Chapitre 68

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Alec fronça les sourcils. Ce n’était pas normal, rien de tout ça n’était normal. Marion regarda partout autour d’elle, sans doute pour vérifier que Jordan n’était pas là, en train de les épier. Puis elle se leva et invita Alec à la suivre d’un petit geste de la main.

Elle sortit de la classe et marcha jusqu’à la cage d’escaliers. Il n’y avait personne, c’était l’endroit parfait pour parler sans être dérangé.

— Qu’est-ce qui s’passe ? lança-t-il, agacé.

— Matthieu t’a raconté…?

Elle leva les yeux vers lui avec un air de chien battu. Elle faisait vraiment pitié à voir, comme ça.

— Oui, et il m’a tout dit.

— Il m’a fait douter… J’pensais que j’étais vraiment amoureuse de Jordan, mais là je sais plus rien… Je sais même pas pourquoi j’ai embrassé Matt, c’était une erreur…

— Non, j’pense plutôt que ça t’a ouvert les yeux. L’erreur, c’était de sortir avec Jordan.

Tout le corps de Marion se crispa lorsqu’elle entendit cette dernière phrase. Elle se redressa et lui lança des éclairs avec les yeux. Il y avait une sorte de… colère, dans son regard. Mais il s'en foutait. Quitte à briser leur amitié, il voulait absolument qu'elle arrête de côtoyer Jordan.

— Arrête de raconter des conneries ! J’aime Jordan, et tu pourras pas me convaincre du contraire !

Elle était agressive, ça ne lui ressemblait pas. Elle semblait à bout de nerfs, elle de ne devait pas avoir bien dormi depuis un moment, son corps tremblotait, son front était trempé. Elle respirait fort.

Trop fort.

— T’as changé depuis que t’es avec lui. T’étais pas aussi violente.

— J’me suis affirmée grâce à lui, il a appris à avoir confiance en moi.

— T’as maigri.

— Je fais un régime.

— Il te l’a demandé ?

Elle soupira longuement et baissa la tête.

— Oui et non… Enfin… il me l’a fait comprendre.

— Et c’est quoi, ton régime ?

— Je mange plus le soir, et j’ai arrêté la viande, le fromage et les desserts.

— Et tes parents, ils disent quoi ?

— J'leur ai dit d’aller se faire foutre.

Alec leva les yeux au ciel. Il connaissait bien ce genre de phrases maintenant.

— Et tu trouves ça bien ?

— Bien sûr ! J’me sens mieux dans ma peau, j’ai enfin l’impression d’avoir le contrôle sur ma vie, d’être quelqu’un de normal !

— Et le fait de t’affamer et de détruire ta santé, c’est bien ?

— Je m’affame pas du tout, au contraire ! J’me sens encore plus forte qu’avant !

— Alors pourquoi tu trembles ?! hurla-t-il subitement.

Ses mots résonnèrent un instant dans la cage d’escalier, et furent suivis d’un long silence. Marion n’osait plus le regarder en face et était paralysée. Lui-même était un peu secoué, et regretta aussitôt d'avoir haussé le ton aussi brutalement.

Il prit une grande inspiration en fermant les yeux, essayant de se calmer et de réfléchir. Ça ne servait à rien de gueuler, ça ne faisait qu’empirer la situation. Il posa sa main sur l’épaule de Marion.

— J’suis désolé, j’voulais pas m’énerver.

— C’est rien… soupira-t-elle.

Il avait l’impression d’être un mauvais ami, d’avoir complètement perdu le contrôle des choses, d’avoir été aveuglé par son amour pour Ruben, et d’en avoir oublié tout le reste. Et là, non seulement il n’avait rien vu de ce qui était en train de se passer, mais il perdait les pédales et devenait même brutal avec elle.

Jamais il n’aurait été capable de lui crier dessus...

Il déglutit.

— Il t’a demandé d’autres choses ?

Elle mit quelques secondes à répondre.

— Oui…

— Tu peux me dire… Ça restera entre nous.

— Il a voulu qu’on le fasse…

Alec blêmit.

Ce n’était même pas surprenant, venant de Jordan. Et pourtant, il s’était forcé à croire que ça n’arriverait pas. Ce mec en voulait juste pour le sexe, il prenait les filles et s’en servait pour nourrir son orgueil sans limite.

— Et t’as répondu quoi ? demanda-t-il, fébrile.

— Je… j’me sentais pas prête, mais j’avais honte de lui dire… J’avais peur qu’il s’énerve… Alors j’lui ai dit que j’avais mes règles…

— D’accord, je vois…

— Oui…

— Je dirais rien, t’inquiète pas…

— Merci…

La voix d’Alec était tremblante, sa gorge était nouée. Celle de Marion semblait juste fatiguée, comme si elle était totalement insensible à tout ça, et qu’elle continuait à subir sans trop avoir l’air d’être touchée, sans vraiment se rendre compte de ce qui était en train de se passer, comme si elle était embarquée dans un mauvais rêve et que tout était encore trop vague dans son esprit.

— J’vais essayer de réfléchir à tout ça, et puis on en reparlera… Ok ?

— Oui, répondit-elle un peu froidement.

— Tu l’aimes vraiment…?

Elle se tourna vers lui et le dévisagea. Son visage se durcit, elle le regarda d’un air accusateur, les mâchoires serrées.

— Je t’ai dit que oui ! C’est incroyable ça, personne veut croire en nous, tu penses juste qu’il est toxique pour moi, mais tu sais pas c’qui se passe entre nous deux !

— J’suis désolé… bredouilla-t-il.

Il se sentit con d’avoir posé la question. Il connaissait bien cette impression d’être le seul à aimer quelqu’un, il savait à quel point ça faisait mal de voir que tout le monde le prenait pour un fou. Et il venait de se rendre compte qu’il était pareil avec Marion, qu’il la faisait souffrir de la même manière qu’il avait souffert…

— J’te comprends… lâcha-t-il.

Elle secoua la tête. Ses yeux étaient injectés de sang.

— Nan, tu peux pas comprendre… Personne peut savoir…

— Si… Moi je peux…

Il n’osa plus dire le moindre mot. Il sentait qu’il allait craquer, il était au bord des larmes.

Marion le regardait, à la fois triste et intriguée. Et il tourna la tête, un peu honteux.

— J’vais y aller.

— D’accord.

Il sortit de la cage d’escaliers. Il avait l’impression de s’enfuir comme un voleur, sans avoir pris la peine de finir cette conversation. Il était remué, tout son corps était secoué, il ne marchait même pas droit, ne regardait pas où il allait. Il marchait pour marcher, comme un robot, sans aucun but.

Et sa tête chauffait. Son cerveau tournait à plein régime, il réfléchissait à ce qu’il allait faire, les idées défilaient dans sa tête à tout vitesse.

Mais au fond, il savait déjà ce qu’il allait faire…

***

Le même jour, 19h33…

Il faisait sombre. La rue était mal éclairée, le lampadaire illuminait juste la route, laissant le trottoir dans l’obscurité. Alec avait le front collé à sa fenêtre, observant cette rue vide, dont le silence était perturbé par une voiture de temps en temps.

Son portable vibra dans sa main. Il jeta un coup d’oeil à la notification qui s’afficha à l’écran. Son visage resta impassible. Il éteignit son téléphone et le posa sur son bureau. Puis il poussa un long soupir, et se leva.

Il sortit de sa chambre, descendit les escaliers, et arriva dans le salon, où sa mère était en train de cuisiner.

— J’vais acheter du pain ! lança-t-il.

— À cette heure-ci ? T’es sûr que c’est pas fermé ?

— Nan, on est lundi. Il reste ouvert jusqu’à 20h.

— Tiens, y a un peu d’argent qui traîne sur la table.

Il prit une pièce de 2 euros et sortit de la maison. Le froid lui claqua au visage, il aurait mieux fait de prendre une veste. Mais il avait la flemme de faire marche arrière, et puis ça ne durerait pas longtemps, de toute façon. Alors il avança d’un pas rapide, en essayant de faire abstraction du froid.

La boulangerie était juste à côté de la gare, il ne tarda pas à y arriver. La chaleur à l’intérieur lui faisait du bien. Il commanda deux baguettes, elles étaient froides mais ça ne le dérangeait pas. Il paya et salua le vendeur avec un petit sourire.

Son coeur était en train de s’emballer, son stress montait à grande vitesse. Il regarda à nouveau son portable, pour être sûr de lui. Il relut le message qu’il avait reçu dix minutes plus tôt, juste avant de partir de sa maison :

« J’suis à la gare, viens »

Il souffla un bon coup. Il n’y avait aucune raison de s’inquiéter, tout allait bien se passer…

Il releva alors la tête, et il le vit, poireautant devant la gare.

Et lui aussi le remarqua...

Alors Alec s’avança vers lui, fébrile. L’ambiance était bizarre, il était mal à l’aise. Ils n’étaient que tous les deux, dans cette nuit trop froide et trop sombre. Il ne savait même pas vraiment dans quoi il s’était embarqué, il s’était dit que c’était pour la bonne cause, pour aider Marion.

Mais là, il se sentait… en danger.

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