Peur
" Qu'est-ce qu'il t'arrive tout à coup ? Tu hibernes chez toi et d'un coup, tu te mets à vouloir parler ? Tu te rends compte qu'après le coup qu't'as fait à mon pote et si j'en crois Yokko, ce que t'as dis de moi, je devrais t'envoyer chier et me tailler d'ici ?
C'est la première fois que je le vois aussi prompt à l'affrontement. Il a vraiment, vraiment la haine. Et je me sens vraiment, vraiment conne, comme une gamine qui a fait une bêtise et qui doit s'excuser.
- Je te présente mes excuses Haru, à toi, et à Yokko, et j'aimerais revoir Eikichi, pour lui demander pardon. Ma confiance aveugle en Akio m'a rendue idiote, couplée à mon amertume causée par votre départ et ces deux ans seules, je n'ai pas su faire la part des choses. Je te le demande, je me mettrai à genoux si tu le veux, emmène moi à lui. Je dois le voir. Il n'y a que toi que je peux demander ça, s'il te plaît Haru. "
Est-ce que ça a toujours été aussi difficile de s'excuser ? C'est ça que ressentent les autres quand ils sont obligés de le faire ? Ce sentiment d'être à la merci de la personne en face, c'est ça qu'ils ressentent ? L'impuissance, s'il refuse de me pardonner, s'il refuse de m'accorder cette faveur, je fais quoi ? Je me sens comme un lapin, à peine capable de fuir, face à un ours, Haru a-t-il toujours été si imposant ?
Il me sourit, avant de laisser s'échapper un petit rire.
" Il t'en aura fallu du temps. Si tu savais comme Yokko m'a pris la tête à cause de toi. Elle était en permanence en stress, elle n'arrêtait pas de dire " J'ai peut-être été trop dure avec elle, et si j'avais fait une connerie ? ". Ce soir, quand je lui raconterais ça, elle pourra enfin dormir tranquillement. "
Son sourire en revanche est de courte durée, il soupire, longuement, secouant la tête de droite à gauche. Sa main, posée sur la table se ferme, formant un poing qui vient s'écraser au sol.
" Malheureusement, pour ce qui est d'Eikichi, je doute que tu veuilles le revoir. Quand nous nous entraînions déjà, la gravité des événements, des choses que nous avions vus, avait frappé fort sur sa psyché. Il se sentait obligé de faire bonne figure, tout groupe possède un meneur, et Eikichi était plus ou moins le nôtre, mais avec ce rôle s'accompagne des épreuves. Il faisait partie de ces meneurs qui ne comprennent pas qu'ils font partie du groupe, qui pensent qu'ils doivent faire face seul, pour protéger les autres. Pendant deux ans, j'ai assisté à ses efforts, à sa bêtise, poussant son corps comme son esprit dans ses retranchements, quand nous dormions, lui garder un œil ouvert, parce que, et je cite " On ne sait jamais ". J'ai beau avoir tenté de l'aider, de le seconder, ce type a la tête plus dure que la roche, pour lui faire comprendre un truc, faut se lever de bonne heure. Mais il tenait bon, parce qu'à chaque fois qu'il regardait derrière lui, ses potes étaient sains et sauf, il me l'a dit " j'avais l'impression d'avoir réussi ce que je voulais faire "... Aujourd'hui, il n'a avec lui plus que deux gars. Notre groupe s'est complètement déchiré. Haku poursuit une autre voie, Akio est un traître, les quatre autres ont pris la fuite, et quand il est rentré, celle qu'il aimait du plus profond de son être l'a repoussé... Aujourd'hui, impossible de l'avoir au téléphone, et il n'est jamais chez lui. Tout c'que je sais, c'est grâce à Vincent.
Akio, un traître, et moi qui l'ai repoussé... Heh, ça fait mal, mais je ne peux pas lui donner tort.
- Vincent ? Tu continues de le côtoyer ?
Il regarde le sol, l'air grave.
- Je l'ai contacté il y a quelques jours, je savais bien qu'il saurait où trouver Eikichi. J'avais raison. Mais j'aurais préféré ne pas le savoir finalement.
Il soupire, longuement, cette histoire l'affecte profondément, ce cœur d'artichaut aime vraiment Eikichi, ça se voit.
- À ce point ? Ou il est ? "
Son regard se plante dans le mien, un regard triste, et grave.
" Eikichi à accepter une des missions de Vincent, par ennuis parait il, une mission qu'aucun de ses gars ne voulaient endosser.
Il prend du temps entre chaque phrase, comme s'il cherchait à rassembler ses pensées, à trouver les bons mots.
- Il est sous le Koraku-en. La, des combats illégaux prennent place, il s'est infiltré dans ces combats, et manifestement, il s'y est déjà taillé une place de choix, je n'ai pas tous les détails, mais Vincent m'a dit que c'était une mission de la plus haute importance... Par curiosité, et grâce à lui, j'ai pu assister à une de ces soirées, me dit Haru avec un air perturbé sur le visage. Je n'avais jamais vu une telle violence, une telle rage dans des combats. Eikichi était le dernier à se battre ce soir-là. J'ai assisté en une heure, à une dizaine d'affrontements. Les types qui montaient dans l'arène n'étaient sois, qu'à moitié humain, sois armé. La plupart étaient sous l'emprise de drogues, ils semblaient complètement ignorer la douleur, rendu fou, le seul moyen de sortir de l'arène était de sortir vainqueur, ou mort... Et ce n'est qu'effleuré la surface, le plus terrifiant, ce n'était pas les rixes en elles même, mais les spectateurs. Avec Eikichi, je m'étais habitué à une forme de violence, mais elle n'était pas mauvaise... Jusqu'à présente, quand Eikichi se battait, il y avait une forme de... De bienveillance ? Il ne souhaitait pas faire de mal, simplement régler un problème... Ces gens la auraient pu être des démons, ils hurlaient d'excitation quand un membre, un œil ou une autre partie d'un corps était arrachée, ils se réjouissaient de la mort d'un des combattants. Et malgré tout mes efforts, cette excitation globale, me touchait légèrement, je me retrouvais à acclamer silencieusement le vainqueur, sans pitié pour le perdant. Pour la première fois, j'avais peur de moi-même, de ce que je pouvais ressentir. Je comprenais ce que Vincent disait quand il parlait d'une mission que tous refusaient. Les lumières néons, les hurlements d'excitation, la violence, la rage, tout ça réveillent nos instincts les plus primitifs, ce que je voyais sous le Koraku-En, n'était en réalité, que la violence inhérente à tous les humains. Un spectacle sanglant complètement débridé. Qui prit une tout autre tournure quand Eikichi posa le pied dans l'arène."
Il tremble comme une feuille, il a l'air complètement effrayé, le souvenir de cette scène semble le secoué encore aujourd'hui.
" - Dis moi tout, je lui demande, curieuse, inquiète.
Il respire lentement, profondément, cherchant certainement à retrouver son calme.
- Il était devenu une vraie bête. La peau du Seigneur ne l'avait pas quitté, il en était toujours vêtu, on aurait cru voir un ogre. À peine était-il entré dans l'arène, que les applaudissements, les acclamations s'étaient calmé, même les spectateurs les plus hystériques, ceux qui se réjouissaient le plus des effusions de sang, semblaient craindre sa présence. Et je ne pouvais pas leur en vouloir. Moi-même, son ami, m'était mis à le craindre. Son regard était perçant, il semblait analyser chaque spectateur, attendant son adversaire avec la patience d'un prédateur. Jusqu'à présent, Eikichi durant ses combats, il souriait, il semblait s'amuser. Comme s'il cherchait simplement à repousser ses limites. Pas cette fois, il semblait être dans un état second, il n'était plus question de repousser ses limites cette fois, il semblait être en chasse. Et quand sa pauvre proie fit le premier pas dans l'arène... Le combat pris fin en une fraction de seconde. Je n'avais même pas pu le suivre, je m'étais entraîné deux ans avec lui, j'aurais dû être capable de lire ses mouvements... Pas cette fois. Il disparut de l'arène pendant une seconde, puis on entendit des os qui craquent, et un corps qui tombe.
Eikichi... Qu'est-ce que tu es devenu ?
- Si tu veux revoir Eikichi, je t'emmènerai à l'arène, mais sois prête, ton chéri est devenus un monstre. Je n'ai rien pus faire pour le sauver, et je ne pense pas que tu le puisses non plus. Sous le Koraku-En, il n'existe plus que celui qu'ils surnomment " Benkei ", et sa mission. Tu es sûre de vouloir le voir dans cet état ? Je te conseillerais de tourner la page, si tu n'as pas pu lui faire confiance avant, je doute que tu sois capable de le faire maintenant. Ne prends pas mal ce que je vais te dire Himiko. Mais, tu ne peux rien faire pour Eikichi. Et malgré tout l'amour que tu peux ressentir pour lui, si tu y vas uniquement pour t'excuser, pour te sentir mieux, pour " réparer tes conneries ", tu mettras ta main dans la gueule d'une bête que tu ne peux pas gérer. La violence de l'arène, les tabous de la ville, les péchés des habitants de Tokyo courent aujourd'hui sous la peau d'Eikichi. Notre société qui bannis la violence a trouvé un échappatoire, et ton chéri en est devenu l'avatar, si tu veux le revoir, avec tes motivations, tu seras face à un monstre. Tu ne peux rien faire pour lui."
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