Un bonbon virvoltant
Dame Danaestria avançait d’un pas lent et gracieux vers la dame supérieure, qui, assise sur le promontoire assistait aux préparatifs avec soin. Malgré son grand âge qui avait décoloré ses longs cheveux soyeux jusqu’au blanc le plus pur et qui avait peu à peu distendu et raviné sa peau, ses yeux étaient toujours excellents.
- Dame Anadeline.
- Hum… Oui. Venez donc ma jeune amie. Que pensez-vous ?
- J’espère que ce sera parfait. Les enjeux m’effraient quelque peu.
- Ce le sera. Regardez donc la beauté de ces voiles.
En grimpant à la suite de la vieille femme, Danaestria se retrouva perchée loin au-dessus de l’estrade dans une position où elle pouvait tout voir. Les coulisses où les artistes qui avaient été patiemment sélectionnés se préparaient avec soin. La scène où se déroulerait la danse la plus sensuelle que Dame Anadeline avait sélectionné et bien-entendu, l’immense hublot courbé qui pour le moment, ne laissait voir qu’un sombre décor brunâtre qui laisserait bientôt place aux yeux curieux.
- Vous êtes sûre que le trio est notre meilleure chance d’être sélectionné ?
- Certaine, mais le final sera complet, comme à chaque fois.
- Cela ne vous parait pas un peu faible ?
La plus âgée lâcha un rire et lui répondit, de sa vieille voix, rendue douce par les années mais n’ayant rien perdu de sa teinte malicieuse qui l’avait toujours habitée.
- La surprise n’est jamais une faiblesse dans un spectacle. La surprise est toujours le point d’orgue.
Lentement, les danseurs sélectionnés approchèrent de la porte menant des coulisses à la scène. De là où elles étaient, elles pouvaient voir la concentration de leurs visages, leurs épaules tendus et leurs corps parés comme les plus beaux des bijoux. Danaestria acquiesça silencieusement, oui, c’était peut-être un bon choix.
***
Levé de rideau.
Le spectacle commence.
Le premier mouvement n’était qu’une ondulation le long du corps d’Alberta, il partait de la courbe de sa joue, gagnait son cou, virevoltait le long de son épaule et fondait jusqu’à sa hanche. Les voiles blancs dansaient sur sa peau noire, la caressant, l’embrassant, la soulignant sans toutefois accepter de la dévoiler pleinement.
Alberta avait le corps d’une déesse, chacun de ses mouvements n’était que grâce et cela ne rendrait que la tâche plus difficile pour les deux danseurs immobiles derrière elle, parfaitement aligné et partiellement masqué par son corps féminin. Elle leva un bras, amenant sa main jusqu’à sa propre joue, embrassa ses doigts puis descendit lentement jusqu’à son poignet pour défaire l’attache légère qui maintenait le voile.
Il tomba en cascade à ses pieds et elle dansa autour de lui tout en défaisant son costume, pièce par pièce, abandonnant le blanc criard pour n’offrir bientôt au regard plus que le marron sombre de sa peau. Ses tétons noirs d’encre trônaient fièrement sur sa poitrine et chaque mouvement ne faisait que la mettre davantage en valeur.
Puis elle se retourna vers le second danseur, le caressa sans qu’il ne bouge, laissant admirer la différence de leurs teintes. Elle joua avec ses voiles, les préparant à son corps qui seraient bientôt nu, puis l’embrassant et comme on transmet le souffle d’une vie, elle se figea dans le mouvement et il prit le relai.
Sa danse n’était pas moins délicate ou sensuelle et s’il n’avait pas sa grâce ou sa souplesse, il avait autre chose. C’était quelque part dans les muscles forts de ses bras, dans le port altier de son cou ou peut-être dans sa démarche qui semblait clamer haut et fort : je suis à la fois un roi et une reine. Je suis à la fois ton roi et ta reine. Assister au spectacle de le voir se dépouiller de ses voiles ressemblaient à une forme de privilège. Il offrit en même temps, dans un geste vif et déchirant, la vue de sa verge, fièrement dressée contre son ventre et habillé de trois bagues d’or et celle de ses seins pleins, aux tétons percés d’ors eux aussi. L’éclat du métal précieux s’accordait parfaitement à celui de sa peau qui n’était qu’une nuance de brun pâle. Jamais parfaitement identique et qui faisait pourtant l’effet d’une étoffe précieuse.
Il tourna sur lui-même, bougea comme le roi qu’il était envahissant l’espace, profitant de chaque centimètre carré de la pièce, sautant et bondissant avec une puissance qui ferait pâlir d’envie bien des athlètes. Puis il se fit plus sauvage encore, lâchant le contrôle de ses émotions, exigeant, demandant et ordonnant tour à tour comme la reine qu’il était également. Puis dans ce qui semblait être un grand cri, il se mit à courir et laissa son corps s’abattre sur celui du troisième danseur, l’embrassant à pleine bouche et lui transmettant le souffle de vie. Suspendu à son corps, le second danseur ne bougeait plus. Les mains fortes du troisième se plaquèrent sur son dos et l’entraînèrent dans une danse virevoltante. Les voiles qui les accompagnaient vinrent effleurer la danseuse et bientôt, il l’embrassa elle aussi, se figeant de nouveau.
A tour de rôle, ils se rendirent le baiser, terminant de dénuder leurs partenaires et dévoilant les trois variations de leurs corps. Lentement, captivant le regard du spectateur, ils firent la jonction entre eux, se caressèrent et s’aimèrent sans aucune forme de pudeur. Leurs corps s’allongèrent dans un doux spectacle, le pénis épais de l’homme pénétra la vulve douce de la danseuse alors que celui qui était roi et reine dansait au-dessus de leurs corps unis, vivant leur accouplement comme s’il était chacun d’eux à la fois.
A l’étage, Anadeline murmura : « Et maintenant, l’acte final. »
Cela arriva avec la jouissance de commune des trois danseurs. De toutes parts, les voiles des coulisses se soulevèrent et des dizaines de danseurs arrivèrent en courant, effectuèrent quelques pas de danses, offrirent leurs corps à la vue du public et s’aimèrent dans un spectacle qui était moins coordonnés qu’intenses à ce stade-là.
***
Anadeline observa l’immense vitre qui les séparaient des yeux avec attention. Il n’y en avait que deux. Immenses, gigantesques et curieux. Pétillants de malices et observant chaque recoin de leur petit théâtre. Par deux fois, il cligna des yeux, dévoilant d’immenses paupières pâles, puis les rouvrit, les éclairant presque du bleu aveuglant qui les composaient. Le géant adorait leurs représentations, que ce soit de simples orgies ou des danses sexuelles, mais la surprise se devait d’être entière.
Soudain, les yeux partirent alors que le spectacle se terminait, ils passèrent lentement devant sa bouche souriante et retombèrent de plus en plus bas vers sa barbe épaisse. Anadeline sourit, satisfaite, et frappa de sa canne par trois fois pour attirer l’attention. Lentement, les coïts cessèrent dans un bruit chaud et humide, empli de gémissements.
- Bravo à tous ! Vous avez fait du très bon travail ! Nous avons une semaine pour préparer la prochaine scène mais ce ne sera pas aujourd’hui que nous nous ferons croquer ! Pour la semaine prochaine, ce sera Dame Danaestria qui vous guidera. Je vous prie d’être aussi charmant avec qu’elle que vous l’avez été avec moi pour qu’elle puisse chorégraphier son propre fantasme correctement.
Danaestria posa une main amicale sur l’épaule de la Dame plus âgée qui se rassit en soupirant. Vivre ainsi, de semaines en semaines avait un charme qu’elle avait appris à aimer même si attendre de savoir si le couperet tomberait n’était pas réellement plaisant. Un jour où l’autre, l’immense géant se lasserait de leur manège et les goberait tout cru. Il les remplacerait par l’une de ces nouvelles billes terriblement fades et les regretteraient sans doute. Ou peut-être aurait-il la malice de le conserver encore quelques siècles ? La vieille dame observa les danseurs qui repartaient déjà comme ceux qui finissaient de s’offrir un plaisir fugace. A côté d’elle, Danaestria avait un sourire mutin et elle lui confia dans un sourire :
- S’ils doivent mourir la semaine prochaine, ce sera pendant un orgasme.
- Voilà qui me semble parfait, ma chère, mais je ne doute pas qu’ils vivront… jusqu’à l’orgasme suivant au moins !
note : Aujourd'hui, je triche ! Ce que vous venez de lire est une nouvelle écrite et non partagée au mois de janvier quand j'ai voulu tester le projet Bradbury avant de devoir abandonner. Je me suis dit que ce serait chouette de vous les montrer ce mois-ci dans cette collection de nouvelles malgré tout. Il n'y en a que 2 mais ça vous fera de la lecture :) Le mot du jour aurait dû être "oubli"...
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