Le prince charmant

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Il observa un long moment ce que l’on venait de lui offrir. C’était un ticket. C’était la première fois qu’il en avait un et il resta ébahi à l’idée même de le posséder. Lentement, il ramena le ticket contre lui et le glissa dans la poche de son sweat.

- Il faudra respecter l’heure. Je sais que vous autres n’êtes pas doués avec les horaires, mais si tu es en retard, on ne te prendra pas dans la ronde.
- D’accord, merci monsieur.
- Ouais, c’est ça.

Le Cryptique observa l’humain s’éloigner. Il détestait cette espèce, des petits êtres sales et puants, lents et paresseux. Donner un ticket à un tel être le dégoutait réellement. C’était un honneur qu’il ne méritait pas alors il grogna un peu avant de s’éloigner.

L’humain, lui, caressait doucement son ticket. Le papier était doux. Il aurait besoin de le cacher durant les deux jours qui le séparaient du rituel du prince charmant. Il ne put pas aller bien loin avant qu’un autre Cryptique le saisisse par le bras pour lui crier dessus. Il se tassa un peu sur lui-même.

- Qu’est-ce que tu crois faire à errer comme ça ? Va nettoyer !
- Ou-oui, monsieur. Merci.

Une gifle jeta son visage sur le côté et l’humain répéta « merci » un peu plus doucement, attendant que la créature immense en comparaison avec lui accepte de le lâcher pour qu’il puisse obéir. Dès que cela fut fait, il se précipita vers le placard le plus proche pour faire du nettoyage. Peu importe que ce ne soit pas son rôle, pas son quartier et qu’il ait seulement répondu à l’appel pour venir chercher le ticket. Peu importe. Il était simplement humain et cela supposait un certain nombre d’ennui.

Jour 1.

Le visage bas, caché sous une capuche même s’il ne pourrait pas du tout dissimuler qu’il était humain, il s’approchait de la zone de la ronde avec près d’une demi-heure d’avance. S’il parvenait à se faire inscrire en premier, il pourrait peut-être attendre à l’intérieur ? Ce serait une bonne chose, malheureusement, il n’y avait personne à l’accueil. Il se cacha dans un coin, hésitant. Il ne voulait pas faire du ménage. S’il se mettait à genoux, il allait salir son pantalon.

Dès que la Cryptique arriva à l’accueil, il s’avança et tira son ticket de sa poche pour le lui tendre respectueusement tout en s’inclinant comme il l’avait appris à coup de badine dans le dos.

- Qu’est-ce que tu crois faire, sale humain !?
- J’aimerais rentrer dans la ronde, madame.
- Et passer avant tout les autres, hein ? Tout pour vous, les humains, comme toujours ! Sale petit rongeur !

Elle chassa sa main et son ticket d’une claque et lança qu’elle ne le ferait passer que plus tard.

- D’accord, merci madame. Merci.

Il recula gentiment, mais après une telle scène, tous les regards étaient à présent sur lui et il se sentit d’autant plus vulnérable. Tout le monde avait vu son ticket à présent. Les futurs participants à la ronde comme leurs accompagnateurs. Quelques-uns n’hésitèrent pas à venir le convaincre qu’il n’avait rien à faire dans un tel lieu. Mais l’humain ne se laissa pas dépouiller de son ticket et ne céda pas.

Lorsqu’il revint se présenter à l’accueil, il avait une marque rouge assez importante sur une pommette et ses côtes le faisaient horriblement souffrir.

- Et c’est maintenant que tu arrives ! Presque tout le monde est passé espèce d’idiot !
- Pardon, madame.

Il lui tendit son ticket à deux mains tout en courbant dans une révérence profonde. Elle soupira et lui arracha le papier des mains avec brusquerie et se comporta comme si elle lui faisait un cadeau particulièrement important et qu’il n’avait absolument pas mérité. C’était sans doute le cas d’ailleurs.

- Archibald, humain, F12.
- Oui, madame.
- Ronde centrale et dépêches-toi ! Les Cryptiques en ont marre d’attendre les humains !
- Oui, madame, merci beaucoup.

Il s’inclina à nouveau et passa rapidement la porte même s’il savait que c’était inutile. Quand il était arrivé à l’accueil, un Cryptique venait tout juste de passer et ce n’était pas le dernier attendu. Ça, il le savait parce que malgré tout, il avait compté. Les rondes demandaient toujours des nombres paires… et c’était le plus souvent des rondes de vingt personnes. Il s’était présenté en seizième.

A l’intérieur, les choses ne s’améliorèrent pas car immédiatement plusieurs Cryptiques s’approchèrent pour le chasser, lui ordonnant littéralement de partir. Archi baissa la tête et arrondie les épaules, prêt à encaisser des coups mais pas prêt à partir pour autant. Il avait horriblement peu de chances de réussir à trouver un prince charmant et il le savait déjà parfaitement. Mais il était éligible depuis ses seize ans. Il en avait vingt-quatre à présent et c’était la première fois qu’il recevait un ticket. Il n’en aurait peut-être plus jamais. Alors il encaissa les reproches ainsi que trois gifles dont la dernière ferma un peu son œil droit, néanmoins, lorsque la ronde intérieure se forma, il s’y inséra.

La règle était simple. Deux rondes. La première comportait les suppliants. La seconde les princes, des Cryptiques hauts gradés pour leurs âges. Le cœur d’Archi battait un peu plus vite lorsque la seconde ronde se forma autour d’eux, les encerclant. Face à lui, il y avait un jeune Cryptique magnifique. Cette espèce était très grande, les plus petits faisaient assurément plus de deux mètres. Ils possédaient une peau épaisse et dure, à tel point que leurs visages bougeaient très peu. Ils appelaient les humains « rongeurs » ou « rats » car ils leur semblaient minuscules, rachitiques et indésirables. Après quelques siècles à vivre aux côtés de Cryptiques, la majorité des humains peuplaient à présent les poubelles, renforçant le surnom dégradant. Le Cryptique face à lui laissa échapper un grognement bas, très menaçant, parce qu’il avait osé le regarder. Aussitôt Archibald baissa la tête et tira un peu plus sa capuche sur sa tête.

La musique débuta et lentement, la ronde extérieure se mit en mouvement, puis ce fut le tour de la ronde intérieure. Ils tournèrent, tournèrent, tournèrent. Puis soudain la musique cessa et comme une seule personne, ils s’arrêtèrent tous. Un grand silence se répandit. Archi leva les yeux et émit un petit gémissement. Il avait reconnu le Cryptique et à présent, il souhaitait ne jamais être venu. Il avait fait une grave erreur. Le mâle le saisit par le bras et le secoua tout en le soulevant légèrement du sol. Archi fit de son mieux pour ne pas émettre de bruits, les couinements avaient tendance à les rendre à moitié fou. Le Cryptique le traina jusqu’à un autre et lança :

- Jo’kna ! Tu dis bien que nous devons respecter les autres espèces hein ?

Le dit Jo’kna était énorme, imposant et s’il était humilié, ça retomberait sur lui se disait Archi sans savoir comment se sortir de cette situation. Il fut à nouveau secoué et cette fois-ci, il lâcha un petit cri sous la douleur de son épaule tordue. Les Cryptiques ne faisaient pas exprès. Les humains étaient simplement trop petits et fragiles.

- En effet, répondit finalement Jo’kna.
- Alors tu me l’échanges ?

Jo’kna ne sembla pas aussi ulcéré par l’idée que celui devant lequel il s’était arrêté. Se faire échanger contre un humain, quel déshonneur ! Ce fut vite réglé puisqu’il promit de nombreuses autres choses et services en plus d’Archibald.

- Très bien. Je prendrais donc l’humain.

Archibald fut enfin lâché et immédiatement il saisit son coude pour immobiliser son bras douloureux. Il n’osa pas lever la tête, mais devant lui, il y avait son prince charmant.

Jour 3.

Archibald avait réenfilé ses plus beaux habits. Jo’kna n’avait jamais rien dit là-dessus, même lorsque la veille, il était arrivé recouvert d’immondices. Le trajet entre son logement, quasiment un placard, et la zone principale était rarement calme. Voir un petit humain se balader sans travailler, ça énervait absolument tout le monde. Avant de franchir sa porte, il lissa ses vêtements de ses doigts bleutés par les hématomes et soupira. Il fit de son mieux pour se composer un masque neutre et poussa sa porte avant de s’arrêter. Un Cryptique l’attendait directement à la sortie. Archibald recula sous la peur, ce qui était pourtant toujours une mauvaise idée et le Cryptique pencha la tête sur le côté, dans une attitude étrange.

- Jo’kna ?
- Oui. Tu as toujours du mal à nous différencier ?
- J-J’apprend.
- Comment vas-tu aujourd’hui ?
- J’ai passé une bonne nuit et toi ?

C’était étrange. Jo’kna faisait tout pour avoir ce qu’il appelait une « communication saine ». Il posait des questions, attendait de véritables réponses, cherchait à comprendre la communication humaine et faisait de son mieux pour en adopter certains traits quand il était avec lui.

- Qu’est-ce que tu fais ici dis-moi, je pensais que l’on se retrouvait en zone centrale ?
- Oui, mais tu changes de couleurs.

Archi fronça les sourcils sans vraiment comprendre puis fit de son mieux pour faire disparaitre cette crispation. Les Cryptiques ne présentaient quasiment aucun mouvement de visage et voir la peau des humains « se chiffonner » était une source de moquerie autant que de dégout. Jo’kna saisit sa main avec une douceur stupéfiante et la leva jusqu’à ses yeux tout en murmurant :

- Regarde, tu changes de couleur.
- Oui… Je… Ça va passer d’ici quelques jours ou un peu plus… mais ça va passer.
- Pourquoi est-ce que tu changes de couleur ?
- Je… Ce n’est rien.
- Ça n’a pas l’air rien et je préfèrerai savoir.
- On peut changer de couleur parce qu’on a froid, chaud, parce qu’on ressent certaines émotions… mais aussi parce qu’on est blessé.
- Tu es blessé ?

Archi acquiesça doucement avant d’essayer de rassurer Jo’kna. Le Cryptique avait l’air inquiet pour lui. Et c’était pour ça qu’il se tenait là, pour l’escorter comprit-il soudain en rougissant, s’attirant un nouveau regard curieux de son compagnon.

Jour 5.

Archibald marchait le long du chemin d’observation, un très long chemin qui faisait le contour du vaisseau pour permettre de regarder l’espace. Il n’y serait jamais allé sans Jo’kna mais avec lui, il ne risquait rien. Chaque jour, ils se fréquentaient, ils parlaient et faisaient de petites activités l’air de rien. Chaque jour, Jo’kna en apprenait un peu plus sur les humains.

Les humains avaient une très mauvaise réputation mais le Cryptique s’était toujours demandé si ce n’était pas avant tout des incompréhensions. Il était toujours choqué d’apprendre que l’humain avait besoin de dormir plus de quatre heure d’affilées ! Les micros-siestes cryptiques le laissaient épuisé. Alors ce n’était pas surprenant qu’on le trouve fainéant mais c’était uniquement un manque de connaissances. Il avait également peu de force alors impossible de leur confier le moindre travail d’adultes. Ils ne pouvaient faire que des travaux destinés aux punitions, donnant continuellement l’impression qu’il venait de commettre un méfait quelconque.

Jo’kna était réellement ravi d’apprendre à mieux connaître cet humain et il découvrait, derrière les couches d’idées reçues et de méconnaissances, un petit mâle courageux, réfléchi et débrouillard qui pouvait également s’avérer très curieux. C’était un véritable bonheur de l’avoir pris et d’être son prince charmant pour la semaine. Il se régalait à lui montrer toute sorte de chose auquel il n’aurait jamais eu accès autrement et à chaque fois qu’un Cryptique n’était pas courtois, il avait une occasion de se montrer sous son pire jour. Tempêtant et menaçant tour à tour. N’importe quel Cryptique aimait ça. C’était tellement bon de se sentir utile, de montrer que l’on peut être protecteur, que l’on peut y arriver et que l’on digne d’intérêt. Pourtant, à chaque fois, son petit humain semblait un peu honteux comme s’il était coupable de la situation. Pour Jo’kna c’était difficile. Il devait apprendre à doser.

Ce jour-là, tout en faisant le tour du chemin, il chassa trois Cryptiques différents en dévoilant une rangée de dents acérées, il en repoussa deux autres pour qu’ils cèdent leurs places à Archibald et se régala de leurs regards courroucés. Mais le plus délicieux ce fut un instant sur une plateforme d’observation. Il saisit son corps chaud entre ses bras, le câlina gentiment et posa un baiser tendre dans son cou tout en inspirant son odeur. Ce fut vraiment bon mais aussi un peu inquiétant car l’humain changea à nouveau de couleur tout en lui promettant que ce n’était pas grave.

- Ne… Ne… C’est juste de l’émotion. Promis.

Alors Jo’kna ne se priva pas de recommencer, embrassa la ligne de son cou jusqu’à son oreille sensible.

Jour 6.

- Est-ce que si je te le demande tu me le diras ? demanda soudainement Jo’kna.
- Te dire quoi ?
- La vérité. On dit que les humains parlent sans dire la vérité. Vous aviez même un mot pour ça, non ?
- Oui, mentir.
- Est-ce que tu vas me mentir ?
- Non. Je n’en ai pas besoin.
- Comment peut-on avoir besoin de mentir ?

Archi se mordilla la lèvre et souffla :

- On peut mentir quand on a peur des conséquences. Je pourrais avoir peur de ta réaction.
- Mais tu n’as pas peur ?
- Non, je n’ai pas peur de toi.
- D’accord.

Un long silence se passa puis Archibald demanda :

- Tu ne me poses pas ta question ?
- Non, je crois que je préfère ignorer la réponse.
- Pourquoi ?
- Parce que je suis bien avec toi dans mes bras.

Archibald se serra un peu plus dans les bras durs qui s’étaient enroulés autour de lui. C’était agréable. Il aimait réellement ça. Pire, il se sentait en sécurité dans les bras de Jo’kna.

Jour 7.

Jo’kna l’avait escorté en silence jusqu’à la salle dans laquelle ils avaient fait la ronde. C’était aujourd’hui qu’ils devraient donner leurs réponses. Il sentit bien son humain se raidir dans ses bras en rentrant, mais il ne comprit pas pourquoi.

- Que se passe-t-il ?
- Est-ce qu’on peut passer en dernier ? Cela énerve beaucoup de monde de voir un humain passer avant eux…
- Et bien tant pis pour eux. Personne ne viendra rien te dire tu sais ? Et s’ils viennent, je serais là pour répondre.

Archi baissa un peu la tête. Jo’kna était doux, vraiment adorable, mais il ne pouvait pas comprendre ce que c’était que de vivre comme il avait vécu durant des années. Mais il avait néanmoins raison. Il était là pour répondre alors personne ne vint s’en prendre à lui.

Au moment de leur passage, Jo’kna glissa sa main tout le long de son dos et se détacha totalement de lui. Le laissant étrangement seul. Durant toute la semaine il avait été présent, alors c’était d’autant plus étrange.

Une Cryptique cracha la question, le mettant presque au défi de répondre « non ». Il ne le ferait pas. Même si Jo’kna avait été le pire des monstres, il aurait répondu « oui ».

- Est-ce que Jo’kna est un prince charmant ?
- Oui.

La Cryptique se tourna vers Jo’kna et posa la question suivante d’une voix goguenarde. Elle avait raison quelque part. C’était la fin du rêve. Archibald avait passé une excellente semaine grâce à lui, mais ses chances que ça aille plus loin étaient proches du nul.

- Est-ce qu’Archibald a été un parti convenable ?
- Oui.

La Cryptique s’arrêta, surprise. Le cœur d’Archi s’était emballé sous l’émotion. Il lui avait offert un « oui » et ça assurait une certaine promotion au sein de leur société. Par ce simple mot, il obtenait l’accès pour certains niveaux du vaisseau ! C’était tout ce dont il pouvait rêver et un sourire, un peu abasourdi déformait à présent ses traits. La Cryptique reprit, plus lentement.

- En tant que prince charmant désirez-vous prendre ce parti ?
- Oui.
- Vous… Vous êtes sûr ?
- Certain.
- Ah…

Elle hésita et se tourna vers l’humain.

- En tant que parti acceptez-vous ce prince charmant ?
- Oui.

Elle acquiesça et recula en appelant le binôme suivant sans plus s’occuper d’eux. Jo’kna s’approcha de son humain et le remercia doucement avant de poser ses lèvres épaisses sur celles si douces d’Archi.

A l’arrière de la salle, plusieurs couples étaient déjà occupés à célébrer leurs unions en copulant joyeusement, Jo’kna les tira en pleins milieux sans s’occuper des regards surpris. Il caressa son compagnon et le déshabilla lentement, sans lui permettre la moindre pudeur. Ce n’était pas évident pour Archibald qui avait appris à avoir honte de son corps et qui n’avait pas envisagé qu’il puisse réellement répondre « oui » aux deux questions. Les Cryptiques ne mentaient pas certes, mais le plus souvent ils se taisaient !

Les mains épaisses de Jo’kna furent de partout sur lui en un rien de temps. Ce fut là qu’ils firent l’amour pour la première fois. Là, sous les regards curieux de sa peau qui changeait de teinte, que le pénis épais de son compagnon le pénétra dans une longue poussée brulante. Là, qu’il haleta sans pouvoir se retenir, amusant Jo’kna qui se fit un malin plaisir de lui tirer davantage de bruit. Là, qu’il éjacula également après que sa prostate ait été fortement sollicitée. Et ce fut enfin là qu’il reçut le sperme de son compagnon, au fond du rectum, toujours sous le regard des autres.

- Tu as été parfait, murmura Jo’kna en reculant doucement.

Archibald poussa une série de petits cris aigus alors que le sexe épais de Jo’kna sortait de lui et la réponse de son compagnon fut d’embrasser ses joues rosies tout en le serrant un peu plus contre lui. Que son petit humain était adorable, pensa-t-il, heureux.

Note : et je continue de tricher avec la dernière nouvelle écrite en début d’année…

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