La nuit porte conseil
Quelle heure est-il ?
Déjà vingt-deux heures... Ils sont en retard. Ce n'est pas ce à quoi je m'attendais venant d'eux... Mais avec les Kudo, j'ai fini par m'y habituer. Kentaro est toujours en retard. Et il semblerait que son petit frère ait également cette mauvaise habitude. Ils sont insupportables dans cette famille.
C'est dans ces moments qu'on gamberge. Qu'on se pose des questions sur notre passé et sur notre futur. Les yeux posés sur les bâtiments. Tokyo est belle la nuit, très différente de Paris. Elle semble plus jeune, plus moderne, les lumières de la ville chassent complètement l'obscurité ici. À Shinjuku, il est difficile de discerner le jour de la nuit...
Parfois, je me demande depuis combien de temps je suis ici. Trois ans, je crois. Et depuis trois longues années, je sers les intérêts de ce pays dans l'ombre. Ce pays qui n'est pas le mien, ce pays dont je suis tombé amoureux il y a bien longtemps, et que j'ai rejoint par amour pour mon ami. Se dire amoureux d'un pays, cela dit, est peut-être exagérer. Le mien me manque toujours autant, la France est un monde d'élégance et de beauté, parfois, ses monuments me manquent. Sa poésie également.
Le Japon est sublime, cela ne fait aucun doute, et il m'a offert une nouvelle cause à servir. Grâce à lui, grâce à Kentaro, je peux enfin être utile à quelque chose, à quelqu'un. Malgré tout, le Japon, ne sera jamais la France. Et je ne désire pas qu'il le devienne. J'aurais simplement aimé pouvoir sauver ce magnifique pays qu'est le mien...
Mais nous ne faisons pas toujours ce que nous voulons n'est-ce pas ? La Terre du Roy est tombée, et je crains que le Japon ne tombe également.
" Les Japonais aiment vraiment beaucoup l'argent quand même ! "
Voilà les mots de jeunes gens que Kentaro et moi avions croisés dans la belle Aix en Provence. Mon pauvre n'en revenait pas. Lui qui avait grandi au milieu de la campagne, il ignorait à ce moment beaucoup de choses sur son propre pays. Des choses que ces deux amis connaissaient, eux qui n'avaient jamais mis le pied au Japon, connaissaient le pays mieux que lui. Au début, cette remarque l'avait enragé, c'est quelqu'un de très patriote, et je le rejoins sur ce point-là. Mais il était patriote d'un Japon rural, un monde qui commençait petit à petit à mourir, l'influence des Etats Unis et de l'Europe commençaient à se faire de plus en plus forte dans les grandes villes, et le Pays du Soleil Levant changeait. Ces jeunes gens, avaient saisi ce qu'était le Japon moderne. Et c'est ce qui me fait aujourd'hui peur. Si un homme et une femme qui devait avoir à peine une vingtaine d'année, avaient déjà compris cela, les grosses têtes, celles qui firent courber l'échine à la France, le savaient forcément. Celles qui ont défait mon pays, mon héritage, connaissent forcément cette faiblesse.
" Tu sais Vincent, le combat n'est pas complètement terminé. Les Français ne se sont pas encore tous soumis, on peut encore les repousser. "
Océane. Aujourd'hui, alors que je m'inquiete pour ces terres, tu reviens a memoire. Une vraie lueur d'espoir. J'ai toujours été un peu nihiliste, je n'aime pas particulièrement les gens, et ne vois pas comment on peut croire en eux. Mais toi, vas savoir comment, tu ne cessais jamais de sourire. On s'était rencontré quand on était plus petit, au collège, tu t'en souviens ? Je me pose la question, est-ce que Dieu t'as permis de garder tes souvenirs ? Toi qui a toujours refusé de te soumettre, est-ce que Le Seigneur t'as autorisé l'accès au Paradis ? Lui qui exige de ses fideles qu'ils baissent la tete, il a surement du faire une exception pour toi. Je l'espère en tout cas, je doute qu'il t'ait refusé l'accès à son domaine, cela dit. Est-ce que quand tu l'as rejoins tu as eu droit à un comité de bienvenue ? Ou à des banderoles " bon retour " ?
" Bienvenue chez toi ma fille, comment était le monde des mortels ? "
Est-ce ainsi qu'il t'a accueillie ? Toi, l'ange qui a pris la forme de l'amour, as tu pu rentrer chez toi saine et sauve ? Est-ce que maintenant que tu es là-haut, tu m'observes et tu te dis que peut-être, ce débile, auquel tu as offert la lumière a bien plus besoin de toi que tu ne le pensais ?
La nuit porte conseil qu'ils disent, pour moi, elle apporte surtout des questions.
Il y a quelques jours, je mettais en place la mort d'un homme d'à peine dix-neuf ans, un homme qui avait connu l'amour, le vrai, dans le seul but, de me servir de son ami. Tout ça pour permettre a notre plan de porter ses fruits... Je doute qu'un jour, je te rejoigne là haut, Océane. Dieu n'accepte pas les gens comme moi.
Mais je ne me plains pas cependant. S'il faut détruire des rêves, pour permettre à Kentaro de réaliser le sien, alors j'en détruirai autant qu'il faudra. Ce pays doit survivre. On dira que c'est une manière d'honorer l'amitié franco-japonaise. Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour permettre au Japon de perdurer.
" Tout ça, au final, je le fais par amour pour mon pays... Mais surtout, pour mon petit-frère. C'est ça être un grand-frère, c'est protéger le petit. C'est mon devoir. "
Je souhaite que tu me pardonnes Kentaro, je souhaite que tu n'apprennes jamais ce que j'ai fait, ce que je ferais pour accomplir notre objectif. Tu es un meneur né, et je sens que ton petit-frère a aussi ce quelque chose qui le mets d'office à la tête des autres. Mais tu as quelque chose qu'il n'a pas. Une certaine noblesse. Tu accomplis tout ça, par abnégation, tu t'es plongé au cœur des ténèbres, à rejoint un groupuscule mafieux dans le seul but de sauver les tiens... Lui, son but est égoïstes, il veut revoir son frère. Il n'est qu'un enfant. Je dois en faire une arme, pour sauver les tiens. Pour que ton rêve se réalise, je ferais les sacrifices que tu ne peux pas faire. Après tout, il y a toujours quelqu'un dans l'ombre du soleil. Pour ton frère, cette ombre est sa fiancée, pour toi, l'ombre, c'est moi. Je te laisse être sur le devant de la scène, tu le fais bien mieux que moi. Toi que j'ai accepté de suivre sans condition, tu inspires les gens à la grandeur. Tu as vraiment un pouvoir fascinant. Après à peine quelque temps à te côtoyer, j'étais prêt à te rejoindre dans ta quête, aussi folle soit-elle.
Et me voilà aujourd'hui, assis a une table, attendant des... Partenaire. Le destin est une chose fascinante, vraiment.
- Monsieur Durand, pardonnez nous du retard, vous connaissez le trafic Tokyoïte, il est rare d'arriver à l'heure ici.
La Triade. La plus grosse organisation criminelle Chinoise. Ces types comptent plusieurs milliers de membres, tous éparpillés à travers l'Asie. Ces types sont plus grands, et plus nombreux que même le Yamaguchi-Gumi, qui sont eux même les plus grands du Japon, en tout cas, les plus visibles. S'ils le désiraient, ces types pourraient declarer la guerre au monde souterrain Japonais, et je ne suis pas sûr que ce dernier ne l'emporterait.
- Aucun problème. Je vous en prie, prenez un siège.
Toutes ces années, à écouter mon père parler m'a forgé. Elles ont fait de moi, qui je suis, et aujourd'hui, elles font de moi l'un des principaux instigateurs de cette alliance que nous cherchons à mettre en place.
- Alors ? À quoi sonne tout cela Monsieur Durand ? Et pourquoi est-ce vous à qui nous avons à faire, et pas Monsieur Kudo ? N'a-t-il pas de temps à nous accorder ?
Ils veulent voir Kentaro... C'est logique, aucun groupe de renom n'accepterait d'être accueilli par le second, pire encore quand celui-ci n'est même pas Asiatique, leur frustration se comprends. À leur place, ma réaction aurait sûrement été similaire.
- Boss Kudo n'est pas disponible, il m'a donc laissé le privilège de vous accueillir et discuter de nos arrangements, il s'en excuse. Ceci étant dit, dès que son agenda sera un peu plus libre, il est évident qu'il vous recontactera pour discuter de tout cela par lui-même. Pour l'instant, je vous prie d'accepter mon humble participation.
Cette explication ne les satisfait pas, évidemment, ces hommes ne sont pas de simples pions. Les cinq têtes de l'hydre qu'est la Triade, venue spécialement aujourd'hui pour ces discussions. Je vais devoir être convaincant.
- Vous vous rendez compte, Monsieur Durand, que ces discussions partent du plus mauvais des pieds, n'est-ce pas ? Que peux bien nous offrir le Shinsen-Gumi, qui vaille la peine de nous faire traverser la mer ET nous valoir le complet désintérêt de Kudo ? Je souhaite, pour vous, que vos explications vaillent le coup d'être entendu.
À ce point ? Je me doutais évidemment que cette réponse causerait un certain mécontentement, j'ignorais que celui-ci irait aussi loin.
- Mes amis, retrouvons notre sang-froid. Si nous vous avons demandé de venir aujourd'hui, c'est pour discuter de l'avenir de ce pays. Vous n'êtes pas sans savoir que le GSE avance de plus en plus, le plus gros de l'Europe est déjà tombé entre ses mains, et bientôt, l'Asie suivra. J'eus cru comprendre que le gouvernement Chinois avait déjà céder face aux avances de Thwab. Si puissante sois la Triade, elle ne pourra pas faire face indéfiniment, notre ennemi est puissant, bien trop puissant. Nous devons nous allier. Les Chilsung-pa se sont déjà joint à nous, les héritiers de Năm Cam également, le Wa Rouge est derrière nous, il ne reste plus que vous, ne pensez pas que vous soyez intouchable, ce n'est pas le cas, nos ennemis jouent avec des puissances que dépassent les pauvres humains que nous sommes. Il nous faut nous allier pour tenir le front. Sans quoi, vous tomberez.
Ils discutent entre eux, quel manque d'élégance... Mais comment leur en vouloir dans un tel moment ? Le destin de leur nation, et leur destin à eux, est mis en danger par cette puissance qui vient de l'ouest.
- Durand, c'est un très beau discours que vous nous avez offert, mais qu'avons nous à gagner dans une alliance ? Nous sommes assez nombreux, et assez puissant pour détruire le Shinsen-gumi et n'importe quelle autre organisation du Japon, et aucune organisation Vietnamienne, Coréene ou Thailandaise ne nous arrive à la cheville. Pourquoi devrions-nous nous allier, quand nous pouvons simplement vous écraser, et nous emparer de votre force ?
Et voilà ce que j'attendais. C'est un classique pour être franc, il n'y a même plus la moindre surprise dans ce monde. Mais après tout, les menaces fonctionnent en général assez bien. D'autant plus que jusqu'à présent, notre groupe est resté volontairement discret.
- En toute franchise, Monsieur Hu, vous n'auriez aucune chance. Sous nos terres, respire un monstre dont vous ne souhaitez pas voir le visage. Une créature transcendant l'homme, comme l'animal, et si cela ne suffisait pas, nos hommes ont déjà investi les plus hautes sphères de la vie politique de ce pays. Vous ne souhaitez pas entrer en guerre contre nous. Ne l'oubliez pas, un pays n'est qu'une grosse mafia qui s'avère être légal. Admettons que vous nous déclariez la guerre. Vous aurez à affronter non seulement, cette créature sortis de légendes, mais par-dessus le marché, le gouvernement Japonais se joindrais au gouvernement Chinois pour éradiquer le crime organisé. Je ne suis pas sûr qu'il soit dans votre intérêt de vous lancer dans une telle expédition. Que vous rejetiez notre offre, nous pouvons l'accepter. Que vous menaciez notre groupe, il s'agit là d'une tout autre offense. Je vous conseillerais de mesurer vos mots, le chemin que vous semblez vouloir emprunter, ne peux vous mener qu'a un endroit, et je doute de votre désir de continuer ainsi. Joignez-vous à nous, ensemble, nous sauverons ce pays, et le vôtre. Notre génération connaît la Chine pour ses génies et ses maîtres de la stratégie, il serait dommage que les prochaines générations se souviennent de la Chine comme du pays qui est tombé à cause de son idiotie.
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