En provenance
C’est en fin d'après-midi qu’il aime se promener dans le parc du Mont-Royal. Les gens sortent du boulot et viennent ici pour décompresser, oublier les tracas de la journée. Il scrute les visages qui passent, mais personne ne fait attention à lui. Il aimerait revoir le sourire de Maria qu’il a connue dans ce même parc. Ils sont tombés amoureux sans trop savoir comment. Elle était accompagnée d’amis de New York qui, en été, passaient leurs vacances à Puerto Rico. Ces derniers l'avaient invitée à quitter la chaleur de son pays et affronter la fraîcheur du nord de l’Amérique. Ils sont restés à Montréal deux semaines. Cette période a suffi pour que Maria et lui s’unissent. Ils passaient les jours et les nuits ensemble, communiquaient en anglais. Lui ne comprenait pas l’espagnol, elle, le français. Ils se lançaient des expressions familières. Il lui disait:
— Ostie que t’es belle !
Elle répondait:
— ¡Joder, qué guapo estás hoy!
Et ils riaient sans vraiment comprendre ce qu’ils entendaient, mais c'était sans doute quelque chose de bien. Avant qu’elle parte, il lui avait promis qu’il irait la rejoindre à San Juan.
Elle est partie depuis longtemps. Il ne sait pas pourquoi il est encore là, dans ce parc, tournant en rond. Et pourtant, il se rappelle parfaitement s’être rendu à l’aéroport Trudeau et avoir pris l’avion pour San Juan. Il se souvient de voir par le hublot l’écume des vagues.
Je ne sais pas pourquoi je continue à parler de moi à la troisième personne. Peut-être est-ce pour m'éloigner de Maria, pour me convaincre que ce n’est pas moi qui ai vécu cette histoire d’amour restée en suspens comme un avion qui volerait indéfiniment, un voyage sans aller ni retour… C’était comme si je me détachais de moi-même, comme si je me voyais de l’autre côté du monde où mon esprit n’a plus sa place.
L’avion a disparu quelque part entre les Bermudes et Puerto Rico. Aucune épave n’a été retrouvée et aucun corps n’est apparu à la surface. J’aime penser que le mien a naufragé sur une plage de Puerto Rico et qu’il attend que Maria vienne le chercher. Peut-être qu’il est au fond de l’océan à quelques kilomètres de San Juan où Maria ne m’attend plus.
Je déambule dans le parc au milieu des gens qui ne me voient pas. Il se fait tard et les animaux nocturnes commencent à apparaître. Maria ne reviendra jamais. La nuit m’enveloppe et me pénètre. Je retourne au cimetière Mont-Royal. Je m’assois sur l’herbe et m’adosse à la stèle où est gravé mon nom. Sous terre, il y a un cercueil vide.
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