Régicide.
" Quoi que tu fasses, méfies toi de celui que les moines ont surnommé le Seigneur ".
Ce sont les derniers mots de Vincent avant de se barrer. Le Seigneur, de quoi il peut bien parler ? Un démon ? Ou un méga Perdu ? Ça fait un peu boss de Zelda son truc. Je m'attendrais presque à le voir apparaître avec une barre de point de vie et une bande son, ce serait drôle. Y a de quoi être curieux quand même. De toute manière, on verra bien une fois le moment venus. M'enfin, j'suis quand même curieux de savoir ce que c'est que ce Seigneur. Un ours, sûrement. Y en a pas mal dans le coin, ce serait logique, mais peut-être que c'est un truc plus gros, j'imagine bien un gros prédateur. Et même si les ours bruns, ou même les ours noirs sont des grosses bêtes, c'est pas vraiment des gros prédateurs, plus du genre à récupérer des carcasses ou bouffer du poisson. Problème, la plupart des prédateurs du Japon sont des " petites " bêtes, ça reste des sale bêtes, mais elles sont relativement petite, c'est le souci des archipels. Les bêtes des iles ont tendance à être plus petite que celles du continent. Ça s'appelle l'évolution insulaire. Exemple à la con, le cerf de nara est super connu, et c'est plutôt des petites bêtes, compare ça aux gros cerfs qu'on trouve dans les pays du nords, tu verras une petite différence. Les raisons possibles sont relativement simples à expliquer. Sur une île, il y a moins de ressources, donc les plus petits survivent plus facilement parce qu'ils ont besoin de moins, tout bête.
Hehe, on voit qu'il est encore tôt, réfléchir à ce genre de choses, j'ai pas le temps la journée. Avec le quotidien qu'on se colle dans ces bois, j'ai même pas le temps de faire mon sport si je me réveille pas bien avant le soleil, donc forcément, réfléchir aux raisons de l'évolution des bestioles, c'est compliqué. Enfin, j'me plains pas, le temps passe vite, on se fait pas chier, c'est déjà ça.
Bordel, l'absence d'un sac de frappe, ça fait chier, obligé de se rabattre sur les arbres... Mais ça nique les mains ces saloperies ! Ça rappelle un peu des souvenirs cela dit, hehe, des caillasses dans le sac de frappes, cette bande de cons. M'enfin au final, j'ai gagné un moment sympa dans les douches.
Hum ? Qu'est-ce que c'est que ce bruit ? Un frottement ? Quelque chose traîne un truc, pas un truc gros, le frottement est trop léger. Mais ça traîne, c'est certains. Un ours qui balade une besti-... C'est quoi ce bordel ? !
Ce n'est pas un ours qui traîne une proie... C'est l'ours qui se fait traîner. Un animal pareil, je n'en avais jamais vu. Il est ridiculement grand, si grand que seules les griffes de sa proie traîne au sol. Sa gueule englobe complètement la nuque de la pauvre bête. C'est un véritable monstre. Hehe, l'évolution insulaire n'est pas infaillibles, on dirait.
Une fourrure semblable à un feu de forêt, interrompue çà et là par des traînées de cendres aussi noire que la nuit. Une bête qui n'a jamais vu le jour sur nos terres, que fait-elle ici ? Malgré toutes les représentations, il n'y en a jamais eu au Japon. Et surtout pas ssi gros. Aucun doute, le Seigneur est cet animal. Je peux le lire dans son regard, ce désir furieux de se battre, un brasier qui emporte tout sur son passage. Une bête forgée dans les flammes. Et elle semble m'avoir vu.
D'un simple mouvement de la tête, l'animal fait voltiger sa proie qui finit sa course contre un arbre proche de là. Le bruit est assourdissant. Comment cet animal s'est retrouvé ici ? Et comment il est devenu aussi gros ? Cette montagne est vraiment pleine de secret.
C'est marrant, plus je l'observe, plus je ressens le besoin de lui cogner dessus. C'est comme si son regard m'appelait, me sommait de venir l'affronter. Ça m'va ! Ces derniers temps, parmi ces terres, je me sentais particulièrement calme ! Parmi le chaos, je ressentais l'harmonie. Ma flamme n'étais plus ce brasier agressif qu'elle était, non, elle était une flammèche au milieu d'un lac, douce. Une goutte d'eau sur la surface d'un étang, elle ne brisait pas la paix, elle y apportait simplement, une vie. Lui, à l'inverse, incarne cette flamme, cet animal est un véritable brasier vivant, ça me rappelle une légende chinoise. Le Dragon qui affronte le Tigre.
Approche l'animal, je serais ton dragon !
Et le voilà ! Un rugissement qui brise le silence de la forêt et déchire les nuages au-dessus de nos têtes. Jusqu'à présent, j'ai affronté pas mal de types, j'ai chassé des bêtes à mains nues, et encaissé des coups qui auraient dû me tuer, mais ce combat est différent de tous les autres. Cette bête est au sommet de la chaîne alimentaire. Notre combat, qu'importe qui en sort vivant, sera légendaire.
C'est étrange. Je sens l'excitation, mon sang qui pulse dans mes veines, et pourtant, je me sens calme. La bête qui se présente à moi ne m'effraie pas, elle me donne cette envie irrépressible de foncer dans le tas. C'est drôle comme sensation.
Le voilà qui s'approche enfin. Il bondit vers moi, une bestiole de cette envergure qui effectue un saut pareil, c'est impressionnant. Et cette patte, elle s'abat sur moi, j'ai l'impression que c'est un tronc d'arbre qui descend. Pourtant, pas la moindre peur, mon corps bouge de lui-même comme s'il possédait une volonté propre. La bête attaque furieusement, ses pattes brassant l'air de droite à gauche sans discernement. Cette fois, c'est moi qui pars à l'assaut, mon poing vient s'écraser contre l'estomac de la bête encore dressée sur ses pattes arrière. Bizarres, mes frappes n'ont pas le même punch que d'habitude. Il n'a même pas bronché, c'est quoi ce bordel ? Je veux bien que ce soit une grosse bête, mais à ce point ? Il y a forcément un truc derrière. Je pige que dalle, aucune de ses frappes ne m'atteignent, mais aucune des miennes ne le font vaciller... Où est passée ma force ? Qu'est-ce qui m'arrive ?
Ça fait déjà des heures qu'on se cogne sur la gueule, ça commence à me fatiguer. Dès que la bête perd l'avantage, il disparaît parmi les ombres des arbres. C'est frustrant, ça n'a pas avancé, il frappe, j'esquive, je frappe, il ne sent rien, on est bloqué. Le voilà qui arriv- !
Merde ! Pas le temps d'esquiver !
- Argh ! Fumier...
Me voilà dos au sol, la bête au-dessus de moi, il pèse trois tonnes l'enfoiré ! J'ai beau pousser de toutes mes forces, il ne bouge pas, et sa gueule se rapproche dangereusement de ma tête... C'est la merde ! Je peux pas partir comme ça, pas avant d'avoir retrouvé Kentaro, pas avant d'avoir dit au revoir à Himiko. C'est hors de question !
- Crève enfoiré !
De toutes mes forces, je pousse une fois de plus, j'ai l'impression que mes muscles vont se déchirer, tant pis ! Tu auras beau être aussi lourds et puissant que tu voudras, je ne serais pas vaincu par une vulgaire bête ! Ton âme brûle de passion pour le combat ? ! Alors je combattrais le feu par le feu !
- Approche ! Je n'esquiverai pas ! Cet assaut sera le dernier !
C'est ça le problème. Le calme, ce n'est pas moi. Je ne serais jamais semblable à la surface d'un lac, non, je suis un feu de forêt, un brasier. Cette bête et moi, nous sommes pareils. À nouveau, la bête rugit, il se lance sur moi.
- Je souhaite que dans la prochaine vie, nous nous retrouvions.
Fin du combat. La bête me fonce dessus. La gueule ouverte, les pattes en avant. À nouveau, mon dos s'écrase contre le sol. Mais cette fois, les choses seront différentes. Hors de question de te retenir ! Approche ta gueule sale bête !
Dans une grande respiration, de toutes mes forces, j'écrase mon crâne contre le sien ! Bordel la bestiole à la tête dure ! Mais plus que son crâne, le plus douloureux reste le bruit causé par le choc, ouais, un bruit monstrueux, semblable à la foudre qui frappe. Tu recules ? Le choc t'a sonné ? Il est donc temps d'en finir ? À bientôt, mon ami. Tu ne meurs pas, tu deviens une part de moi.
Mes deux mains se posent sur la tête de la bête. En une fraction de seconde, un autre bruit de fracture se fait entendre, puis un corps qui tombe. Je ne te ferai pas l'affront de cuir ta viande mon ami. Je ferai de ta peau, la mienne, a la seule force de mes mains, et de ta chair la mienne, à la seule force de ma mâchoire.
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