Chacun son rôle

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La cloche sonne, Eikichi est sur le ring. En face de lui, un Américain, il doit faire deux fois la taille d'Eikichi. Et pourtant, il reste calme. Moi, je suis assise, avec Yokko et l'équipe de foot, tous les gars gueulent pour l'encourager, et Yokko me regarde, elle semble inquiète. Dans son regard, je lis de l'incomprehension. Elle est stressée à l'idée de me poser cette question, je peux le voir, le sentir, son souffle est court et ses mains tremblent légèrement, elle transpire également, passé autant de temps avec Eikichi m'a obligé à apprendre à voir ce genre de choses. Il n'est pas forcément du genre à parler des sujets qui fâchent, sa manière de faire, c'est plutôt de sourire et faire comme si de rien était, avec lui, je suis obligé de savoir lire sur les visages. Et avec Yokko, c'est encore plus facile.

On se connaît depuis longtemps, très, très longtemps, depuis la maternelle en fait. C'est ma plus vieille amie et je me souviens encore du jour où elle m'a dit être amoureuse d'Haru, on devait avoir quelque chose comme 7 ou 8 ans. Dire que je peux lire en elle comme dans un livre ouvert serait un euphémisme.
Le combat commence, les échanges sont féroces, Eikichi est toujours aussi agressif, mais son adversaire semble être une véritable tortue, sa défense semble impénétrable. Une force incoercible contre un objet immuable, ce combat semble s'approcher de ce paradoxe. Eikichi enchaîne frappe sur frappe, a tel point que rapidement, les bras de son adversaire virent au rouge, il doit forcément commencer à sentir la douleur. Enfin, il laisse tomber sa garde, le crochet d'Eikichi perce, et son adversaire titube en direction des cordes, il est acculé. Il se tient à celles-ci, et dans un effort surhumain, commence à son tour l'assaut. Il fait usage de sa taille et de sa porté supérieur à celle d'Eikichi, les directs et les jab font mouche, et rapidement, la tendance s'inverse. Il subit frappe sur frappe, esquivant du mieux qu'il peut et réduisant l'impact des attaques grâce à sa garde haute. Mais Eikichi est un attaquant, pas un défenseur, il est agressif, et puissant, il n'a pas l'habitude d'encaisser comme ça, et un coup au foi le fait à son tour reculer. Eikichi, je t'en supplie, ne tombe pas.
- Dis, Himiko, comment tu fais toi ? Me demande Yokko en ayant du mal à observer le combat.
- Comment je fais ? Pour ? Lui répondis-je, désireuse de comprendre ce qu'elle entendait par là.
- Observer ton bien-aimé monté sur le ring, sachant très bien qu'en face, il y aura peut-être plus fort que lui, qu'il sera peut-être amené à perdre, qu'il souffrira et qu'il y a de fortes chances que son sang souille le ring. Pourquoi tu n'essayes pas de le raisonner ? De l'empêcher de monter sur le ring, il se met en danger, et tu lui souris, lui disant juste " T'as pas intérêt à perdre " puis tu l'encourages depuis les gradins. Je ne comprends pas.
C'est donc ça. Ça faisait longtemps qu'elle n'avait pas fui mon regard, elle se sent coupable de se poser cette question. Yokko, tu crois vraiment que je vais t'en vouloir pour ça ?
- Tu penses qu'il arrêterait de monter sur le ring si je lui demandais ?
- Je... Non, je n'pense pas, c'est un gars têtu...
- Alors pourquoi faire ? Je suis plus ou moins sa petite amie, et plus tard, je le sais, lui et moi, on se mariera et on aura des enfants, dire que je suis déjà plus ou moins sa femme n'est pas stupide. Mon rôle, c'est de le soutenir, et de l'aider, pas de le castrer. Je dois avoir foi en lui, comme lui à foi en moi. En amour, on a tous notre rôle, lui me protège et s'assure que je ne manque de rien, et moi, je le soutiens et lui montre que je serais toujours là. Eikichi, c'est un gars super fier, il ne s'arrête pas tant qu'il n'a pas réussi, c'est aussi ça qui me plaît chez lui, je suis moi-même fière, je ne pourrais pas coucher avec un type qui n'a aucune estime de lui même. Il a été mon premier amour, et sera mon dernier. Alors plutôt que d'essayer de le convaincre de faire l'inverse de ce qu'il veut, je reste avec lui, et le pousse à aller là où il veut aller. On a tous notre rôle Yokko. Et puis au final, regarde le.
Je pointe le ring du doigt, Eikichi avait repris l'avantage. Il frappait férocement, ce garçon, c'est un peu comme une flamme. Au début, il n'y a qu'une étincelle, mais rapidement, elle finit par tout dévorer. La défense de son adversaire ne peut plus tenir, ses bras étaient bleus, certainement sont-ils tous les deux brisés, et il ne tient plus debout. C'est dans un crochet du droit qu'Eikichi met fin à l'affrontement. Une force telle que je crains qu'il lui ait brisé les cervicales, il pourrait décapiter quelqu'un avec des frappes pareilles.
- EIKICHI ! GARDE DES FORCES POUR CE SOIR, TU VAS EN AVOIR BESOIN !
À ces mots, je me lève de mon siège et me jette sur le ring pour l'enlacer. Il est brûlant, je peux sentir chacun de ses muscles meurtris par l'effort et son souffle court, c'est rare de le voir souffrir autant durant un combat, ce type était fort. Il est couvert de bleus, et doit souffrir le martyr, mais encore et toujours, il est debout. Oui, qu'importe l'adversaire, il sort toujours au-dessus et se baigne dans la lumière. Et moi, mon rôle, c'est d'être avec lui dans la lumière.

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