrement mignon.
Il lui adressa un petit clin d’oeil, et lui il semblait que les joues de Ruben devenaient un peu plus rouges. Il avait l’impression que son Portugais n’était pas le même quand ils étaient tous les deux, qu’il se dévoilait plus facilement, qu’il était plus gentil et plus doux...
— Putain, j’vais câbler, là ! Elle m’soûle cette grosse pute !
Finalement, oublions le côté « gentil ».
Ruben avait le nez sur son téléphone, ses yeux étaient redevenus noirs et les traits de son visage s’étaient creusés.
— C’est ta mère ? devina Alec.
— Ouais… J’lui ai dit que je sortais avec toi, et regarde ce qu’elle m’a répondu !
Ruben lui tendit son portable et Alec put lire la conversation par messages avec sa mère :
« T’es où ??? »
« Je passe la journée avec Alec »
« C’est qui Alec ? »
« Mais j’t’en ai parlé hier soir ! T’es vraiment conne »
« Ah donc tu vas vraiment sortir avec lui ? »
« Ben oui on va pas jouer aux cartes »
« Tu rentres pas à la maison ce soir »
« Trouve un autre endroit où dormir »
« Je raconte tout à ton père »
Ça s’arrêtait là. Ruben n’avait pas répondu aux derniers messages de sa mère. Tout son corps s’était tendu à nouveau, il respirait fort et son souffle s’accélérait. Sa poitrine se soulevait à chaque inspiration, et retombait brutalement quand il expulsait bruyamment l’air par son nez. Son regard semblait à la fois fixé sur l’écran et perdu dans le vide.
Alec posa sa main sur son épaule. Il essaya de se montrer le plus rassurant possible, il n'avait surtout pas envie que cette journée soit gâchée, il avait compris que sa mère cherchait à tout faire foirer, et il ne fallait pas tomber dans son piège.
— Ça va aller… Tu vas profiter de cette journée avec moi, et puis on trouvera une solution, d’accord ?
Le regard de Ruben semblait toujours ailleurs, ses yeux étaient terriblement noirs, comme s’ils avaient été assombris par sa colère.
— Nan mais elle m’a soûlé celle-là ! J’te jure que si elle meurt, j’danse sur sa tombe !
— Faut pas dire des choses comme ça…
— Je dis c’que j’veux, et personne a le droit me faire la morale, même pas toi ! Ça t’pose un problème que je souhaite sa mort ? De toute façon, j’suis pédé, j’vais aller en enfer quoiqu’il arrive, alors j’peux dire tout ce que j’veux, parce qu’à la fin ça reviendra au même !
Alec se tut. Il pensa que c’était la meilleure chose à faire. Il chercha à comprendre ce qu’il y avait derrière toute cette colère, où elle prenait source, depuis quand elle brûlait dans ses yeux, et comment elle animait ce corps tout entier...
Il savait que Ruben avait un grand coeur, mais sa bouche était pleine de venin, et elle empoisonnait tous ses mots. Alors pour l’empêcher de continuer à le faire, il approcha son visage du sien, et colla ses lèvres sur les siennes…
Il savait qu’il avait ce pouvoir de calmer Ruben, et il sentit tout son corps s’apaiser. Ses lèvres se moulaient doucement sur les siennes, ses mains se baladèrent dans le bas du dos d’Alec, et ses doigts le tirèrent vers lui pour que leurs deux corps finissent collés l’un contre l’autre. Alec posa sa main sur la poitrine de Ruben, il pouvait sentir les battements de son coeur : ils étaient rapides et puissants.
Leurs lèvres se séparèrent, mais leurs visages restèrent tout près l’un de l’autre, Alec pouvait l’entendre respirer doucement.
— Désolé de m’être énervé… souffla Ruben.
Alec se mit à sourire malicieusement.
— Je pensais pas que tu dirais ça un jour.
— Que j’suis désolé ?
— Ouais…
— Moi aussi, je pensais pas !
Ruben aussi retrouva le sourire, et ses yeux s'éclaircirent. C’était fou comme ils semblaient changer de couleur en fonction de son humeur, même si ce n’était un détail et qu’Alec devait probablement être le seul à avoir remarqué.
En même temps, personne n’avait dû observer les yeux de Ruben aussi longtemps que lui… C’était presque devenu une fascination pour lui.
— Aujourd’hui, c’est moi qui gère pour l’endroit où on va bouffer !
Ruben avait l’air tout fier de lui, et Alec sentait une petite boule au ventre. Il avait l’impression que quelque chose se préparait. Ruben avait radicalement changé d’expression, il affichait un gigantesque sourire qui éclairait tout son visage, alors qu’il était en train de s’énerver deux minutes plus tôt. C’était comme s’il était passé à autre chose sans aucune transition. Juste… brutalement, comme ça.
— Tu m’emmènes où ? demanda Alec.
— Tu vas voir !
Ruben le tira par le bras, et l’entraîna dans les rues de Paris. Ils passèrent à côté de la station de métro sans y descendre, ça veut dire qu’ils allaient faire le trajet à pied, et donc que l’endroit était tout proche.
Tout proche de son lycée…
Annotations
Versions